(Alterinfo 07/02/2013)
Washington a obtenu un accord avec le gouvernement du Niger
afin d’établir une base militaire dans ce pays d’Afrique du Nord-Ouest qui borde
le Mali. L’accord survient au beau milieu de l’intervention de la France au
Mali, qui utilise des avions de combat et des troupes au sol.
L’accord,
rapporté pour la première fois par le New York Times le 29 janvier, prépare le
terrain au Pentagone pour qu’il établisse une base pour les vols de drones à
travers toute la région. L’article du New York Times citait des responsables
américains anonymes.
Tandis que les responsables américains et les médias
plaçaient l’accord sur la base militaire dans le contexte de la guerre française
au Mali, c’est évident que Washington a négocié avec le gouvernement du Niger
bien avant que l’avancée des milices islamistes vers le sud du Mali ne déclenche
l’intervention française le 11 janvier. Il semble plutôt que les récents
événements au Mali aient servi de prétexte pour une militarisation américaine de
la région qui était déjà planifiée.
Pendant plusieurs mois, les médias et
les milieux officiels n’ont cessé de désigner l’Afrique comme le « nouveau front
» de la guerre contre le terrorisme. Il a été rapporté qu’AFRICOM, le
commandement militaire américain servant aux opérations en Afrique, tente
d’établir des bases sur le continent et de déployer pour la première fois des
brigades de combat en sol africain.
L’accord conclu avec le gouvernement du
Niger est semblable à ce qu’exige d’habitude le Pentagone partout où il déploie
des troupes : les forces américaines bénéficient de l’immunité totale pour
n’importe quel crime commis sur le territoire.
Selon le Times, on anticipe
que quelque 300 soldats américains et d’agences privées seront stationnés à la
base du Niger. Le Wall Street Journal a rapporté mardi de la semaine dernière
qu’environ 50 membres de l’armée américaine étaient déployés au Niger.
Les
États-Unis ont préalablement établi des bases de drones en Éthiopie et au
Djibouti, l’étroit territoire africain semi-colonial situé à la jonction de la
mer Rouge et du Golf d’Aden, qui est l’endroit où les États-Unis et la France
gèrent conjointement Camp Lemonnier. Ce dernier est le site d’une équipe
américaine d’opérations spéciales composée de 200 membres. Ces bases, ainsi que
des bases aériennes secrètes dans la péninsule arabe, ont été utilisées pour
réaliser les attaques et les assassinats aux missiles par drones en Somalie et
au Yémen. Cependant, elles sont situées à près de 5000 kilomètres du Mali.
Washington a aussi déployé des avions-espions turbopropulsés à partir de
bases aériennes secrètes au Burkina Faso et en Mauritanie, selon ce que
rapportait le Washington Post l’an dernier d’après des câbles diplomatiques
américains qui avaient été rendus publics par WikiLeaks et des documents
contractuels de l’armée. Des représentants des États-Unis ont cependant admis
que ces vols d’espionnage au-dessus du Mali et d’autres régions de l’ouest de
l’Afrique du Nord avaient connu peu de succès.
« Pour l’instant, les
représentants ne prévoient déployer que des drones de surveillance à partir de
cette base [du Niger], mais ils n’écartent pas la possibilité d’effectuer des
frappes de missiles si la menace s’intensifie », a rapporté le Times le 29
janvier.
Cette explication est peu crédible. Même si les drones peuvent très
bien être employés pour recueillir des renseignements qui seraient transmis à la
France pour l’exécution de cibles potentielles, il ne fait pas de doute que
l’administration Obama prévoie étendre son massacre par drones à l’Afrique du
Nord-Ouest.
Le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta, a lancé
implicitement cette menace suite à la prise d’otages en Algérie plus tôt le mois
dernier. « Nous avons la responsabilité de pourchasser Al-Qaïda où qu’il se
trouve », a déclaré Panetta en ajoutant que les États-Unis le « pourchassaient »
au Pakistan, au Yémen et en Somalie – où des attaques de drones prennent place
continuellement – et vont empêcher qu’il n’établisse de « base d’opérations en
Afrique du Nord et au Mali ».
Comme l’a fait remarquer le Wall Street
Journal, les préparatifs pour établir une base permanente au Niger « montrent
jusqu’à quel point les États-Unis et la France se préparent pour une campagne
militaire à durée indéterminée en Afrique du Nord et de l’Ouest ».
En effet,
l’un des plus hauts responsables du département d’État américain chargés du
dossier de l’Afrique a soutenu le 28 janvier que l’offensive actuelle au Mali «
pourrait prendre des années ».
« Ce n’est que la première phase », a admis
Don Yamamoto, le principal sous-secrétaire d’État aux affaires africaines, à
Associated Press. « Je pense que les gens ne devraient pas avoir d’illusions et
croire que ce conflit va être réglé rapidement », a-t-il ajouté. « Cela va
prendre du temps, plusieurs années… il faut aller jusqu’au bout. »
Yamamoto
a indiqué que Washington avait déjà commencé à former et équiper des soldats du
Niger, du Tchad, du Sénégal, du Burkina Faso et du Togo et qu’il allait les
transporter jusqu’au Mali pour qu’ils soient intégrés à des forces armées
africaines. AFRICOM a aussi annoncé qu’il appuyait l’intervention de la France
en fournissant des avions de transport militaires pour le déplacement des
troupes et des armes françaises et en effectuant le plein de carburant de leurs
avions de guerre.
Le représentant du département d’État américain a aussi
déclaré à AP : « Beaucoup de groupes rebelles qui se battent présentement dans
la région faisaient partie des troupes de Kadhafi. Ils ont été formés durant
plus d’une décennie. Ces groupes rebelles sont bien entraînés, bien armés et
très agressifs. Des problèmes de gouvernance dans le pays ouvriraient la porte à
ces groupes extrémistes, et c’est ce qui est arrivé au Mali. »
C’est une
présentation grossièrement déformée et intéressée des événements au Mali. La
réalité est que la crise a été précipitée par la guerre États-Unis-OTAN pour un
changement de régime, qui s’est terminée par l’assassinat du dirigeant libyen
Mouammar Kadhafi. Le renversement du régime libyen a déstabilisé la région
entière. Il a amené les Touaregs, une population nomade présente en Libye, au
Mali, au Niger et ailleurs dans la région, a fuir vers le Mali dans des
conditions où les « rebelles » soutenus par les Américains traquaient et tuaient
les personnes de race noire en Libye.
Les Touaregs, qui ont combattu du côté
de Kadhafi, ont amené avec eux une grande quantité d’armes, ravivant une révolte
qui a éclaté au moins quatre fois depuis l’indépendance du Mali en 1960. Des
unités touarègues entières de l’armée malienne ont grossi les rangs des
rebelles.
Toutefois, des islamistes mieux armés et mieux financés, affiliés
à Al-Qaïda du Maghreb islamique, sont entrés par le nord du Mali et ont pris le
contrôle de larges étendues de territoire. Il s’agissait des mêmes forces que
les États-Unis et l’OTAN ont soutenues et armées en Libye, les utilisant comme
une force terrestre par procuration dans la guerre pour renverser Kadhafi.
Les remarques de Yamamoto suggèrent fortement que l’impérialisme américain
intervient au Mali non simplement pour chasser ou détruire ses alliées
d’autrefois, les islamistes (les mêmes forces qu’ils défendent toujours en
Syrie), mais aussi afin d’écraser la révolte touarègue.
Étant donné que la
même population touarègue existe à l’est du Niger, l’intervention américaine
pourrait étendre cette révolte et enflammer une guerre civile ethnique
transnationale.
Ce qui sous-tend les activités incendiaires de Washington en
Afrique du Nord-Ouest n’est pas, fondamentalement, la crainte d’une supposée
menace terroriste, mais plutôt la détermination de l’impérialisme américain,
comme son homologue français, à mettre la main sur les richesses énergétiques et
minières stratégiquement vitales de la région.
Les États-Unis font la
démonstration de leur pouvoir militaire dans des conditions où ils ont été
devancés en termes d’échange et d’investissement par leur rival ascendant dans
la région, la Chine.
Comme le câble diplomatique secret divulgué par
WikiLeaks a révélé, les activités économiques de la Chine ont été une
préoccupation centrale pour les espions et diplomates américains assignés à
Niamey, la capitale du Niger.
Un des câbles vers Washington mentionnait ceci
: « La Chine se bâtit un important portfolio dans les secteurs des ressources du
Niger et va probablement remplacer la France comme premier investisseur étranger
du Niger lorsque les projets en construction seront pleinement fonctionnels. Les
investissements chinois incluent la production de pétrole et de gaz, le
raffinage, les mines d’uranium et l’infrastructure. Il n’y a pas d’exemples
actuels d’une collaboration États-Unis-Chine au Niger. »
La démarche pour
militariser la région du Sahel africain fait partie intégrante du fameux « pivot
» de l’administration Obama vers l’Asie, basé sur une escalade continue de la
confrontation de Washington avec la Chine. Elle s’étend jusqu’en Afrique, où la
tentative d’assurer la domination militaire américaine des territoires riches en
ressources et où la Chine a développé des intérêts économiques considérables, a
le potentiel de contribuer à une guerre bien plus importante.
WSWS
Bill Van Auken
Jeudi 7 Février 2013
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Alterinfo
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