(L'Express 23/05/2011)
Samedi à Abidjan, le président français a promis une fois encore la mise en oeuvre d'une "nouvelle politique africaine". Chiche?
On appellera cela le serment de Port-Bouët. A la faveur du discours prononcé le 21 mai à Abidjan devant la communauté française de Côte d'Ivoire, peu après la cérémonie d'investiture d'Alassane Dramane Ouattara, Nicolas Sarkozy a dessiné -une fois de plus- les contours d'une "nouvelle politique africaine"; doctrine rénovée dont la crise postélectorale ivoirienne serait en quelque sorte le banc d'essai. Et ce près de quatre ans après avoir promis une "rupture" dont on aura pour l'essentiel vainement attendu les effets. Chat échaudé...
Dans l'enceinte de la base militaire qui hébergeait encore voilà peu le 43e Bima (Bataillon d'infanterie de marine), le locataire de l'Elysée a annoncé le maintien sur place d'un détachement, au-delà du départ programmé du contingent Licorne, histoire de garantir "la protection de nos ressortissants". De même, "la France contribuera à la réforme" des forces ivoiriennes, comme l'atteste l'envoi récent auprès de Ouattara d'un colonel pourvu du titre de "conseiller spécial". Reste, a tenu à préciser "Sarko", que "l'armée française n'a pas vocation, c'est une nouvelle époque, à soutenir ou à intervenir dans les affaires des Etats africains". En d'autres termes, "elle n'est pas là pour assurer la stabilité de quelque gouvernement que ce soit, fût-il un gouvernement ami". De même, le chef de l'Etat confirme la révision prochaine, et négociée, d'un nouvel accord de coopération militaire, dont le contenu "sera publié". "La France, précise-t-il, ne veut plus d'accord secret, d'accord caché. La France n'a rien à cacher." Là encore, acceptons-en l'augure. Rien de vraiment nouveau au demeurant sous le soleil de la lagune Ebrié: sur ce chapitre, Nicolas Sarkozy avait donné le ton en février 2008 au Cap, devant le parlement sud-africain. Depuis lors, quatre des huit pays de l'ex-pré carré francophone concernés ont conclu la rénovation du pacte léonin qui, depuis l'indépendance, les liait à l'ancienne puissance coloniale.
Entre démocratie et dictature, pas de demi-mesure
L'escale de Port-Bouët aura aussi et surtout offert au successeur de Jacques Chirac l'occasion de revêtir la toge du chantre de la démocratie, laquelle "n'est pas un privilège réservé aux pays occidentaux". "C'est une nouvelle politique africaine que nous mettons en oeuvre, affirme-t-il. Et même une nouvelle politique étrangère, que notre engagement en Côte d'Ivoire a illustrée ces derniers mois". Pas question, à l'en croire, de transiger avec un "pouvoir illégitime" - allusion à la tentative de hold-up électoral du sortant Laurent Gbagbo: "En matière démocratique, il n'y a pas d'arrangement. Il y a la démocratie ou il y a la dictature, le respect de l'Etat de droit ou la violence."
Alternative pour le moins radicale et distinguo périlleux. En l'espèce, Paris s'est plutôt jusqu'alors accommodé de l'entre-deux et d'une stratégie à géométrie variable. Quitte à avaliser, en Mauritanie, le putsch du général Mohamed Ould Abdelaziz, aux dépens d'un président dûment élu, ou à voler au secours du Tchadien Idriss Déby Itno, assiégé en son palais de N'Djamena par des colonnes rebelles. Faut-il reléguer le Cameroun de Paul Biya, le Congo-Brazzaville de Denis Sassou-Nguesso ou Djibouti au rang d'implacables dictatures? Ce serait un rien outrancier. Doit-on pour autant ranger ces pays parmi les démocraties dignes de ce nom? Certainement pas. Quand, voilà peu, mutineries et émeutes ébranlèrent le pouvoir à bout de souffle du Burkinabé Blaise Compaoré, l'embarras de Paris était palpable. Tout comme le fut son soulagement lorsque cet allié loyal sembla surmonter l'épreuve.
L'ambigüité a prévalu aussi sur le front des urnes: si la France officielle avait fait preuve d'autant d'intransigeance vis-à-vis du Gabon qu'envers la Côte d'Ivoire, sans doute ne se serait-elle pas empressée d'avaliser, à l'été 2009, la "victoire" d'Ali Bongo Ondimba. Deux poids, deux mesures? A l'époque, l'Elysée et le Quai d'Orsay martelaient en choeur une formule réitérée samedi à Abidjan: "La France n'a pas de candidat". Posture aussitôt démentie par l'avocat Robert Bourgi, émissaire officieux alors très en cour à l'Elysée. Revendiquant un statut " d'ami écouté " de Sarkozy, ce vétéran des réseaux de la Françafrique avait en ce temps-là adoubé Ali, fils et héritier du défunt Omar Bongo, meilleur garant à ses yeux des "intérêts de la France". Faut-il y voir un signe? A Yamoussoukro, on n'a pas croisé ce prince des antichambres à l'entregent légendaire.
Soyons clairs. A ce stade, et jusqu'à preuve du contraire, la Côte d'Ivoire demeure un cas particulier. Au mieux, le laboratoire d'une approche nouvelle. Au pire, une exception. Il y a les mots et les actes. Reste donc à prendre Sarko au mot. En attendant les actes.
Par Vincent Hugeux, publié le 23/05/2011 à 08:48
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