(Survie 13/02/2013) Après l’entrée en guerre de la France au Mali, et la prise
des villes du nord, des personnalités politiques françaises, Laurent Fabius et
Elisabeth Guigou en tête, mettent en avant les revendications du MNLA et
l’autonomie du nord du pays.
Al’occasion du point presse du 28 janvier,
le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius déclare qu’« il revient aux
autorités maliennes de préparer des élections et d’engager sans plus attendre
des discussions avec les représentants légitimes des populations du nord (élus
locaux, société civile) et les groupes armés non terroristes qui reconnaissent
l’intégrité territoriale du Mali. Seul un dialogue nord-sud permettra de
préparer le retour de l’Etat malien dans la région Nord ».
Elisabeth
Guigou, députée, présidente de la commission des Affaires étrangères déclare à
son tour le 2 février qu’« il faut qu’un plan d’autonomie pour le nord du mali
soit mis en place parce que c’est demandé depuis très longtemps par les Touaregs
en particulier mais pas seulement. » La classe politique semble assez unanime
sur la question.
En janvier 2012, le ministre des Affaires étrangères de
l’époque, Alain Juppé, en visite à Bamako en avait appelé au dialogue avec le
MNLA. Un an plus tard, il semble vouloir donner aussi du crédit au groupe
Mouvement islamique de l’Azawad (une scission d’Ansar Dine au lendemain de
l’intervention de janvier 2013, qui en appelle soudain à une solution politique)
et persiste « beaucoup d’entre eux [des Touareg] se battent, depuis des
décennies, non pour imposer la charia mais pour faire valoir leurs droits. Nous
avons affirmé notre détermination à garantir l’intégrité territoriale du Mali et
c’est un principe fondamental. Mais dans ce cadre, des solutions de
décentralisation poussée, voire d’autonomie sont envisageables ».
En
réalité, à partir de fin 2011, quand le MNLA se constitue, les autorités
françaises ont adopté une posture équivoque et lui ont prêté une oreille
attentive, sans doute notamment dans l’idée que ce groupe armé touareg puisse
être un allié dans la lutte contre AQMI – un argumentaire à nouveau repris
aujourd’hui. La même année, la visite au Quai d’Orsay d’une délégation du MNLA
avait fait du bruit.
En janvier 2013, un drôle de personnage refait
surface : Robert Dulas. Emissaire officieux, barbouze, ancien conseiller de
divers chefs d’Etats africains, vice-président de la société militaire privée
française Secopex, cet « ex-« ambassadeur itinérant et plénipotentiaire » (!) a
été nommé, en 2010, par la junte au pouvoir à Niamey pour travailler « à
l’émergence d’une province autonome touareg » (Lettre du continent n°604). Dulas
explique donc dans un interview à la Tribune de Genève qu’un accord se négocie
en coulisses avec le MNLA : « Des contacts ont été pris avec la France, les
choses sont en phase de finalisation ». A noter que le MNLA et une faction du
groupe Ansar Dine entrée en dissidence, le MIA, ont opportunément repris la
ville de Kidal à la veille de l’arrivée de l’armée française.
Une
barbouze française grenouille avec le MNLA
Robert Dulas déballe même
largement son rôle d’intermédiaire :
« J’ai aidé à la réalisation
d’une tournée diplomatique pour leur ouvrir des portes en Europe et aux
Etats-Unis. Il fallait que les gens et en particulier les politiques comprennent
que les Touareg du MNLA étaient laïques et totalement contre l’application de la
charia. En France, ils ont été reçus à l’Assemblée nationale, au Sénat, aux
Affaires étrangères et dans différents ministères. Ils ont aussi pu nouer des
contacts avec le Nigeria et l’Algérie. Par la suite, ils ont été perçus
différemment. La Suisse aussi a noué des contacts avec eux et collaboré à la
rédaction de textes de consensus. »
Au-delà du politique, les médias
français offrent aussi une couverture exceptionnelle aux portes-parole du MNLA.
En premier lieu Moussa Ag Assarid qui a accès régulièrement aux antennes depuis
le mois de janvier 2012 y compris depuis la déclaration d’indépendance de
l’Azawad du MNLA faite le 6 avril 2013. Surprenant quand officiellement,
l’intervention française a pour but officiel le retour à l’intégrité
territoriale du Mali.
On peut s’étonner que les autorités et les médias
français fassent tant de cas des revendications fluctuantes de ce groupe – et à
l’inverse prennent peu en compte la voix des autres Maliens demeurant dans le
nord du pays – ou d’ailleurs.
Au Mali, Kalifa Doumbia, député UDD élu en
Commune VI de Bamako déclare en janvier 2013 : « Nous pensons qu’il n’y a pas
réellement d’interlocuteur en matière de négociation en ce moment. Nous ne les
croyons pas du tout, mais seulement, il y a des communautés qui sont restées en
place, nous pouvons demander une table-ronde de conciliation avec ses
populations pour que nous puissions établir une véritable base de développement
socio-économique et de mieux vivre avec les populations du nord.
»
L’engouement des autorités et médias français pour le peuple touareg et
l’autonomie du nord évacue les réalités que les Maliens connaissent bien : le
MNLA n’est pas représentatif des Touareg, loin s’en faut et ils ne sont pas
seuls habitants au nord du Mali. Et ils ne sont même pas majoritaires en nombre,
Peuls, Songhaï, Arabes, Bamanan étant complètement oubliés. Escamotés aussi
l’histoire politique complexe de la région et les différents accords – en
particulier le Pacte national signé à l’issue de la rébellion des années 1990
qui ont permis d’intégrer de nombreux Touaregs et Arabes du nord dans l’armée et
dans l’administration depuis vingt ans et prévu le décaissement de sommes
importantes pour le développement du nord du pays..
Simplification à
outrance
Les autorités comme les médias français ne rappellent pas non
plus que des personnalités touaregues sont aux commandes des plus hautes
institutions du Mali comme Oumarou Ag Mohamed Ibrahim président du Haut Conseil
des Collectivités, Assarid Ag Ambarcaouane, vice-président de l’Assemblée
nationale, Agatham Ag Alhassane, ex-directeur de l’ABFN, ex-ministre de
l’Environnement puis de l’Agriculture... Ni que sur dix-neuf députés du Nord,
onze sont des Touareg.
Quant à savoir si le nord du Mali a été
particulièrement négligé au profit du reste du Mali, rien n’est moins certain.
Plus de 70% de la population du Mali vit en dessous du seuil de pauvreté, que ce
soit dans les régions du nord ou ailleurs. Des projets étaient en cours avant le
conflit : une route pour mieux desservir Tombouctou ou le barrage de Taoussa qui
allait transformer l’agriculture de la région. Et si les fonds d’aide affectés
au nord n’ont pas apporté les résultats escomptés, le phénomène n’est pas propre
à cette région.
Alors pourquoi cet amour immodéré des autorités
françaises pour le MNLA ? Comment se fait-il que les champions de la démocratie
placent sur le même plan les élus des régions du nord et les « groupes armés non
terroristes », alors que ce même groupe a été le premier à prendre les armes en
janvier 2012 ? Pourquoi tout ce vocabulaire qui fait des Touareg un groupe à
part, alors que le Mali est un pays pluri-ethnique. Pourquoi chercher à dresser
le « nord » contre le « Sud », alors qu’un collectif des conseils régionaux de
Mopti, Tombouctou, Gao et Kidal en appellent à un processus où « les populations
civiles et l’ensemble de leurs élus et représentants [seraient] au cœur du
processus de paix et de réconciliation » et engagent leur responsabilité
collective « pour la préservation de notre vivreensemble » ?
par
Gérard Moreau, Juliette Poirson
Vous venez de lire un article du mensuel
Billets d'Afrique 221 - février 2013.
© Copyright Survie
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