(LibreAfrique.org 01/02/2013)
L’aide internationale publique, versée sur l’agriculture
ivoirienne, n’a jamais rien fait pousser sauf, peut être, la mauvaise herbe de
la corruption. Celle-ci, si elle engraisse quelques hommes de l’Etat, n’aide ni
l’agriculture à se développer, ni les paysans à sortir de la
misère.
Situation agricole de la Côte d’Ivoire.
La Côte d’Ivoire,
pourtant, est le pays des bons et des mauvais records. Bon record pour le cacao,
dont elle est le premier producteur mondial, et bon record pour le café, dont
elle est le troisième producteur au monde. Mauvais record puisque ses paysans y
ont un niveau de vie particulièrement bas, y compris si on le compare à celui
d’autres pays non-émergents. Néanmoins, l’Etat a décidé de conserver l’habitude
coloniale de contrôle des filières café-cacao tant sur les modalités globales de
production que sur les prix.
Pourtant, depuis l’indépendance, le pouvoir
politique semblait s’être engagé dans diverses grandes campagnes d’intervention
publique visant à améliorer la production et à diminuer la misère du secteur
agricole : la mesure clef étant l’entrée en application du « Code foncier rural
», autrement appelé loi de 1998. Ce code était sensé sécuriser la propriété
foncière, fixant les modalités de délivrance des certificats puis des titres
fonciers, lesquels permettent d’accéder à la possession de sa terre et donc,
aussi, aux hypothèques, mesure indispensable pour emprunter de l’argent à une
banque. Le code, toutefois, est d’une application presque impossible soit pour
des raisons directement financières (pas de possibilité pour le paysan de payer
les frais) soit pour des raisons de conflits de normes (opposition droit foncier
rural-droits coutumiers) soit pour des raisons purement pratiques (inadaptation
de la loi aux usages et traditions ivoiriennes d’occupation et de partage de la
terre).
A ces problèmes structurels fondamentaux pour la filière
s’ajoutent un taux de bancarisation, en Côte d’Ivoire, très faible ainsi que des
taux d’intérêt extrêmement élevés, tout comme des frais bancaires parfois
disproportionnés vis-à-vis des sommes confiées. La situation agricole peut donc
se résumer ainsi : une insécurité sur les routes rendant le transport presque
impossible (qui pénalise largement la filière anacarde), une grande instabilité
et pas de sécurité sur la possession des terres ni sur les prix qui dépendent
non pas du marché libre, rencontre vraie de l’offre et de la demande, mais
simplement des décisions et arrangements politiques.
Le mutuellisme, clef
du développement agricole.
L’économie sociale et solidaire fait reposer
son système sur l’individu, sur son épanouissement durable, et sur son rôle
fondamental dans la société. Le mutuellisme s’inscrit dans cette ligne : il
prône l’égalité de parole des individus et l’adhésion libre et volontaire à des
groupements organisés. Ces groupements, par exemple, sont les coopératives
agricoles et les banques mutuellistes de producteurs. Les coopératives
agricoles, en Côte d’Ivoire, assurent la représentativité des planteurs et, plus
largement, des exploitants. Elles permettent de trouver information et conseils
mais aussi des moyens d’action commune : elles peuvent, par exemple, garantir le
stockage en sécurité des récoltes en mutualisant le coût du gardiennage (chaque
producteur donne une petite partie de sa récolte à la coopérative qui paye un ou
plusieurs gardiens).
Les coopératives agricoles peuvent, aussi, devenir
des lieux d’expérimentation. C’est ce qui se passe, par exemple, en France et
dans les pays d’Europe où les producteurs, groupés en coopératives puissantes,
cherchent ensemble, en faisant appel à des experts qu’ils rémunèrent comme les
gardiens, cités plus haut, des solutions pour améliorer et développer leurs
filières tant en terme de qualité, que de pénibilité du travail, de rendements,
mais aussi de débouchés.
Les coopératives agricoles, en Côte d’Ivoire,
devraient s’inspirer de ce modèle et exiger plus de libertés auprès des pouvoirs
publics. Qui, mieux que les producteurs, peut décider pour les producteurs ? Les
producteurs ivoiriens ne sont-ils pas capables de se grouper et d’organiser, en
fonction de leurs besoins et de leurs attentes, leur propre filière ?
Le
mutuellisme, réalisé au sein des coopératives, est un gage de sécurité et de
stabilité pour les producteurs qui y trouveront un lieu de formation pratique,
par l’échange d’expériences précieuses accumulées par des générations de
planteurs, mais aussi des informations sur les débouchés, sur les innovations,
sur le potentiel de telle ou telle culture. Dans un pays où la valeur ajoutée
des produits agricoles, qui fait toute la richesse des nations développées, est
donnée par des usines non-ivoiriennes implantées à l’étranger, le mutuellisme
est une clef fondamentale du développement pour changer les choses.
La
coopérative agricole peut être un lieu où entreposer ses fèves de cacao ou son
café avant la vente. Mais elle peut aussi, si elle est bien administrée,
proposer des formations à ses membres pour apprendre à mieux travailler le sol
et donc en tirer de meilleures et de plus grandes récoltes. A cela peut
s’ajouter la création d’une caisse commune de solidarité pour les planteurs âgés
qui, après une vie de dur labeur, savent qu’ils ne trouveront pas dans les
retraites de misère versées par l’Etat de quoi survivre. Si, durant toute une
vie, à chaque récolte, ils versent un ou deux sacs de cacao ou de café sur un
compte de prévoyance, ils trouveront, une fois trop usés pour travailler encore,
les fruits de leurs efforts passés. Ces sacs épargnés seront vendus, et la
valeur obtenue pourra être prêtée, à des taux très faibles, à d’autres
planteurs, plus jeunes, qui rembourseront sur chaque récolte la somme mise à
disposition par leurs anciens.
Le mutuellisme n’est pas qu’une affaire
d’argent, il est avant tout une économie sociale et solidaire, garante de liens
humains durables, mais aussi d’une filière agricole forte, organisée autour de
sa plus grande richesse : la liberté des hommes et des femmes qui la
composent.
Auteur : Nicolas Madelénat di Florio
Nicolas
Madelénat di Florio, enseignant chercheur associé au Centre de Recherches en
Éthique économique, Faculté de Droit et de Science Politique, Aix-en-Provence.
Chercheur pour Audace Institut Afrique.
Article publié originellement
sur le d'Audace Institut Afrique.
Publié en collaboration avec
UnMondeLibre.org
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