(Afrikarabia 18/04/2011)
En présence de Bernard Kouchner, Laurent Contini s’interroge sur le refus des militaires français de sauver les employés tutsi de l’ambassade et du Centre culturel français de Kigali au début du génocide de 1994, alors qu’ils en avaient reçu l’ordre.
Que s’est-il réellement passé à Kigali en avril 1994, au début du génocide, alors que la France avait dépêché sur place d’importants moyens militaires pour sauver les expatriés ? Le 8 avril 1994, deux jours après l'attentat contre le président Habyarimana et alors que les massacres de Tutsi et de Hutu démocrates faisaient rage, la France avait déclenché l'opération Amaryllis pour permettre l'évacuation de ses ressortissants et d’autres occidentaux. Le colonel Henri Poncet (aujourd’hui général) commandait cette opération. Selon plusieurs experts, il avait recommandé à ses hommes d’éviter tout contact avec les journalistes et de conserver un secret absolu sur l’ordre de conduite des opérations.
De présumés tueurs de Tutsi « sauvés » par les militaires français
Les militaires français avaient évacué la veuve du président, Agathe Habyarimana, ainsi que son entourage et les enfants de l’orphelinat Sainte-Agathe qu’elle avait fondé. Et aussi des adultes qui se présentaient comme les membres de l’encadrement de l’orphelinat. Mais il apparut plus tard que certains de ces « encadreurs » auraient participé aux tueries de Tutsi. Ils auraient notamment exterminé les personnels tutsi de l’orphelinat avant d’être eux-mêmes « sauvés » par les militaires français.
Le combat solitaire d’André Guichaoua
Par contre, les militaires français s’étaient refusés à exfiltrer les employés tutsi de l’ambassade de France et du Centre culturel français, qui les suppliaient. Le professeur André Guichaoua a mis en cause l’attitude de l’ambassadeur de France de l’époque dans son dernier ouvrage « Rwanda, de la guerre au génocide ». Présent sur place, lui-même avait eu les plus grandes difficultés à sauver les quatre enfants d’Agathe Uwilinyimana, la Première ministre, qui venait d’être assassinée avec son mari. André Guichaoua avait réussi à téléphoner à son grand ami Pierre Péan pour tenter d’obtenir le feu vert de l’Elysée, avant de devoir se débrouiller seul.
« Ils m'ont fait comprendre que je les emmerdais ». Vénuste Kahyimahe, rescapé tutsi
Certains rescapés rwandais, dans des témoignages recueillis par l’association Survie, ont vivement critiqué cette opération Amaryllis qui n'incluait pas l'évacuation des Rwandais menacés par les massacres, même lorsqu'ils étaient employés par les autorités françaises. Vénuste Kahyimahe, un Rwandais qui travaillait au Centre culturel français à Kigali, consignera dans son livre « France-Rwanda : les coulisses du génocide » ce qu'il considère comme un abandon français et une description de cette opération où les soldats avaient occupé le centre culturel comme quartier général. Il a également témoigné verbalement dans le documentaire de Raphaël Glucksmannn et David Hazan, Rwanda: Tuez-les tous :
« Ils sont restés trois ou quatre jours, je les ai suppliés, Ils m'ont fait comprendre que je les emmerdais, qu'il n'était pas question qu'ils nous emmènent, quand ils partiront ils vont nous laisser. Deux jeunes militaires ont essayé de nous aider mais c'était dérisoire, ils m'ont réveillé au milieu de la nuit en disant “Comment vous allez faire, demain on part, on va vous abandonner, c'est sûr. C'est les ordres, on doit vous abandonner. Il faut vous préparer à vous défendre.” J'ai dit que je n'avais pas d'arme. »
Une véritable aversion pour les Tutsi chez de hauts gradés français
Lors de leurs auditions devant la mission d'information parlementaire sur le Rwanda, les ministres du gouvernement français affirmeront ne pas avoir donné l'ordre de refuser d’évacuer les Tutsi. Les archives consultées à cette occasion confirment les affirmations des dirigeants français. Les soldats français avaient ordre d'évacuer tous les Rwandais qui pouvaient être joignables. Pourtant, des employés tutsi menacés d’extermination se trouvaient juste à côté d’eux, dans leur quartier général.
Devant les accusations dont ils sont l’objet depuis 17 ans, les hauts gradés français gardaient depuis lors le silence, se contentant de s’indigner. Dans son récent livre « Rwanda, je demande justice pour la France et ses soldats » (Ed. Jacob-Duvernet), Didier Tauzin, aujourd’hui général, qui est intervenu à deux reprises au Rwanda (mais pas pendant Amaryllis) exprime une véritable aversion pour les Tutsi. Il ne fait que reprendre un discours habituel des hauts gradés français qui ont exercé des commandements au Rwanda ou à proximité, comme le général Lafourcade dans son livre « Opération Turquoise » ou le colonel de réserve Jacques Hogard sur son ancien blog très virulent (fermé depuis 2007, sans doute sur pression du ministère de la Défense). Les uns et les autres revendiquent une certaine forme d’impunité pour les actions militaires conduites à l’initiative de François Mitterrand au Rwanda entre 1990 et 1994.
Des militaires aux explications pas convaincantes
Depuis lors, le refus de sauver les employés tutsi de l’ambassade et du centre culturel constitue une plaie ouverte pour les rescapés et leur famille. Dominique Decherf, ambassadeur de France jusqu’à la rupture des relations diplomatiques en 2006, avait présenté les excuses de la France pour cet épisode tout sauf glorieux. Mais les raisons de la non-assistance restaient confuses.
C’est pourquoi le discours de l’actuel ambassadeur de France, Laurent Contini, le 9 avril à l’occasion de la 17e commémoration du génocide, fait l’effet d’un pavé dans la mare. En présence de Bernard Kouchner, ex-ministre des Affaires étrangères, il s’est exprimé dans l’enceinte de l’ambassade à Kigali « en mémoire du personnel de cette ambassade, qui a péri a lors du génocide des Tutsi en 1994 ». En s’interrogeant à haute voix : « C’est une tache bien délicate pour un ambassadeur, pour un diplomate français, pour un citoyen français de faire face à ce passe douloureux, a cet épisode malheureux. Comment expliquer en effet que ces personnes, ces gens, qui travaillaient avec nous n’ont pas été évacuées lors de l’opération Amaryllis, en avril 1994 ? Des raisons ont été avancées, je les connais, je les ai lues, la sécurité, il n’y avait plus de place dans l’avion, on ne pouvait pas joindre les gens au téléphone, Kigali n’est pas une ville avec des noms de rues etc. etc. Apres 17 ans, ce n’est pas des raisons qui sont convaincantes. »
S’appuyant sur les travaux des chercheurs, mais visiblement aussi sur ses propres recherches dans les archives du Quai d’Orsay, Laurent Contini a poursuivi : « Maintenant, nous savons un certain nombre de choses. Par exemple qu’il y a eu un télégramme diplomatique le 11 avril 1994, qui donnait l’autorisation à l’ambassadeur d’évacuer le personnel, son personnel. Cela a été confirmé par un ordre donné aux militaires. Alors pourquoi ? Pourquoi ces gens là n’ont pas été évacués ? Je n’ai pas, je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de réponse mais en tout cas aujourd’hui, je tenais à le faire. Je tenais à vous exprimer, les membres de la famille, mes profonds regrets. Et vous présenter mes excuses. Pour cet abandon tragique. »
André Guichaoua s’est donc trompé en accusant Jean-Michel Marlaud, l’ambassadeur de France de l’époque, d’apathie ou d’indifférence envers le sort de ses employés Tutsi et des orphelins de la Première ministre. Reste à savoir pourquoi les militaires français de l’opération Amaryllis et le premier d’entre eux, l’actuel général Henri Poncet, n’ont mis en œuvre les ordres clairs que, selon Laurent Contini, ils avait reçus…
Jean-François Dupaquier
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