jeudi 24 février 2011

Les immigrés quittent la Libye avec bagages et témoignages

(Le Point 24/02/2011)

SALOUM, Egypte/RAS JDIR, Tunisie (Reuters) - Les travailleurs immigrés ont fui la Libye mercredi, quittant le pays de Mouammar Kadhafi avec leurs valises et des récits saisissants de la répression à l'oeuvre.
Les postes frontaliers égyptiens, à l'Est, et tunisiens, à l'Ouest, n'ont cessé de voir passer des minibus remplis d'expatriés.
Un million et demi d'étrangers travaillent ou voyagent dans l'Eldorado pétrolier libyen, et un tiers des sept millions d'habitants sont originaires d'Afrique subsaharienne.
L'exode s'est accentué depuis le discours de Mouammar Kadhafi, qui a promis mardi de mater la révolte qui a déjà fait, selon le chef de la diplomatie italienne, jusqu'à 1.000 morts.
"Je m'enfuis. Kadhafi tue le peuple, pourquoi resterais-je ?", dit Mahmoud Hadiya, un Egyptien de 28 ans qui travaillait dans le BTP depuis 18 mois.
"Nous allons mourir si nous restons", dit-il.
"J'ai fait mes bagages dès la fin du discours. Je préfère mourir dans mon pays que mourir ici. J'essaierai de trouver un travail en Egypte", ajoute cet ouvrier, dont les compatriotes ont renversé au début du mois le régime d'Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981.
L'Egypte, où 40% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, vit en grande partie de l'argent envoyé par ses ressortissants travaillant à l'étranger, notamment dans les pays producteurs de pétrole comme la Libye.
"Après les premières manifestations, les cadres dirigeants des compagnies pétrolières et les ingénieurs sont partis", raconte Ali, un Egyptien travaillant dans le secteur pétrolier.
"Des bandits sont venus voler les voitures de l'entreprise et nous ont frappés. J'ai travaillé trois mois et je n'ai pas été payé car l'entreprise a fermé", déplore-t-il.
"La nuit dernière, il y a eu des coups de feu dans Benghazi après le discours de Kadhafi. Je suis parti à trois heures du matin, sans rien prendre, ni biens, ni argent."
"TELLEMENT DE VIOLENCE"
Le colonel libyen a perdu le contrôle de la Cyrénaïque, dont Benghazi est la capitale et où gisent la plupart des ressources pétrolières du pays.
Benghazi, deuxième ville du pays, a basculé après une semaine de combats entre opposants et partisans du régime.
"Je n'avais jamais vu ça. J'ai vu tellement de violence, tellement de sang depuis jeudi. J'ai vu des centaines de morts. Si vous allez à l'hôpital, vous n'en croirez pas vos yeux", dit Ali Ahmed Ali, ouvrier du bâtiment qui travaillait Benghazi.
De l'autre côté du pays, au poste-frontière de Ras Jdir, on relate aussi des combats entre l'armée et la police d'une part, des civils armés de fusils AK-47 d'autre part.
Ces combats ont surtout lieu la nuit, précise un Algérien prénommé Rachid.
Un artiste tunisien, Hamdi Chalbi, raconte : "Les milices disent aux gens 'Si vous sortez la nuit, on vous tue'. Les gens ont peur."
Les migrants sont chargés de valises et de couvertures pour lutter contre le froid. Certains vont à pied, d'autres en voiture. Côté tunisien, des hôpitaux de campagne et des vivres les attendent et la police tente de contrôler la foule.
Selon Nizar Youssef, un Tunisien, la police libyenne cible en priorité les Egyptiens et Tunisiens, dont les révolutions ont inspiré la jeunesse libyenne.
"Ils m'ont détenu durant sept heures et m'ont frappé avec des câbles", dit-il.
Parmi les migrants rencontrés aux frontières figurent aussi des Libyens.
"L'Occident doit bombarder les gisements de gaz et de pétrole de Kadhafi. S'ils ne le font pas, nous le ferons", menace l'un d'entre eux.

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