lundi 28 février 2011

Dictateurs déchus : bienvenue dans les palais de Mobutu

(Rue 89 28/02/2011)

Reportage. A Gdabolite, le dictateur zaïrois avait fait bâtir barrage, piste pour le Concorde, centrale… Visite des vestiges d'un pouvoir fou.
(De Gbadolite, RDC) « Chaque dimanche, Mobutu priait à la chapelle Sainte-Marie-de-Miséricorde, où étaient enterrés sa première femme et ses trois enfants. Ensuite, il invitait tous les fidèles à manger au palais, environ 200 personnes.
Après le repas, il donnait de l'argent à chacun. Il faisait sortir des cartons de billets tout neufs, et chacun se servait. Je n'ai jamais vu un homme qui donnait autant d'argent que Mobutu !
C'était un grand homme d'Etat ! »
Attablé au motel Nzekele, à Gbadolite, au nord-ouest de l'actuelle République démocratique du Congo, Zoro Kenga, ancien maître d'hôtel du palais Kawele, se souvient avec nostalgie de ses années au service de l'ancien dictateur du Zaïre.
« Mobutu a doté Gbadolite de toutes les infrastructures »
Avec ses proches, avec les chefs d'Etat étrangers qui le soutenaient, comme avec les villageois de la région de son enfance, le président milliardaire savait se montrer très généreux. L'actuel maire de la ville, Achille Kwangbo :
« Gbadolite est la plus belle ville de l'Equateur [une province de RDC, ndlr]. Mobutu l'a dotée de toutes les infrastructures. »
Aujourd'hui encore, « la ville de Mobutu est naturellement mobutiste », conclut-il, confirmant qu'ici, le dictateur est resté le maréchal Mobutu Sesse Seko, « celui qui dure ».
En 1967, deux ans après son coup d'Etat, le chef de l'armée congolaise transforme les quelques hameaux près desquels il avait grandi. Au cœur de la brousse apparaissent soudain un barrage, une centrale hydroélectrique, un aéroport doté de la plus longue piste d'Afrique centrale et trois opulents palais.
« C'est vingt dollars pour les étrangers »
Quelque 14 ans après le départ du président zaïrois, rien ne subsiste de ses grandes réalisations. Rongés par le climat, dévastés par les pillages, envahis par la brousse, les infrastructures et les palais pharaoniques du Guide suprême ne présentent plus qu'un squelette dépouillé de tout son faste au visiteur.
Un villageois au surnom évocateur, Monsieur Mobutu, est néanmoins responsable du « site touristique » constitué par les vestiges des palais. Il déplie avec précaution un document froissé, jalousement conservé dans une protection de plastique, et indique les tarifs : « C'est 20 dollars pour les étrangers. »
Après une brève négociation, on remonte l'unique route encore partiellement goudronnée de la région au bord de laquelle se sont installées de nombreuses huttes.
A une quinzaine de kilomètres du centre-ville, sur les collines du Kawele, se dresse la résidence principale du « roi léopard », une vaste demeure en marbre de Carrare près d'être engloutie par son écrin tropical.
Trois lions de marbre blanc, dont l'un gît renversé au fond d'une fontaine, gardent l'entrée encadrée de somptueuses colonnes de marbre rose. Une fois à l'intérieur, on circule au milieu des débris – plâtre, verre cassé et morceaux de verre.
« Mobutu voleur ! A bas le pilleur ! »
En 1997, la rébellion de l'ancien lubumbiste Laurent Désiré Kabila, après d'infructueuses négociations sous l'égide de Nelson Mandela, prend le pouvoir. Le peuple, affamé par trente-deux ans de règne autocrate et de gestion prédatrice, crie vengeance, brûlant l'effigie du maréchal en scandant « Mobutu voleur ! A bas le pilleur ! » dans les rues de Kinshasa.
Comme chaque fois que son autorité vacille dans la capitale, Mobutu vient se réfugier à Gbadolite. Il tente de trouver du réconfort auprès des villageois qui bénéficient de ses largesses pour leur fidélité.
Le « roi léopard », malade, arpente les salles de sa tanière de Gbadolite « pour laisser faire le peuple ». C'est en tout cas ce qu'il affirme devant la caméra de Thierry Michel, dans le documentaire « Mobutu, roi du Zaïre ». Acculé, il finit par fuir le pays pendant que certains de ses ministres sont lynchés.
Le même jour, les pillages des palais commencent, à Kinshasa, la capitale, et à Gbadolite.
Rien de ce qui pouvait être emporté n'a résisté aux pillages. Mobilier de bois précieux, tapisseries et tableaux ont été transportés par les soldats de l'Alliance de forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Kabila et des armées ougandaises et rwandaises qui le soutenaient. Dallages et installations électriques ont été arrachés par le peuple pour être revendus.
L'escalier en colimaçon de style italien qui mène au bureau du maréchal a tenu le coup.
Dans la chambre à coucher, ouverte sur une vaste terrasse et une piscine aux multiples bassins, on distingue encore l'emplacement de la couche royale : une croix profonde taillée dans le marbre d'où un lit télécommandé s'élevait afin que le président jouisse de la vue.
Le palais Bambu, surnommé « Versailles de la jungle »
Sur une colline voisine se dresse le palais chinois, sans doute le plus insolite au milieu de cette brousse africaine : un ensemble de pagodes chinoises aux poutres ornées d'estampes, avec leurs jardins de nénuphars et leurs fontaines.
Mobutu, esthète et amateur d'art, incontestablement marqué par ses visites en Chine, avait fait construire cette demeure et celle du site présidentiel de Nsele près de Kinshasa, quasi identique, à l'aide d'ouvriers chinois.
Mais l'édifice le plus extravagant reste le palais officiel du maréchal président. Au milieu de 700 hectares de plantation luxuriante, le palais Bambu vaudra à Gbadolite le surnom de « Versailles de la jungle ». Les bâtiments aux vertigineuses hauteurs de plafond portent encore l'ossature sans pampilles de lustres monumentaux.
Zoro Kenga raconte :
« Le Maréchal Mobutu ne mangeait jamais seul : il était toujours accompagné d'au moins 100 personnes, parfois jusqu'à 1 000 !
On préparait 100 bouteilles de champagne, 50 bouteille de whisky, du vin et de la bière ; beaucoup de bouteilles ! Le Maréchal aimait le champagne Laurent-Perrier.
Quand il n'en avait pas de champagne, on mélangeait la Primus [la bière locale, ndlr] avec le Sprite : ça donnait le goût du champagne… A l'intendance, on ne nous contrôlait pas, on ne faisait que sortir les produits… »
A Gdabolite, tout s'est arrêté en 1997
Aujourd'hui, des militaires et leur famille ont installé makalas (réchauds au charbon de bois) et campements au milieu des anciennes salles de bal. L'Etat congolais ne s'est pas encore relevé des dettes accumulées au cours de cette période de gabegie financière.
Un chef militaire de Gbadolite, qui préfère taire son nom, confie que le salaire octroyé par l'Etat à ses hommes ne suffit pas :
« Ils touchent une solde de 35 000 francs congolais par mois [moins de 40 dollars, ndlr]. Ici, où la vie est très chère car tout est importé de Centrafrique, ça permet tout juste d'acheter un sac de farine ».
Près des anciens palais que les familles des militaires ont investi, les femmes font pousser du manioc et du maïs.
Au village, tout semble s'être aussi arrêté en 1997. Les immeubles qui étaient en cours de construction sont toujours flanqués de leurs échafaudages et de leurs grues. Ils servent désormais de salles de classe improvisées.
Beaucoup d'atouts pour les investisseurs
Les locaux de l'usine Coca-Cola et l'immeuble de la Banque centrale du Zaïre, désertés, sont autant de vestiges de l'époque où le Centre de développement agricole et industriel (CDAI), la société du président, employait près de 6 000 personnes. Le maire de la ville :
« Je suis en contact avec le Conseil économique de Belgique et l'Agence wallone d'exportation et d'investissement à l'étranger afin de faire revivre les infrastructures économiques de Gbadolite : scierie, palmeraie, usine d'huile de palme, limonaderie, plantations de café, de caoutchouc, de cacao et plusieurs grandes fermes d'élevages.
Nous avons beaucoup d'atouts pour attirer des investisseurs étrangers, notamment une source d'électricité stable grâce au barrage de Mobayi Mbongo construit par Mobutu, et des terres très fertiles. »
En attendant, la polulation de Gbadolite, 150 000 habitants, est retournée à une agriculture de subsistance et les avions des casques bleus ont remplacé le Concorde que le maréchal avait l'habitude d'affréter pour ses déplacements vers Paris.
Photos : le palais vu de l'extérieur ; il n'en reste plus qu'un squelette ; l'intérieur en marbre et le plafond moulé ; les jeux sont à l'abandon (Gwenn Dubourthoumieu).
Par Caroline Six
Journaliste
27/02/2011
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