(Les Inrocks 26/04/2011)
Alassane Ouattara a du pain sur la planche pour redresser son pays. A moins d'un miracle, les Ivoiriens vont devoir retrousser leurs manches et se mettre au travail.
Commençons par mettre un point final à cette stupide polémique que certains ont cru bon de lancer, sur le rôle de l’armée française dans la libération de la Côte d’Ivoire de la tyrannie de Laurent Gbagbo. Que l’on se le dise une bonne fois pour toutes : ce sont les forces franç… pardon, ivoiriennes qui ont fait tout le travail. Les Français n’ont apporté qu’un tout petit coup de main. Comme cela se fait entre amis.
Reprenons le film de la libération. Vers la mi-mars, les braves et courageuses Forces républicaines de Côte d’Ivoire, FRCI, décident de lancer l’offensive générale contre Laurent Gbagbo. Les FRCI, ce sont les anciens rebelles du Premier ministre Guillaume Soro qui occupent le nord du pays depuis 2002. Elles foncent sur Abidjan où elles arrivent en quelques jours. Les gros du boulot est donc fait. Sans l’aide de personne. Il faut dire que l’armée de Laurent Gbagbo n’est vraiment combative que contre les civils désarmés. Tout comme les FRCI d’ailleurs. Après leur passage dans la ville de Duékoué, on a découvert quelques centaines de cadavres de civils. Il y a eu très peu de combats entre les deux forces armées.
Plusieurs soldats de Gbagbo ont dissimulé leurs treillis pour s’habiller en civil et disparaître dans la nature, quand ils n’ont pas purement et simplement rejoint les FRCI. A Abidjan, les FRCI peinent quelque peu à arriver devant le palais de Gbagbo. Il y a d’abord que le dernier carré de soldats qui défendent Gbagbo sont de vrais pros, bien armés, aidés dit-on de soldats angolais, et qui se battent avec l’énergie du désespoir. Ensuite, les FRCI sont les anciens rebelles, pas vraiment des soldats aguerris, et qui avaient passé le plus clair de leur temps à piller tout ce qu’ils pouvaient dans les zones qu’ils occupaient. Le naturel est donc revenu au galop et certains d’entre eux se sont mis à piller tout ce qu’ils pouvaient à Abidjan.
Qu'a fait la France dans cette histoire ? Trois fois rien
Une première attaque contre le palais de Gbagbo est repoussée. Gbagbo a des armes lourdes. Les forces ivoiriennes se sont donc tournées vers leurs amis français : "Chef, on dirait que y a problème." Sarkozy est allé tirer Jonathan Goodluck, le président nigérian, de sa sieste, et ils ont rédigé ensemble vite fait une résolution que l’ONU a adoptée fissa fissa, pour permettre à la France de détruire les armes lourdes de Gbagbo. Les principaux camps militaires d’Abidjan sont donc bombardés. "Ça peut aller comme ça ?" demandent les Français. "Oui chef."
Les FRCI foncent à nouveau sur le palais de Gbagbo. Les premiers qui y entrent se font proprement canarder, et ils découvrent que leurs gris-gris sensés les protéger contre les balles étaient juste des chiffons. Ils piétinent devant le palais et Laurent Gbagbo fait sortir de nouveaux chars qui étaient cachés semble-t-il dans des domiciles privés. Les FRCI sont sur le point d’être encerclées. Elles se tournent à nouveau vers les Français : "Chef, y a vraiment problème." Les Français bombardent tous les chars qu’ils voient, surtout ceux qui se trouvent dans le palais, et les soldats qui le défendaient avec.
"Ça va maintenant ?" "Euh, est-ce que vous ne pourriez pas aussi par la même occasion nous ouvrir la porte ?" Les Français bombardent la porte, ouvrent une brèche dans le mur de la maison, et un incendie s’y déclare. Gbagbo et les siens n’ont pas d’autre choix que de sortir. Pour être cueillis par les braves et courageux combattants des FRCI.
Alors, qu’a fait la France dans cette histoire ? Trois fois rien. Ce sont les forces ivoiriennes qui ont arrêté Laurent Gbagbo et les siens. Merci donc aux forces franç… Décidément, ce lapsus ! Qui ne révèle rien du tout, que cela soit bien compris. Et honni soit qui mal y pense.
Réconcilier un pays divisé par la haine
Gbagbo capturé et enfermé quelque part au nord de la Côte d’Ivoire, Ouattara a donc pris les rênes du pouvoir. Et il a du boulot à faire. Il lui faut d’abord en toute priorité sécuriser la ville d’Abidjan. Pendant plusieurs jours, elle a été livrée aux pillages des FRCI, des miliciens de Laurent Gbagbo à qui des armes avaient été distribuées, et des voyous de la ville qui ne pouvaient décemment pas laisser passer une aussi belle occasion. Rares furent les maisons qui ne furent pas visitées.
Il y a aussi quelques poches de résistance de certains miliciens qui ne veulent pas déposer les armes. Ils savent bien qu’ils risquent fort de passer de vie à trépas s’ils le font. Dans les guerres africaines, on fait rarement des prisonniers.
Il a aussi à gérer le cas du sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, un des chefs rebelles qui a occupé le quartier d’Abobo et qui refuse de déposer les armes tant qu’il n’aura pas été bombardé général. Général trois étoiles s’il vous plait.
Après cela, il faudra au chef de l’Etat ivoirien réconcilier un pays divisé par la haine, régler la situation de Gbagbo sans se mettre à dos tous ses partisans qui sont nombreux, tout en veillant à ce que justice soit rendue, faire rentrer les FRCI dans les casernes, former une armée avec des gens qui se tapaient dessus il y a seulement quelques semaines, former un gouvernement d’union en essayant de contenter tout le monde, remettre en marche une économie à genoux, trouver de l’argent pour payer les fonctionnaires, pour réparer les dégâts, trouver du travail aux gens, lutter contre la corruption endémique, faire venir des investisseurs, nettoyer l’école gangrénée par la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire), un ancien syndicat estudiantin devenu au fil des années une véritable mafia au service de Laurent Gbagbo et qui n’hésitait pas à pratiquer du racket, à tuer, et à violer, en toute impunité, etc.
Il est certain que le chef de l’Etat ivoirien a du pain sur la planche. Que lui faut-il pour réussir tout cela et faire tenir debout son pays ? Oh rien. Trois fois rien. Juste un petit miracle. Mais comme le bon Dieu est devenu très chiche depuis quelque temps en matière de miracle, il faudra aux Ivoiriens oublier leurs longues siestes, retrousser leurs manches et se mettre à bosser dur.
Venance Konan
26/04/2011
15H49
© Copyright Les Inrocks
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire