lundi 4 février 2013

Cameroun : et si c’était dans les prisons de l’opération « Epervier » que se prépare « l’après-Biya » ?

(La dépèche diplomatique 04/02/2013)
Paul Biya est à Paris. Ce qui ne saurait étonner. Il est rarement chez lui, au Cameroun ; plus rarement encore en charge des affaires de l’Etat. Le Cameroun est en « roue libre ». En permanence. Il ne vit pas sur ses acquis ; il n’y en a pas. Ce qui le maintient en équilibre et le fait avancer, c’est la rage de vivre d’une population qui vit majoritairement sous le seuil de pauvreté et la connexion affairo-politique de sa classe dirigeante.
Hommes politiques/hommes d’affaires ou hommes d’affaires/hommes politiques, il est impossible, au Cameroun, d’être l’un sans l’autre. C’est une bureaucratie dont le fondement du pouvoir est la confiscation de la rente pétrolière (qui s’amenuise de plus en plus). Elle a permis l’instauration d’un mode de production politique qui, souvent, flirte avec l’économie mafieuse.
C’est que les richesses du Cameroun, au-delà du pétrole et du gaz, sont considérables : café, cacao, hévéa, palmier à huile, maïs, thé, riz, coton et les vivriers mais aussi l’élevage, la pêche, l’exploitation forestière sans compter des ressources hydroélectriques considérables. Elles attirent investisseurs et multinationales qui se satisfont d’un pays dont la stabilité est évidente et dont la population est active. Au-delà de ses ressources naturelles, le Cameroun dispose de ressources humaines qui s’illustrent dans les activités intellectuelles, culturelles, sportives mais aussi et surtout entrepreneuriales. Le bilinguisme du pays, héritage de son passé « colonial »*, est aussi une chance, notamment pour la diaspora qui essaime partout dans la région et dans le monde.
Plus de cinquante ans d’indépendance ; deux chefs d’Etat seulement, le deuxième (Paul Biya) étant l’héritier constitutionnel du premier (Amadou Ahidjo). Le Cameroun est un modèle de stabilité et ce mot-là est l’obsession de ce pays qui a connu, des années 1950 jusqu’aux années 1970, une situation politique traumatisante du fait de l’action des maquis de l’UPC dont l’éradication a fait l’objet d’une répression brutale du régime en place, en étroite connexion avec la France qui entendait que le pays ne tombe pas dans l’orbite des « communistes ». C’est au nom de cette « stabilité » que les Camerounais ont fait le gros dos depuis toujours, des centaines d’ethnies parlant plus de deux cent cinquante langues, des populations anglophones et des populations francophones, des musulmans au Nord et des chrétiens au Sud, une histoire mouvementée… tous les ingrédients étaient réunis pour que la guerre l’emporte sur la paix.
Les Camerounais n’ont jamais été dupes des dérives des pouvoirs en place. Mais s’ils ont accepté l’inacceptable et toléré l’intolérable c’est au nom de cette « stabilité ». Combien de responsables politiques camerounais, parmi les plus proches des chefs d’Etat en place, m’ont dit : « On sait » ? Tout en m’affirmant que c’était le prix à payer pour que ce pays ne retombe pas dans les errements des années 1950-1970 (le leader de l’UPC, Ernest Ouandié, a été fusillé en janvier 1971 à Bafoussam, c’est dire qu’Ahidjo prenait au sérieux l’action de ce parti d’opposition qui avait une branche armée).
Cette obsession de la « stabilité » a été largement instrumentalisée par le pouvoir en place pour justifier des mesures coercitives et empêcher ainsi quiconque d’avoir des velléités de changement. Si Mgr Ndongmo, évêque du Mungo, avait été arrêté en août 1970, à la suite de Ouandié, et condamné à mort, emprisonné pendant cinq ans et expulsé, au motif de « coup d’Etat spirituel » sous Ahidjo, la justice de Biya peut condamner un homme à vingt-cinq ans de prison pour « complicité intellectuelle » dans un détournement de fonds publics ! Cet homme s’appelle Marafa Hamidou Yaya. Il y a à peine plus d’un an, il était encore considéré comme le « successeur potentiel » de Paul Biya qui, après plus de trente ans au pouvoir (6 novembre 1982), va célébrer son 80ème anniversaire dans quelques jours, le 13 février 2013. Marafa est un Peul de Garoua, à l’instar d’Ahidjo. Né en 1952, bachelier en 1973, licencié en géologie de l’université de Yaoundé (1976), il va obtenir un Master en génie pétrolier à l’université du Kansas en 1980. De retour au Cameroun, il débutera comme ingénieur chez Elf-Serepca (mai-septembre 1980) avant de rejoindre la Société nationale des hydrocarbures (SNH) comme chef du département exploitation-production (juin 1981-septembre 1990) puis conseiller technique chargé des relations avec le FMI et la Banque mondiale (septembre 1990-novembre 1992). Les ressources du pétrole n’étant pas budgétisées au Cameroun, la rente liée à son exploitation était totalement entre les mains du pouvoir, ce qui n’était pas dans la norme des institutions de Bretton Woods. C’est dire que Marafa connaissait particulièrement bien les petits secrets du pouvoir**.
Au lendemain de la réélection de Biya à la présidence en 1992, Marafa sera nommé secrétaire d’Etat aux Finances n° 2 dans le gouvernement de Simon Achidi Achu. Il le restera jusqu’au 21 juillet 1994. Il passe alors à la présidence de la République, en tant que conseiller spécial. C’est Titus Edzoa, médecin personnel et ami de Biya, qui était alors promu secrétaire général à la présidence. Le 7 décembre 1997, Marafa va prendre la place d’Edzoa, condamné en octobre 1997 à quinze ans d’emprisonnement pour détournements de deniers publics. Lors du remaniement du 27 avril 2001, il sera reconduit dans ses fonctions mais avec, cette fois, le titre de ministre d’Etat : une position qui avait été celle, autrefois, de Biya sous Ahidjo. Changement de situation le 24 août 2002 : Marafa est remplacé au secrétariat général par Jean-Marie Atangana Mebara ; il se retrouve ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation : un poste qui permet de contrôler les leviers de l’Etat.
Le 9 octobre 2011, Biya est réélu avec près de 78 % des suffrages (il avait été élu pour la première fois en 1984 puis réélu en 1987, 1992, 1997 et 2004, le mandat présidentiel étant passé, entre temps, de cinq à sept ans). Le 9 décembre 2011, un nouveau gouvernement (pléthorique comme d’habitude : 61 membres !) est mis en place : Marafa n’en fait pas partie. Habitué du palais d’Etoudi, bien vu à Paris et à Washington, dans les milieux politiques comme dans les milieux d’affaires (on le dit proche, en France, de Vincent Bolloré), il était considéré comme « un successeur potentiel » de Biya. Ce qui n’est jamais bon au Cameroun où, pour durer, il faut éviter que la tête ne dépasse et qu’elle fasse de l’ombre au maître d’Etoudi. Plus encore quand c’est une tête bien faite et bien pleine qui ne cache pas son ambition d’être un jour président de la République.
La tête de Marafa dépassait beaucoup trop : il sera mis en cause, le 31 janvier 2012, dans « l’affaire de l’Albatros » (une carambouille de 31 millions de dollars pour l’acquisition, jamais réalisée, d’un Boeing destiné à Biya). Et le 16 avril 2012, il se retrouvera à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé. Il viendra ainsi compléter la longue liste de ceux qui ont été incarcérés à la suite de Titus Edzoa (le prédécesseur de Marafa au secrétariat général de la présidence) le 3 juillet 1998 : on compte des secrétaires généraux adjoints de la présidence, des ministres, des directeurs de société d’Etat, des patrons, des hommes, des femmes, une centaine de personnalités qui ont toutes été au zénith dans le « système Biya ». C’est le résultat de l’opération « Epervier » déclenchée en 2006 par Biya sous prétexte d’éradiquer la corruption.
* Le Cameroun, « découvert et pénétré » par les Allemands à la fin du XIXème siècle, colonisation assurée principalement par les maisons de commerce, a été conquis par les troupes françaises de l’AEF et anglaises du Nigeria au cours de la Première guerre mondiale. A la fin de la guerre, il a été placé sous tutelle de ces deux puissances européennes par la Société des Nations. Le Cameroun n’a jamais été stricto sensu une colonie de la France ou de la Grande-Bretagne.
** Au moment du clash entre Amadou Ahidjo et Paul Biya, à la suite de ce qui a été présenté comme une tentative de coup d’Etat (6 avril 1984) des Nordistes pro-Ahidjo contre le Sudiste Biya, les élites du Nord se sont trouvées dans le collimateur du pouvoir. Marafa sera accusé d’avoir participé au complot, il sera arrêté et incarcéré pendant deux mois dans le cadre d’une campagne « anti-peule ».

© La Dépêche Diplomatique : Jean-Pierre BEJOT

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