lundi 23 mai 2011

Algérie - Face à la contestation, Alger propose des réformes

(Le Temps.ch 23/05/2011)

«Il faut donner des perspectives aux Algériens, c’est tout l’enjeu», explique le ministre des Finances, Karim Djoudi. L’opposition boycotte la consultation visant à réviser la Constitution.
Confronté à des revendications sociales émiettées mais ininterrompues depuis quatre mois, le gouvernement algérien tente de colmater les brèches. Le 2 mai, le Conseil des ministres, présidé par le président Abdelaziz Bouteflika, a adopté un projet de loi de finances complémentaire pour 2011 comportant une augmentation de 25% de la dépense publique estimée à près de 80 milliards d’euros. «Il faut donner des perspectives aux Algériens, c’est tout l’enjeu», déclare au Monde le ministre des Finances, Karim Djoudi.
Dans la foulée, un volet politique s’ouvre. Samedi, une commission désignée par le chef de l’Etat a commencé ses travaux pour mettre en œuvre des réformes «profondes» et réviser la Constitution.
Les leçons des révoltes arabes ont été tirées. A Alger, la place des Martyrs, qui a été occupée par des sit-in, est désormais inaccessible, ceinturée de palissades, officiellement pour travaux. Pour endiguer la contestation sociale, l’Etat algérien dépense sans compter, en complément du plan 2010-2014 qui prévoit déjà près de 200 milliards d’euros d’investissements pour le logement, l’éducation ou les équipements publics. Les produits de première nécessité, le lait, le blé, élargis à l’huile et au sucre – dont l’augmentation des prix avait été à l’origine de graves émeutes en janvier – sont subventionnés. Dans ce domaine, l’intervention de l’Etat a plus que triplé, pour atteindre 2,6 milliards d’euros pour la seule année 2011.
Des programmes colossaux d’aide à l’emploi sont mis en œuvre: crédits gratuits, abattements fiscaux, garanties bancaires, prise en charge d’une partie du salaire pour 500 000 jeunes diplômés, aides au financement de 50 000 projets pour des jeunes chômeurs, création de 48 fonds d’investissement public en faveur des PME… Selon Karim Djoudi, 3,4 milliards d’euros ont été provisionnés en 2011 pour les augmentations de salaire dans le secteur public, parfois avec effet rétroactif, en plus des 4,2 milliards déjà budgétés.
«Changer par nous-mêmes»
Après des pans entiers du secteur public, police, enseignement, justice, santé, c’est au tour des entreprises publiques de réclamer leur part. Depuis le 16 mai, les dockers du port d’Alger sont en grève, tandis que des employés de Sonatrach, le géant pétrolier, ont obtenu 40% de hausse des salaires. La pression sociale s’est un peu atténuée, mais l’effet pourrait être de courte durée. «Il est possible que l’inflation grignote un peu, avance le ministre des Finances, mais cet effet est compensé en partie par le soutien aux produits de première nécessité.»
Le relais devra être pris sur le plan politique. «Nous sommes tenus de changer par nous-mêmes avant qu’on ne nous l’impose, il n’y a plus de sujets tabous!» assure Nacer Mehal, ministre de la Communication. Un mois après avoir annoncé, le 15 avril, des réformes, Abdelaziz Bouteflika en a précisé les contours: lois organiques sur les partis politiques, l’information, la place des femmes dans les assemblées élues, révision du code électoral. «Je réaffirme que les réformes politiques seront profondes», a souligné le président algérien devant le Conseil des ministres du 2 mai dont le contenu a été rendu public, en réponse au scepticisme ambiant. «La totalité de ces projets devra être sur le bureau de l’Assemblée populaire nationale au plus tard au début de sa prochaine session d’automne», a insisté le chef de l’Etat. A plus long terme, une révision de la Constitution est engagée, qui pourrait être soumise au parlement, après les élections législatives de 2012.
Pour mener les consultations des partis politiques et de personnalités, une commission ad hoc a été désignée, pilotée par Abdelkader Bensalah, président du Sénat, assisté de deux conseillers du chef de l’Etat, le général Mohamed Touati, surnommé «El-Mokh» (le cerveau), une des figures de la sphère militaire qui participa à l’interruption du processus électoral en 1992, et Mohamed Ali Boughazi, un proche d’Abdelaziz Bouteflika. Mais deux partis d’opposition, le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ont déjà annoncé leur décision de ne pas s’y rendre, de même que des organisations de la société civile.
«Réveiller la société»
A Oran, au siège de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), pilier de la contestation où se côtoient journalistes, enseignants, syndicalistes et professions libérales, la détermination reste entière: «Notre premier objectif était de casser le mur de la peur pour le droit de manifester, le droit de faire de la politique, et nous y sommes parvenus», souligne Kaddour Chouicha, membre de la coordination. «Nous sommes là pour réveiller la société, pas pour réagir à des promesses organisées par des gens qui participent au système depuis plus de vingt ans, poursuit cet universitaire. Nous ne demandons pas la révision de la Constitution, il suffirait juste d’appliquer l’actuelle.» En étirant le calendrier jusqu’en 2012, le gouvernement a surtout donné le sentiment de vouloir gagner du temps.

lundi23 mai 2011
Isabelle Mandraud envoyée spéciale à Alger et Oran
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