(L'Express 24/02/2011)
Le 19 février, de violents affrontements ont émaillé la tentative des quatre chefs d'Etat, nommés par l'Union Africaine afin de proposer des solutions à la crise politique ivoirienne. Depuis, les heurts continuent à Abidjan.
De violents affrontements à Abidjan
A l'image des révoltes qui secouent le monde arabe, le Premier ministre du candidat Ouattara, reconnu président de la Côte d'Ivoire par la Commission électorale et la communauté internationale en novembre 2010, a appelé le 19 février le peuple ivoirien à "se soulever pour chasser Gbagbo du pouvoir".
Ainsi, ce mardi 22 février, de violents heurts ont éclaté dans le quartier d'Abobo, à Abidjan, lors d'une embuscade, faisant dix morts du côté des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), fidèles à Laurent Gbagbo. Un haut responsable du Cecos, Centre de commandement des opérations de sécurité, a cependant assuré ce mercredi à l'AFP, que trois des tués faisaient partie de leur commandement.
"Les combats, engagés à l'arme lourde, montrent un réarmement des Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire (FNCI), la rébellion qui contrôle le nord du pays", et alliée du président Ouattara, note la journaliste du quotidien Libération, Sabine Cessou. La presse ivoirienne redoute alors une montée de la radicalisation du camp Ouattara, et parlait au sujet de cette embuscade de "commando invisible".
Cette nouvelle escalade des tensions fait en effet figure de représailles de la part du camp Ouattara, après que, samedi 19 février, dix manifestants ont été tués par les FDS, dans les quartiers d'Abobo, Koumassi, et Treichville.
Ce mercredi, les FDS occupaient désormais le terrain, et ont posté deux blindés dans le quartier d'Abobo. "Depuis mardi, les assaillants ont pris le coin, ils ont tué des corps habillés [hommes en uniforme, ndlr]. Je quitte la zone", a déclaré à l'AFP une dame, baluchon sur la tête. Une partie de la population, qui fuit la capitale, craint en effet une reprise des violences.
Avec cette vingtaine de morts supplémentaires, le bilan des violences post-électorales dans le pays depuis la mi-décembre est porté à 291 personnes tuées.
Craignant une reprise des violences, nombreux sont les habitants d'Abidjan fuient la capitale.
REUTERS/Luc Gnago
La bataille économique toujours persistante
Engagée le 24 janvier dernier, l'interdiction des exportations de cacao, qui représentent 20% du PIB du pays avec le café, a été récemment prolongée jusqu'au 15 mars. Le gouvernement Ouattara "tient à saluer l'ensemble des opérateurs du secteur pour leur franche collaboration et pour le respect" de l'interdiction, a indiqué le Premier ministre Guillaume Soro. Jusqu'à présent, la production de la fève brune était sous contrôle du président sortant Laurent Gbagbo.
Outre ces mesures, qui n'impliquent pas le marché intérieur, a précisé le camp Ouattara, les sanctions économiques restent toujours fermes contre Laurent Gbagbo.
La BCEAO (Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest), dont les agences ivoiriennes ont été "réquisitionnées" par le camp Gbagbo, a récemment transféré les pouvoirs de gestion des comptes du pays dans les mains d'Alassane Ouattara.
D'autre part, Les Etats-Unis et l'Union européenne ont pris une série de sanctions économiques contre le président sortant, gelant notamment ses avoirs et ceux de ses proches le 14 janvier dernier. A ce stade, ce sont 91 personnes, dont le gouverneur démissionnaire de la BCEAO, Philippe Henry Dacoury-Tabley, et 13 entreprises ivoiriennes qui sont sous le coup de sanctions financières.
Etranglé financièrement et risquant la faillite, le camp Gbagbo pourrait finalement ne plus pouvoir payer les militaires fidèles au régime du président sortant. Gbagbo lâché par ses forces spéciales, les observateurs prédisent alors bientôt un retournement de la situation.
Des négociations sans résultat concluant
Un panel de cinq chef d'Etats africains - Mauritanie, Tchad, Afrique du Sud, Burkina Faso, Tanzanie -, a été nommé début février par l'Union Africaine, en marge du sommet d'Addis Abeba (Ethopie), afin de dénouer la crise politique qui dure depuis le 28 novembre dernier.
A l'issue de la réunion du 20 février à Nouakchott, lors de laquelle le panel devait décider quelles solutions apporter à la crise, les chefs d'Etat ont refusé toute déclaration. "Le travail progresse", a simplement déclaré aux journalistes le président tanzanien Jikaya Kikwete.
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, et le candidat reconnu président de la Côte d'Ivoire Alassane Ouattara, le 22 février.
REUTERS/Thierry Gouegnon
Les discussions de ce panel devaient se poursuivre ce lundi par une rencontre avec Laurent Gbagbo, et ensuite le mardi avec Alassane Ouattara. A la fin de ce second tête-à-tête, les chefs d'Etat africains ont une nouvelle fois montré leur impuissance.
"Nous n'avons pas de solution entre [nos] mains", a déclaré Mohamed Ould Abdel Aziz, dirigeant de la Mauritanie. "On en est seulement au stade de la prospection", a cependant tenu à préciser une source proche du panel à Abidjan. Ils espèrent désormais une issue "qui, au-delà de la Côte d'Ivoire, va sauver la paix dans la sous-région, dans toute l'Afrique", a indiqué Mohamed Ould Abdel Aziz.
Si ces prises de position semblent timides, le panel, qui doit aboutir d'ici au 28 février à des solutions "contraignantes" pour les deux camps, a néanmoins proposé un possible "partage des pouvoirs" entre Ouattara et Gbagbo.
"L'un pourrait être président et l'autre vice-président pendant deux ans et ensuite ils alterneraient", a suggéré le ministre sud-africain adjoint aux Affaires étrangères, Ibrahim Ibrahim, interrogé au Cap. Le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix en Côte d'Ivoire, Alain Leroy, avait pourtant récemment écarté un "partage du pouvoir" à égalité entre les deux camps.
La médiation africaine divisée
Ces propositions de médiation semblent toutefois être émaillées par des dissensions au sein de la médiation africaine. A la fin du rendez-vous à l'hôtel du Golf avec Alassane Ouattara, plus d'une cinquantaine de ses partisans ont manifesté leur hostilité envers le président sud-africain Jacob Zuma, présent dans le panel, et largement considéré dans leur camp comme un allié de Laurent Gbagbo.
Si les sanctions économiques n'aboutissent pas à un changement de régime, alors bien sûr la force sera utilisée
L'Union Africaine doit aussi faire face à des divergences de point de vue s'agissant d'un possible recours à la force. En effet, l'Union africaine, soutenue par l'Afrique du Sud et l'Ouganda, privilégie la solution pacifique alors que plusieurs voix s'élèvent pour ne pas écarter une possible intervention militaire.
L'ex-médiateur Raila Odinga, Premier ministre kényan, a jugé que si les sanctions économiques n'aboutissaient pas à "un changement de régime, alors bien sûr la force sera utilisée". Une position que partagent les ambassadeurs Philipp Carter aux Etats-Unis, et Ali Coulibaly en France.
Quant à la Cédéao (Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest), elle a adopté une ligne dure en brandissant la menace de la force pour déloger Gbagbo du palais présidentiel. D'autant que l'organisation a fortement regretté que le chef d'Etat burkinabé, Blaise Compaoré, ajourne sa venue à Nouakchott pour raison de sécurité.
Enfin, "à Paris, on fait comprendre dans les coulisses que la force Licorne, composée de 900 militaires français, est 'opérationnelle'. Elle sert de renfort à la mission des Nations Unis en Côte d'Ivoire (Onuci), mais pourrait appuyer une intervention militaire africaine", indique pour sa part Sabine Cessou dans Libération.
Tous ces piétinnements n'annoncent rien de bon pour la suite, lorsque l'on sait qu'Alassane Ouattara avait bien averti le panel, le 22 février, que leur "mission [constituait] la mission de la dernière chance".
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