vendredi 8 février 2013

Cameroun : les incertitudes du calendrier électoral divisent la classe politique (PAPIER D'ANGLE)

(Xinhuanet 08/02/2013)
YAOUNDE -- Le président camerounais Paul Biya, dans son discours à la nation le 31 décembre, n'a pas fixé un calendrier précis des élections sénatoriales, législatives et municipales prévues depuis l'année dernière et rendues hypothétiques en 2013 en raison notamment de l'absence d'un fichier électoral, suscitant ainsi une vive protestation de l'opposition.
Paul Biya n'a pas fait d'annonce au sujet des élections législatives et municipales, en vue du renouvellement des mandats des 180 députés et 10 636 conseillers municipaux, échus depuis juillet 2012.
Pour rester en fonction, les mandats des députés ont déjà été prorogés à deux reprises, d'abord par une première loi adoptée par l'Assemblée nationale le 19 avril pour une durée de 6 mois et une autre loi du 21 décembre pour une durée de 3 mois qui expire le 21 mai.
Dans la même optique, le président de la République a pris un décret prorogeant les mandats des conseillers municipaux pour une période d'un an qui s'achève le 30 juillet 2013. Le Code électoral lui donne le pouvoir de décider d'une dernière prorogation de 6 mois.
Dans la même adresse aux Camerounais, le président de la République s'est contenté, sans pour autant fixer une date, d'annoncer pour 2013 l'organisation des sénatoriales, qui se préparent depuis 2009 en vue de la mise en place du Senat prévu par la Constitution du 18 janvier 1996.
LES ATTENTES DE LA CLASSE POLITIQUE CONTRATRIEES
"Le gouvernement doit rendre publique la date des élections d'ici la fin du mois de février 2013, s'il est vraiment animé par le souci de transparence, et ce afin (...) de préserver l'égalité de chance entre les partis", a souhaité Maurice KAMTO, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), un parti d'opposition, dans son message de vœux aux Camerounais.
Or, rappelle Parfait Siki, journaliste politique camerounais, depuis les premières élections multipartistes organisées en 1992, Paul Biya n'a jamais annoncé de calendrier électoral précis longtemps à l'avance.
"Cette attitude du président s'inscrit dans une perspective de gestion opaque de l'agenda électoral. Une ruse politique qu'il affectionne visant à leurrer ses adversaires sur les échéances pour finalement les surprendre", a expliqué Mathias Eric Owona Nguini, politologue et enseignant à l'université de Yaoundé II-Soa, à Xinhua.
Et c'est ce que redoute justement l'opposition, qui soupçonne Paul Biya de vouloir tricher.
"La tenue probable de l'élection des sénateurs avant les élections municipales et régionales serait une manœuvre politique inacceptable, qui reviendrait à assurer au RDPC une majorité écrasante", a souligné Maurice Kamto, ancien ministre délégué à la Justice, dans un communiqué remis à la presse.
En effet, le corps électoral des sénatoriales n'est constitué, en attendant la mise en place des conseils régionaux, que des conseillers municipaux. Or, au terme des élections de 2007, le RDPC, parti au pouvoir, a remporté l'écrasante majorité des 10 636 conseillers.
Même s'il reconnait à Paul Biya la volonté de rester unique maître du calendrier électoral, Hilaire Kamga, expert camerounais en questions électorales et porte-parole de la plateforme de la société civile pour la démocratie, soutient que le président de la République a annoncé l'élection qui lui pose le moins de problèmes.
"Paul Biya a eu raison de ne pas annoncer un calendrier plus complet alors que le fichier électoral n'est pas encore disponible", a indiqué à Xinhua Hilaire Kamga, qui est par ailleurs membre élu du comité directeur de l'ONG Nouveaux droits de l'homme France.
Cette observation est confortée par l'annonce à Cameroon tribune (quotidien gouvernemental) par Mohaman Sani Tanimou, directeur général des élections d'Elections Cameroon (Elecam) en charge de l'organisation des élections, de mettre le fichier électoral à disposition en avril.
LES INSCRIPTIONS ELECTORALES TRAINENT
Et encore, aucun s'inquiète que Elecam ne réussisse jusqu'en fin mars, date butoir que cet organe s'est imposé pour boucler les inscriptions, à atteindre l'objectif visé de 7 008 704 électeurs inscrits.
"A la date du 12 janvier 2013, nous avons inscrit 2 811 921 électeurs", a reconnu Mohaman Sani Tanimou, trois mois après le lancement de la refonte biométrique des listes électorales prescrite par Paul Biya, en raison du refus de la classe politique d'aller à une nouvelle élection avec le fichier électoral de 2011, décrié pour ses tares.
Pour booster les inscriptions, plusieurs mesures ont été prises : gratuité de délivrance de la carte nationale d'identité indispensable pour toute inscription, mobilisation générale de tous les acteurs politiques y compris de l'administration publique, diffusion des spots publicitaires destinés à sensibiliser les Camerounais, etc.
Ces stratégies ne dissipent pas pour autant les inquiétudes tant du pouvoir que de l'opposition quant à la capacité d'Elecam à inscrire 7 millions d'électeurs avec seulement 1200 kits électoraux qui, non seulement s'avèrent insuffisants, mais de surcroit connaissent des problèmes de maintenance.
"Elecam ne dispose pas d'assez de moyens pour atteindre tous les Camerounais en âge de voter. Les kits sont très insuffisants pour couvrir l'ensemble du territoire national. Dire que 50 % des 7 millions d' électeurs attendus seront inscrits d' ici le 28 février est difficile", a corroboré Sali Dairou, député et membre du bureau politique du RDPC, à Cameroon tribune.
Pour pallier une éventuelle défaillance d'Elecam, " l'on envisage d'obtenir un consensus de la classe politique autour d'une prorogation des mandats des élus pour une période allant jusqu'à deux ans afin d'avoir un fichier accepté de tous", a confié une source gouvernementale à Xinhua.
Selon Hilaire Kamga, "cette proposition est pertinente, car l'action d'Elecam est aussi handicapée par la désaffection des Camerounais pour les élections. Cette période peut donc être mise à profit pour mobiliser acteurs politiques, société civile et médias afin de mieux sensibiliser les populations".
Si cette proposition n'emporte pas l'adhésion, a ajouté la source gouvernementale, les élections seront organisées avec le fichier mis à disposition par Elecam à la date prévue. Surtout qu' au Cameroun, le système électoral ne fixe pas un minimum électoral requis.
"Même avec un million d' électeurs, les élections seront juridiquement valables mais pas légitimes", précise Hilaire Kamga.


Par Dominique MBASSI

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