mercredi 13 février 2013

Le Burkina Faso reprend en main son secteur minier

(La dépèche diplomatique 13/02/2013) Luc Adolphe Tiao, Premier ministre du Burkina Faso, l’a rappelé, chiffres à l’appui, dans sa déclaration de politique générale prononcée, le mercredi 30 janvier 2013, devant l’Assemblée nationale : « Les mines constituent aujourd’hui un véritable pilier de notre développement ». Les chiffres sont probants : l’or est le premier produit d’exportation du pays : 1.116 milliards de francs CFA, contribuant désormais pour environ 20,1 % au PIB !
Au 31 décembre 2012, les réalisations au titre de l’ensemble des régies de recettes se sont élevées à 188,69 milliards de francs CFA, soit 18,64 % des recettes propres de l’année, contre 123,63 milliards de francs CFA à fin 2011. « Au-delà de ces chiffres, a souligné le premier ministre, mon gouvernement entend optimiser la contribution des mines pour en faire de véritables moteurs du développement local […] Le gouvernement travaillera particulièrement à l’encadrement des projets avancés, à la diversification des ressources exploitées, à la mise en œuvre d’une politique d’exploitation des substances de carrières. Il s’attellera à poursuivre la cartographie géologique, et veillera au renforcement des capacités des administrations de suivi du secteur minier. Au plan législatif et réglementaire, la Déclaration de la politique minière, le Guide de l’investisseur minier et le Code minier seront relus pour prendre davantage en compte à la fois les intérêts socio-économiques du Burkina et les contraintes qui freinent l’épanouissement harmonieux du secteur minier ». Voilà donc les mines érigées en priorité économique et sociale.
On sait que ce secteur, qui s’est développé au cours des dernières années de façon quelque peu anarchique, est source de tensions. L’exploitation artisanale sauvage des sites d’orpaillage pose des problèmes environnementaux majeurs : une partie du Sahel a été transformée en paysage lunaire. Et les sociétés minières sont confrontées, selon le mot très soft de Tiao, aux « discordances entre les attentes des communautés riveraines et [leurs] engagements sociaux ». Il y a surtout l’impression dominante que le secteur est non seulement peu créateur d’emplois mais que l’enrichissement des compagnies exploitantes est bien plus significatif que celui de l’Etat et des collectivités. C’est dans ce contexte que le conseil des ministres d’hier, mercredi 6 février 2013, a adopté un rapport « relatif à la valorisation des actions détenues par l’Etat dans les sociétés minières » qui devrait déboucher sur la mise en place d’une société d’Etat qui permettrait « un meilleur suivi du secteur ».
La Haute-Volta était considérée comme un des rares pays d’Afrique francophone à ne pas posséder de ressources naturelles significatives. La sécheresse qui a frappé le Sahel au cours de la décennie 1970 avait conduit le pays à accorder une priorité absolue à la résolution des crises alimentaires ; la Haute-Volta avait alors deux obsessions : le déficit céréalier et le désenclavement. Cette question du désenclavement conditionnait aussi la mise en valeur des ressources minières du pays. C’est cependant à cette époque que la réactivation de l’exploitation du gisement aurifère de Poura (la mine avait été fermée en mars 1966) a été décidée dans le cadre de la restructuration de la Société de recherches et d’exploitations minières (SOREMI) – créée en 1961 notamment pour l’exploitation de l’or de Poura et dans laquelle la participation de l’Etat devait être accrue. C’est aussi à cette époque que le projet d’exploitation du gisement de minerai de manganèse du Liptako-Gourma a été lancé avec la création, en 1975, de la Société minière de Tambao (Somitam).
C’est aussi en 1975 que sera publiée une volumineuse synthèse sur le potentiel minier du pays. Les phosphates de Kodjari, le manganèse de Tambao, l’or de Poura, le calcaire de Tin-Hrassan, le zinc de Perkoa (à 30 km au Nord de Koudougou)… laissaient penser à certains que la Haute-Volta pouvait être « un véritable scandale géologique ». Le colonel Saye Zerbo (chef d’Etat en 1980-1982) l’affirmera. Le 1er mai 1981, il présentera un programme d’action en matière minière qui visait à « redynamiser » le Bureau voltaïque de la géologie et des mines (BVGM) – créé en 1978 – « seul responsable de notre politique de recherche minière et, à ce titre, [chargé de] coordonner toutes les activités entreprises ». Saye Zerbo ajoutera ce jour-là, parce que c’était dans l’air du temps (et nous étions, en plus, le 1er mai) : « L’Etat, seul propriétaire du sous-sol, sera toujours majoritaire dans la composition du capital des entreprises engagées dans le secteur minier […] En tout état de cause, nous n’accepterons jamais d’être une simple réserve de matières premières. Tous les efforts seront déployés pour rentabiliser ces ressources minières dans le but de déclencher, aussi vite que possible, le processus d’industrialisation ».
La « Révolution » va transformer la Soremi en Soremib et le BVGM en Bumigeb (Bureau des mines et de la géologie du Burkina) sans que, pour autant, l’exploitation minière au Burkina Faso devienne une priorité : la « Révolution » n’était pas passionnée par un secteur d’activité dominé par les multinationales ! Il y avait bien un département des mines au sein du ministère de la Promotion économique* mais il faudra attendre l’instauration du « Front populaire » pour qu’il soit érigé en secrétariat d’Etat sous tutelle du ministère de la Promotion économique (à l’époque installé dans l’ancienne résidence du président de l’Assemblée nationale, sur le boulevard de la Révolution du 4-Août).
C’est qu’à cette époque l’or est déjà devenu le deuxième produit d’exportation du Burkina Faso derrière le coton**. En 1989 sera publiée la carte des gites minéraux qui laissera espérer un grand avenir minier au pays. Un géologue de formation, ingénieur de l’Ecole des mines de Paris, Boubacar Yahya Diallo, sera nommé secrétaire d’Etat aux mines. Il devra faire face au boom de l’exploitation artisanale de l’or qui mobilisera (dans un désordre indescriptible : les parcelles étaient librement distribuées, et il n’y avait aucune législation régissant cette exploitation) jusqu’à 10 à 15.000 personnes par site d’exploitation.
Mais cette production, qui n’était que de 64 kg au début de la « Révolution » dépassera1.000 kg/an au début des années 1990. Au sein du plan quinquennal, une « filière or » sera mise en place (les quatre autres filières étant essentiellement agricoles) pour développer l’exploitation artisanale et semi-industrielle de l’or (il était envisagé alors qu’elle débouche sur la mise en place d’une société d’économie mixte). Le « Front populaire » aura une vision excessivement libérale du développement de ce secteur. « Nous sommes prêts à nous associer avec des partenaires privés pour assurer l’exploitation des gisements, me disait alors Yahya Diallo. Nous n’exigeons pas la majorité du capital. Nous avons vu, d’ailleurs, à travers d’autres expériences, que cela n’était pas l’essentiel. Ici même, à Poura, où l’Etat est actionnaire à hauteur de 60 %, cette participation majoritaire nous a obligés à souscrire à beaucoup d’engagements et à nous porter aval au niveau des différents emprunts ».
* Les mines ont été rattachées aux investissements, à l’industrie et au commerce dès la formation du premier gouvernement (18 mai 1957), pratique maintenue par Maurice Yaméogo (mais parfois le mot « mines » disparaissait de l’intitulé gouvernemental), Aboubakar Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo (mais dans le gouvernement du 30 septembre 1982, il va associer énergie et mines) et Jean-Baptiste Ouédraogo. Thomas Sankara fera la même chose dans son premier gouvernement (24 août 1983) ; mais avec l’instauration du ministère de la Promotion économique confié au capitaine Henri Zongo, le 31 août 1984, les mines n’apparaissent plus dans l’intitulé gouvernemental. L’accession au pouvoir de Blaise Compaoré va donner naissance, pour la première fois, à un secrétariat d’Etat aux Mines (31 octobre 1987).
** La mine d’or de Poura est alors exploitée par la Soremib et produit 2.500 kg d’or par an mais, en 1988, elle sera victime d’un éboulement qui bouchera l’accès à la mine et il faudra plusieurs années pour que la production soit relancée, un temps, dans un contexte difficile du fait de la chute des cours de l’or. La Société des mines de Guiro, quant à elle, structure artisanale, ne produisait que 100 kg d’or. Enfin, il existait une Société minière coréo-burkinabè (Somicob) qui associait le Burkina Faso et la… République populaire et démocratique de Corée (Corée du Nord).

Jean-Pierre BEJOT

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