(Liberation 04/02/2013)
Reportage «Sauveur», «saint»… En déplacement au Mali,
samedi, en pleine opération «Serval», le chef de l’Etat francais a été
longuement acclamé.
Tombouctou a trouvé samedi son 334e saint, et il se
nomme François Hollande. La cité du Nord-Mali, célèbre pour ses mausolées et son
architecture classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a explosé de joie, à
l’occasion de la courte visite du président français, qualifié de «sauveur» par
les Maliens. Ce n’est peut-être pas la première fois que les Tombouctiens font
le coup du «334e». Mais, cette fois, la reconnaissance de la «perle du désert»
sera, quoi qu’il advienne, inscrite dans les registres de naissance locaux : de
nombreux habitants ont annoncé vouloir donner le nom du président français à
leur bébé à naître.
Emporté par la liesse générale, un responsable de la
mairie affirmait aussi, samedi, qu’il allait proposer au conseil municipal de
rebaptiser la place centrale du nom de François Hollande. Mais pour ce faire, il
faudra d’abord que les élus reviennent, la plupart ayant fui la ville il y a dix
mois après l’entrée des islamistes. Un détail sans importance, ce samedi en
milieu de matinée, quand le chef de l’Etat français, flanqué du président par
intérim du Mali, Diocounda Traoré, a foulé le sable de la place
Sankoré.
Frayeur. Le souvenir des «corrections» (les coups de fouet) que
les islamistes pratiquaient il y a peu encore contre les couples accusés
d’adultère ou les fumeurs de cigarettes s’était totalement dissipé. «Mali-France
! Mali-France ! Vive Papa Hollande !» : rassemblées depuis l’aube, près de 3 000
personnes ont acclamé le président de l’ex-puissance coloniale, qui a sacrifié
bien volontiers à l’exercice du bain de foule. La sécurité du Président a eu une
grosse frayeur quand une femme a réussi à enlacer François Hollande.
L’attentat-suicide est désormais l’une des hantises des services français. Lors
de la visite des deux présidents, le centre-ville était quadrillé par les
soldats de l’opération «Serval», pendant qu’un hélicoptère tournoyait dans le
ciel limpide de Tombouctou. Avant de goûter aux joies de la liesse populaire,
François Hollande avait inscrit deux étapes à haute teneur symbolique. A peine
descendu du Transall militaire en provenance de Bamako, il s’est rendu à la
grande mosquée de la médina, où l’attendait une délégation de notables locaux
et, surtout, le grand imam de la ville. Une occasion, pour Hollande, de
souligner que l’intervention française n’était en rien une guerre de religions,
comme cherchent à le faire croire les islamistes. Depuis le début, l’Elysée
prend d’ailleurs bien soin de les qualifier exclusivement de «terroristes». Le
convoi présidentiel a pris ensuite la direction du centre Ahmed-Baba, où sont
stockés des manuscrits et les archives. C’est ici que, avant de quitter
précipitamment la ville, les «fous de Dieu» ont brûlé une partie des
collections. Une toute petite partie, seulement, car les responsables du centre
avaient astucieusement transféré la majorité de ces trésors dans un autre
bâtiment de la ville, ainsi qu’à Bamako. Cette fois, François Hollande a pu se
poser en protecteur de la liberté et du patrimoine culturel des Maliens. Avant
de s’envoler pour Bamako, le «sauveur», a rendu hommage aux soldats de
l’opération Serval. L’occasion, cette fois, d’évoquer la suite de l’engagement
français au Mali.
Explosif. Evitant la bévue de George W. Bush, qui avait
hâtivement clamé «mission accomplie» en Irak après la prise de Bagdad par les
marines, avant que le pays ne sombre dans un chaos sanglant dont il n’est
toujours pas sorti, François Hollande a, au contraire, affirmé que «le combat
[n’était] pas fini» et que l’armée française serait aux côtés des troupes de
Bamako pour reconquérir l’ensemble du territoire.
«Ce n’est pas fini»,
confiait à Tombouctou le chef d’état-major des armées, l’amiral Guillaud.
L’attention se focalise maintenant sur Kidal, où les forces spéciales françaises
ont pris le contrôle de l’aéroport depuis quelques jours. Cette ville a des
allures de cocktail explosif. Fief historique du chef des islamistes d’Ansar
ed-Dine, Iyad ag-Ghaly, elle se situe en plein pays touareg, où le retour
programmé des forces de Bamako est source de grande inquiétude. A Tombouctou,
Hollande a mis en garde l’armée malienne contre toute forme d’exactions qui
risquerait d’entacher l’ensemble de l’opération Serval.
L’armée française
se montre quant à elle très prudente : à Kidal, «on a du mal à savoir qui est
qui», confiait ce samedi un haut gradé. Certains islamistes touaregs, qui ont
fait dissidence, affirment vouloir négocier avec Paris. Mais sont-ils sincères ?
Après ce moment de grâce éphémère à Tombouctou, qui a ponctué la
contre-offensive éclair des militaires français au Nord-Mali, «Serval» entre
dans une nouvelle phase. La question des otages, probablement détenus dans le
massif tout proche de Kidal, l’Adrar des Ifoghas, peut surgir à tout moment.
Quant aux jihadistes, ils ont jusqu’à présent évité le combat. L’idéologue
d’Ansar ed-Dine a ainsi été arrêté hier près de la frontière algérienne. Mais
personne ne doute que les islamistes vont chercher à se réorganiser pour
harceler les soldats français ou viser les intérêts français. «Nous n’avons pas
vocation à rester au Mali», a déclaré Hollande. Mais les vocations sont parfois
le fruit des circonstances.
à Tombouctou THOMAS HOFNUNG
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Liberation
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