(L'Express 11/01/2013)
Paris a décidé d'épauler la contre-offensive déclenchée ce
vendredi sur Konna, ville conquise hier par la nébuleuse djihadiste. Pas facile
de se délester de l'uniforme de "gendarme de l'Afrique"...
Si étranger
aux mystères du bois sacré soit-il, tout président français finit -ou commence-
par se voir rattrapé par l'Afrique. Tel est à l'évidence le cas de François
Hollande, que la tragédie malienne aura cueilli à froid dès son arrivée au
"Château". Ce vendredi, à la faveur de la cérémonie des voeux au corps
diplomatique, le tombeur de Nicolas Sarkozy s'est livré à un exercice
d'équilibrisme, voire de haute-voltige.
« Paris et se tient prêt "à
arrêter l'offensive des terroristes" »
Il ne pouvait bien sûr rester
sourd à l'appel à l'aide militaire émanant du président intérimaire Dioncounda
Traoré, d'ailleurs attendu mercredi prochain à Paris. Face à une "agression
caractérisée", assène le locataire de l'Elysée, Paris "répondra" à cette demande
et se tient prêt "à arrêter l'offensive des terroristes si elle devait se
poursuivre". Allusion transparente à la conquête à l'arme lourde, par la triade
islamiste -Aqmi, Mujao et Ansar-Eddin-, de la ville de Konna, à 70 km de Mopti.
Pour autant, a-t-il pris soin de préciser, cet éventuel engagement "au
côté de nos partenaires africains" s'inscrira "strictement dans le cadre des
résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies". Soit. Il n'empêche:
qu'elle soit dictée par des impératifs tactiques -renforcement de l'emprise
territoriale à la veille d'hypothétiques pourparlers- ou qu'elle annonce la
volonté de marcher sur Bamako, l'offensive djihadiste, la première d'envergure
en neuf mois, change la donne.
"Nous ne resterons pas les bras
croisés"
En enfonçant la ligne de front aux abords de Sévaré, siège du
"poste de commandement opérationnel" de l'armée malienne, une telle percée rompt
un statu quo territorial implicite. "Nous ne resterons pas les bras croisés,
confirme un diplomate français de haut-rang familier des enjeux subsahariens.
Bien sûr, l'objectif demeure d'éviter d'intervenir. Mieux vaudrait que le
message adressé aux agresseurs soit entendu. S'ils s'arrêtent à Konna, OK. S'ils
vont au-delà, il faudra agir plus vite que prévu."
Et sans nul doute
dans un autre format. Car l'imminence du péril souligne la vanité de
l'échéancier du déploiement de la Misma -le contingent panafricain de 3300
hommes censé encadrer et épauler une armée du Mali ressuscitée entretemps-,
programmé dans le meilleur des cas à l'automne prochain. Les actions de
formation entreprises voilà peu par des officiers européens, Français en tête,
tant auprès des soldats maliens que de leurs frères d'armes africains,
fournissent un "arsenal" légal dont on peut au besoin modifier le calibre ou la
vocation.
« Il est tentant d'imaginer des frappes aériennes sur des
colonnes armées ennemies »
Hypothèse illustrée par les mouvements
d'avions-cargos militaires observés hier à Sévaré, tout comme par la présence à
leur bord de "Blancs". Et plus encore par la contre-offensive déclenchée ce
matin sur Konna, avec le concours, précise un officier malien cité par l'AFP,
"d'appareils de pays amis". De même, il est tentant d'imaginer des frappes
aériennes sur des colonnes armées ennemies qui s'aventureraient sur la route de
Mopti ou de Bamako, avant-goût dissuasif du dispositif à venir.
La
fiction des "bons" et des "mauvais" insurgés
Certes, ce scénario suppose
l'aval du Conseil de sécurité. Et l'on voit mal la Russie ou la Chine courir le
risque d'endosser le costume infamant d'alliés objectifs des porte-flingues de
la charia. Plus délicate sans doute, la "neutralisation" en douceur des
préventions de l'Algérie, farouchement hostile à toute ingérence étrangère,
notamment française, et à un moindre degré, de la Mauritanie ou du Burkina Faso.
"Voilà pourquoi, confie-t-on au Quai d'Orsay, nous sommes en train de prendre
contact avec tous les acteurs de la région."
A leur corps défendant, les
stratèges sahéliens du Djihad global facilitent la tâche des partisans de la
riposte militaire. Qui plaidera aujourd'hui pour les vertus d'un "dialogue" ou
d'une "issue négociée" chimériques? De même, l'implication des fantassins
d'Ansar-Eddin porte un coup fatal à cette autre fiction: la possibilité
d'enfoncer un coin entre les "bons" insurgés d'Iyad Ag-Ghali, Touareg malien
saisi par le wahhabisme, et les "irrécupérables" émules d'Al-Qaeda.
«
Bamako bruisse de rumeurs quant à un nouveau coup de force du chef de la
junte Amadou Sanogo »
Reste à jouer serré sur un autre terrain, ô combien
miné: le bourbier politique bamakois. Depuis quelques jours, la capitale bruisse
de rumeurs quant à un nouveau coup de force du chef de la junte Amadou Sanogo.
Lequel, après avoir démis à la hussarde le Premier ministre Cheick Modibo
Diarra, aurait songé à évincer Dioncounda Traoré lui-même.
Peut-être
"l'adresse à la Nation" que le chef d'Etat par intérim doit prononcer ce
vendredi soir à 21h facilitera-t-elle le décryptage de ce énième épisode de "la
résistible ascension" du capitaine putschiste. Lequel redoute non sans raison
l'impact d'une irruption de la Misma et de ses instructeurs au teint pâle dans
sa principauté de Kati. Intrusion préjudiciable à sa rente de situation comme à
ses rêves électoraux et présidentiels.
Un lourd fardeau
postcolonial
François Hollande apprend donc, à ses dépens et sans filet,
qu'il n'est pas si facile de délester la République du fardeau postcolonial,
alourdi au fil des décennies par les calculs conjugués des nostalgiques de la
sujétion coloniale et de potentats impopulaires. A la clé, une forme aiguë de
schizophrénie croisée.
Général-président malmené par une rébellion
hétéroclite, le Centrafricain François Bozizé incarne à merveille la version
africaine de cette duplicité. Il lui est ainsi arrivé dans un même souffle
d'implorer le secours des paras bleu-blanc-rouge, et d'accuser mezza voce
l'ex-parrain hexagonal de lâchage, de trahison, sinon de complot visant à piller
le pactole du sous-sol national, cocktail d'or, d'uranium et de pétrole.
On peut fort bien, et en toute sincérité, prétendre se dévêtir de
l'uniforme de "gendarme de l'Afrique". Mais comment rester l'arme au pied quand
le Mali ploie sous le joug barbare des dévots dévoyés d'Allah? On peut aussi
refuser de voler au secours de "Boz", ancien rebelle menacé par une rébellion.
Pour autant, la présence d'un robuste détachement français sur l'aéroport de
Bangui M'Poko et l'envoi de renforts appelés à protéger le cas échéant les 800
compatriotes recensés en RCA et nos cousins européens, contribuent
objectivement, qu'on le veuille ou non, à entraver tout assaut des insurgés du
Seleka sur Bangui. Dieu qu'il est malaisé pour un président "normal" de
normaliser ce qui ne le fut jamais...
Par Vincent Hugeux, publié
le 11/01/2013 à 16:21, mis à jour à 16:28
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