mardi 22 février 2011

Libye -Le vent a tourné pour Kadhafi

(La Libre 22/02/2011)

En 1977, le leader libyen avait lancé sa “révolution des masses”. L’histoire le rattrape, et le peuple veut maintenant sa démission.
Portrait
Fantasque, imprévisible, atypique, on avait fini par s’habituer aux frasques de Mouammar Kadhafi, 70 ans, et de ses musclées amazones, gardes du corps, avant que la rue libyenne ne vienne rappeler, elle aussi, sa soif de démocratie.
Electron libre du monde arabe, le chef d’Etat libyen est l’inventeur du système qui l’a maintenu au pouvoir et qui lui vaut aujourd’hui, lui, l’ancien colonel putschiste de 1969, d’être la cible des protestataires.
"Les masses, disait Kadhafi à trois journalistes en 1984, ont compris que ceux qui appellent à la révolution ne visent qu’à prendre le pouvoir pour l’exercer à leur profit." Kadhafi parlait là des régimes arabes "réactionnaires, tribaux, policiers, fascistes" qu’il abhorrait, lui, le nassérien, sans se douter qu’un jour aussi, son tour viendrait.
Né à Syrte dans une famille de Bédouins, le 19 juin 1942, Kadhafi a reçu une éducation traditionnelle et militaire, et caressa très tôt la volonté de renverser le roi Idriss Ier. Il s’empare du pouvoir par un coup d’Etat le 1er septembre 1969, avec un groupe d’officiers. Le capitaine s’autoproclame colonel. En 1977, s’inspirant du socialisme et du panarabisme, il déclare la "révolution du peuple", met en place des "comités révolutionnaires", écarte les religieux et prône une démocratie directe en lieu et place de la voie parlementaire. Le nom du pays devient la "Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste" . Bientôt, il sera le "Guide de la Révolution".
De grands travaux pharaoniques sont lancés, dont celui de la Grand rivière artificielle, lancé en 1984, qui capte l’eau des profondes nappes phréatiques du Sahara, l’amène à Tripoli et lui vaut, aujourd’hui encore, la colère des Touaregs.
Le colonel accorde peu d’interviews à la presse internationale, et, s’il en accorde, c’est aux frais de la Jamahiriya, après des jours d’attente dans des hôtels de luxe. Car le colonel putschiste a tôt fait d’attirer l’attention des médias, par les liens qu’il tisse avec les révolutionnaires en tous genres. Hostile à Israël et aux Etats-Unis, qui barrent la route au panarabisme, selon lui, Kadhafi fait de la Libye un centre logistique du terrorisme international. Les années 80 le mettront au ban de la communauté internationale.
Le 5 avril 1986, une bombe éclate à la discothèque "La Belle" à Berlin (3 morts), fréquentée par des Américains. Le président Reagan réplique une semaine plus tard par un bombardement de Tripoli et de Benghazi, dans lequel décède Hannah, la fille adoptive du "Guide la Révolution". Viennent ensuite l’attentat contre le 747 de la Pan Am qui s’écrasa à Lockerbie en 1988 (270 morts) et celui contre le DC-10 de la compagnie française UTA en 1989 (170 morts). A la demande des Etats-Unis, des sanctions contre la Libye sont adoptées à l’Onu en 1992.
Il y eut aussi l’affaire des otages du Silco, une famille franco-belge enlevée en 1987 sur son voilier au large de la Libye et dont la libération par le groupe Abou Nidal - grâce à une médiation de Tripoli - n’aboutit que parce que le groupe terroriste avait ses entrées dans le régime libyen.
Kadhafi, épuisé par les pressions, disparaît de la scène internationale pour réapparaître au début des années 2000 sous d’autres habits, celui d’un homme soucieux de rétablir l’honorabilité de son pays et de sa personne.
En 2003, il renonce à ses projets d’armes de destruction massive en livrant ses programmes clandestins aux Etats-Unis et indemnise les victimes des attentats de Berlin, de Lockerbie et d’UTA. Il renonce au socialisme.
Kadhafi devient soudainement fréquentable, et c’est la ruée vers l’or pétrolier. Les Italiens (avec ENI), les Britanniques, les Chinois, les Turcs et tant d’autres se placent sur les rangs. Le chef de l’Etat surveille étroitement les investissements internationaux les plus juteux et s’assure que chaque allié du régime reçoive sa part du gâteau.
En avril 2004, Kadhafi effectue une visite de deux jours en Belgique. "La Libye présente des opportunités très importantes, notamment pour son stock de pétrole et de gaz", reconnaît anonymement un ministre à l’agence Belga.
Kadhafi le révolutionnaire est devenu un homme d’affaires avisé et met sur orbite son fils Seif el-Islam, l’un de ses huit enfants. A son fils de 38 ans, revient la tâche de privatiser l’économie, de libéraliser le régime et de restructurer le gouvernement. On voit aujourd’hui que c’est le fils, et non lui, qui promet au pays "des rivières de sang" si la Libye ne s’engage pas dans un processus de réforme.
Mais Kadhafi continue à jouer dans les coulisses. Un diplomate américain basé à Tripoli écrivait dans une dépêche confidentielle en 2009, révélée récemment par WikiLeaks, qu’une partie de son pouvoir "découle du fait que la Jamahiriya dispose de peu de structures de décision et de lignes de décisions opaques" . Un autre aspect est que la Libye "est une kleptocratie dans laquelle le régime a une prise directe sur tout ce qui s’achète, se vend ou se possède".
Au début des années 80, Kadhafi se présentait comme le défenseur des opprimés et des exploités, "ceux qui n’ont ni fortune, ni pouvoir, ni armes" . Qui a dit que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument ?

© Copyright La Libre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire