(Le Monde 11/05/2011)
En Afrique du Sud, les toilettes sont un enjeu de campagne. Au coeur d’un affrontement général sans précédent entre le Congrès national africain (ANC), le parti majoritaire du pays (deux-tiers des voix) au pouvoir depuis la chute de l’apartheid, et l’Alliance démocratique (DA), le principal parti d’opposition, qui compte bien poursuivre son ascension lors des élections municipales du 18 mai prochain.
La première manche avait été remportée par l’ANC. Le 29 avril dernier, un juge avait tranché. Les 1316 toilettes à ciel ouvert que la municipalité du Cap, la seule grande ville du pays gérée par l’opposition, avait fourni aux habitants du township de Makhaza dans les Cape Flats étaient une sérieuse violation du droit à la dignité humaine.
Les dirigeants du DA s’étaient pourtant férocement défendus en rappelant leur version de l’histoire. En 2007, la municipalité avait conclu un accord avec la communauté de Makhaza dans lequel elle acceptait finalement d’installer des toilettes pour chaque foyer (l’obligation légale n’est que d’un WC pour 5 foyers).
Une seule condition : que les habitants prennent à leur charge et mettent en place les murs et le toit pour que les usagers de ces toilettes soient à l’abri des regards.
Ce scénario se réalisa pour 1265 WC, mais une cinquantaine de toilettes demeura à ciel ouvert, faute d’argent selon les habitants concernés. Pour mettre fin à la polémique grandissante, la municipalité accepta de mettre des plaques de tôles ondulées autour des toilettes restantes, mais de colère, des membres de la Ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL) les démolirent, avant de porter plainte au nom des résidents.
Sans attendre la décision du juge, l’ANC a alors rappelé pendant des semaines sur les estrades de ses meetings cette affaire pour contrer les deux principaux messages électoraux du parti d’opposition qui sont :
1/ le DA n’est pas un parti de Blancs mais s’occupe de tous les Sud-Africains sans exception
2/ le DA a un meilleur bilan que l’ANC en termes de fourniture de services publics.
Mais les dirigeants de l’ANC ont eu une mauvaise surprise à la fin de la semaine dernière. La presse locale a révélé que près de 1600 WC à ciel ouvert avaient été installés, depuis 2003 pour les plus anciens, dans la municipalité de Moqhak (centre du pays) qui est gérée par le parti au pouvoir. “Ce n’est pas bien, nous ne méritons vraiment pas de vivre comme cela” commente cette habitante qui n’a jamais voulu utiliser ces WC.
D’ici le 18 mai, le DA va donc pouvoir repartir à l’assaut de l’électorat noir de l’ANC et clamer que la politique en Afrique du Sud ne doit plus être une question de races, mais de programmes et de bilans.
Jeudi dernier, l’INSEE sud-africain a justement rappelé qu’entre 2002 et 2010, le nombre de foyers ne disposant pas de toilettes était passé de 12,6% à 5,9%.
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