(Le Figaro 21/02/2011)
Une délégation de l'UA doit arriver en Côte d'Ivoire, après un week-end de troubles.
La fumée âcre des pneus brûlés s'élève au-dessus du rond-point de la mairie d'Abobo. Tout le week-end, ce quartier d'Abidjan, fief du président élu Alassane Ouattara, a renoué avec la violence. Des camions, chargés de militaires fidèles à Laurent Gbagbo, passent lentement dans les rues. De temps à autre, un coup de feu claque. Samedi matin, les policiers sont violemment intervenus pour disperser un rassemblement des opposants au régime qui, depuis près de trois mois, tentent de chasser Laurent Gbagbo du pouvoir pour y installer Alassane Ouattara, le chef de l'État reconnu par la communauté internationale.
À Koumassi, à l'autre bout de la ville, la scène se répète: militaires, manifestants, tirs. Une carcasse de camion finit de se consumer. Dans un coin, un groupe de jeunes se cache. «Les gens de Gbagbo nous tuent et personne de dit rien», se plaint l'un d'eux. «Gbagbo dégage», hurle son voisin, tentant en vain de reprendre le mot d'ordre des révoltés tunisiens pour galvaniser ses camarades. «Il y a eu trois morts ici et beaucoup de blessés», affirme Issia. Comme toujours en Côte d'Ivoire, le bilan des derniers affrontements reste mystérieux. Deux manifestants auraient été tués selon l'ONU, six d'après les proches de Ouattar a.
Cette montée de la tension a autant surpris que l'instauration d'un couvre-feu sur tout le pays, après deux mois d'une certaine normalité. «Nous avons pris cette décision pour combattre les forces infiltrées par les rebelles dans Abidjan», affirme Ahoua Don Mello, porte-parole du gouvernement de Gbagbo. Ces troubles surviennent à la veille de l'arrivée en Côte d'Ivoire d'une importante délégation de l'Union africaine (UA). Les présidents du Tchad, de Tanzanie, du Burkina-Faso, de Mauritanie et d'Afrique du Sud sont attendus aujourd'hui. Ce panel doit définir la position de l'organisation sur la crise ivoirienne. «Les décisions qu'il prendra seront contraignantes pour tous», dit-on à l'UA.
Fausse sérénité
Pour trouver une solution pacifique à l'impasse politique, la marge de manœuvre de la mission est d'autant plus étroite qu'elle paraît divisée. Elle doit, en théorie, soutenir Alassane Ouattara comme président élu et en convaincre Laurent Gbagbo. Mais Jacob Zuma, le président sud-africain, a toujours refusé d'endosser officiellement cette position. «Les Sud-Africains évoluent. Ils étaient à l'écoute du camp Gbagbo, mais ils semblent désormais se rallier à la majorité», affirme une source au sein de l'UA. Le poids du géant africain sera décisif, et Pretoria, qui vise un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, jouerait gros en se désolidarisant de la communauté internationale. En attendant, les partisans de Laurent Gbagbo s'enferment dans leurs arguments et une fausse sérénité. «Nous accueillons nos amis chefs d'État africains. Ils ont compris et ils ne peuvent que soutenir Laurent Gbagbo», veut croire Pascal Affi N'Guessan, un proche du président autoproclamé. «L'Union africaine a déjà reconnu Alassane Ouattara. Le panel des chefs d'État va le réaffirmer», affirme de son côté Patrick Achi, porte-parole d'Alassane Ouattara. Mais sa fermeté cache mal le désarroi et l'absence de stratégie claire des partisans du président élu.
La huitième mission diplomatique dépêchée à Abidjan depuis les élections n'a guère plus de chance de succès que celles qui l'ont précédée. Au Golf Hotel, où Alassane Ouattara et ses proches sont réfugiés depuis trois mois, un conseiller du premier ministre Guillaume Soro n'est guère optimiste. «Les présidents vont demander à Gbagbo de partir. Il ne le fera pas et on reviendra plus ou moins au point de départ. Cette crise ne trouvera sa solution qu'entre Ivoiriens, tôt ou tard.»
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