(Le Monde 14/02/2012)
Entretien avec Mahamadou Issoufou, président du Niger | Mahamadou Issoufou (60 ans) est le président de la République du Niger depuis le 7 avril 2011, démocratiquement élu avec près de 58 % des voix. En 2010, une junte militaire avait pris le pouvoir, destituant le chef de l'Etat de l'époque, Mamadou Tandja, qui tentait de confisquer le pouvoir. Le Niger est bordé par des pays déstabilisés par des violences : Libye, Mali, Nigeria.
Quelles sont les causes de la rébellion touareg au Mali ?
C'est un dégât collatéral de la crise libyenne. Dès le début de la crise, j'avais insisté sur deux risques majeurs liés à l'intervention militaire en Libye. Premièrement, la "somalisation" de ce pays, c'est-à-dire la dissolution de l'Etat. Deuxièmement, le risque que le pouvoir tombe entre les mains d'extrémistes. Ces risques existent toujours. N'oublions pas qu'au sein d'Al-Qaida, les Libyens, surtout ceux de la région de Benghazi, sont les plus représentés après les Saoudiens. On sait depuis longtemps que les dépôts d'armes ont été pillés et transférés en partie dans tous les pays du Sahel, au Niger, en Mauritanie, au Tchad…
Après la défaite de Kadhafi, un certain nombre de ses soldats ont fui la Libye pour s'installer dans le Sahel. Au Niger, notre position a été ferme dès le début. D'accord pour accueillir tout le monde, sauf des hommes armés. Seul l'Etat doit avoir le monopole de la force. Donc, les hommes devaient rendre les armes sinon nous les combattions. C'est ce qu'on a fait et ils n'ont pas pu prendre pied au Niger. Malheureusement, ils sont allés au Mali, par petits groupes, d'abord. Puis c'est devenu un grand groupe de 400 à 500 combattants lourdement armés. Les pays du Sahel, Mali et Niger notamment, ont connu des rébellions récurrentes depuis le début des années 1990. La crise libyenne a catalysé les velléités de rébellion et d'indépendance, ou au moins d'autonomie, de l'Azawad (au Mali). Rébellion ouverte à partir du 17 janvier.
Quelles sont les conséquences de cette crise pour le Niger ?
Nous avons déjà reçu 10 000 réfugiés maliens, y compris des soldats isolés dans des casernes qui ont afflué vers le Niger. Si la crise continue, il y en aura de plus en plus. Or 260 000 Nigériens, essentiellement des travailleurs temporaires chassés par la crise libyenne, sont déjà revenus au pays. Auxquels s'ajoute le rapatriement de 20 000 autres Nigériens au moment des crises ivoiriennes. Cela fait beaucoup trop, avec tout ce que cela comporte comme conséquences sociales et en terme de dépenses sécuritaires parce que nous devons acquérir de nouveaux équipements militaires pour faire face à la situation. En résumé, la situation au Mali nous préoccupe beaucoup.
Existe-t-il un risque de propagation de la rébellion touareg au Niger ?
Un effet de mimétisme et de contagion est toujours possible. Mais récemment nous avons organisé un forum sur la paix dans les régions sahéliennes auquel participait, notamment, les notables du Niger et les anciens chefs de rébellion. Nous avons tous fait le choix de la paix. Les gens ont compris que nous nous efforçons de mettre en place des institutions démocratiques et républicaines au sein desquelles tous les citoyens peuvent s'exprimer. Le choix des armes n'est pas le bon.
Le programme de renaissance nationale que j'ai défendu à la présidentielle ménage une place assez importante au développement des zones pastorales [où vivent de nombreux Touareg]. Ce programme a été approfondi récemment à travers un programme " sécurité et développement " dans ces zones doté de 1 000 milliards de francs CFA [1,5 milliard d'euros]. Parce que la sécurité y est liée au développement économique et social. La misère est le terreau de toutes les rébellions et de tous les terrorismes. Donc, si à court terme la solution est sécuritaire, à long terme, elle repose sur le développement économique et social.
Que sont devenus les anciens combattants nigériens en Libye ?
Je ne crois pas qu'ils aient rejoint la rébellion au Mali. Ils se sont réinsérés dans la vie sociale au pays. Certains ont maintenant des responsabilités politiques au Niger. Tout comme les chefs des anciennes rébellions, dont beaucoup ont été élus lors des élections locales et régionales de 2011. Ils gèrent dorénavant des collectivités locales et des régions.
Comment le Niger peut-il participer à la résolution de la crise au Mali ?
C'est aux Maliens de déterminer la voie à suivre. Mais nous pouvons parler aux deux parties pour qu'elles s'asseyent autour de la table des négociations le plus rapidement possible.
Parler aux deux parties signifie-t-il que vous parlez avec des représentants du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), les rebelles touareg du Mali ?
Nous en avons même parlé avec le président malien. Tous les moyens qui peuvent contribuer à la paix sont bons. Il faut sensibiliser les rebelles pour qu'ils négocient.
Pourtant, les discussions à Alger ont échoué début février ?
Il ne faut pas se décourager. L'une des raisons de l'échec tient à l'absence du MNLA à Alger. Les anciens mouvements, eux, étaient présents. Il faut s'efforcer que les nouveaux viennent négocier.
Comptez-vous sur la France pour garantir votre sécurité si la crise dégénère ?
On ne confie jamais la défense de son pays à d'autres.
Il y a pourtant des forces spéciales françaises au Niger, chargées de former vos troupes d'élite.
Pour l'instant, il n'y a pas ni soldat, ni participation française. Il n'y a pas que la rébellion comme problème dans le Sahel. Il y a aussi les intégristes, les terroristes. A ce sujet, nous sommes en train de mutualiser nos forces dans la sous-région (Niger, Mauritanie, Algérie, Mali). Certes les choses n'avancent pas aussi rapidement que voulons. Il faut que le Comité d'état-major opérationnel conjoint [Cemoc], basé à Tamanrasset en Algérie, soit plus actif et opérationnel sur le terrain, mais nous échangeons déjà beaucoup de renseignements.
Que sont devenus les Libyens arrivés au Niger, dont Saadi Kadhafi, l'un des fils du Guide ?
Des libyens ont été accueillis pour des raisons humanitaires. Ils ont pris l'engagement de ne pas avoir d'activités subversives contre les nouvelles autorités libyennes. Certains de ces libyens sont toujours là, dont le fils du président, Saadi Kadhafi, qui peut rester tant qu'il respecte les conditions. Et il est totalement libre puisqu'il n'y a aucune charge contre lui. A un moment, la Cour pénale internationale (CPI) a voulu venir ici l'interroger. Nous sommes d'accord mais aucune délégation de la CPI n'est encore venue.
Mais certains, comme le général Ali Kanna, ont rejoint les camps de la rébellion malienne ?
S'ils veulent soutenir la rébellion au Mali, cela veut dire qu'ils violent les conditions posées pour les accueillir au Niger, c'est inacceptable, d'autant plus contre un pays voisin. Quant à ce général, il y a deux jours, il était encore au Niger. Il n'est pas au Mali.
En plus de la Libye et du Mali, le Nigeria, autre pays frontalier, est aussi secoué par les violences de la secte Boko Haram. Avec quel impact sur le Niger ?
Nous avons un proverbe :"Quand la barbe de votre voisin prend feu, mettez de l'eau sur la votre !" Donc, oui, la situation au Nigeria nous préoccupe. Mais ce n'est pas la première fois que ça arrive au Nigeria, seul pays d'Afrique sub-saharienne où l'on trouve une mouvance chiite en rupture avec l'islam de cour des chefs traditionnels, qui est pacifique. Mais Boko Haram connaîtra sans doute le même sort que les mouvements précédents. Les autorités vont l'étouffer. Il reste que nous avons 1 500 km de frontières communes et des populations qui vivent à cheval sur cette frontière. Nous essayons de coordonner nos renseignements avec le Nigeria et nous avons décidé de mettre en place des brigades mixtes sur la frontière.
La création d'un arc Boko Haram-AQMI ne vous inquiète-t-elle pas ?
Il y a des indices qui montrent des relations entre ces deux mouvements, et avec les chabab de Somalie. Nous faisons en sorte que ces relations entre mouvements terroristes ne se renforcent pas.
L'ONU annonce une crise alimentaire prochaine au Sahel. Y a-t-il des raisons de s'alarmer ?
Depuis le mois d'août 2011, nous savons qu'il y a des raisons de s'inquiéter au regard de la mauvaise campagne agricole. Notre estimation définitive et récente l'a confirmé. Nous avons un déficit énorme de 700 000 tonnes de céréales. Plus un déficit fourrager très important. La situation alimentaire est très alarmante. D'où le programme d'urgence de notre gouvernement. Il comporte un plan d'irrigation d'urgence sur 87 000 hectares afin de produire une grande partie des céréales qui nous manquent. Il y a aussi un programme pastoral d'urgence. Le Niger compte 35 millions de têtes de bétail. Pour faire face à l'insuffisance de pâturages, nous avons lancé un programme de déstockage d'animaux, vendus au Nigeria ou en Côte d'Ivoire, plus la production d'aliments pour bétail.
Par ailleurs, il y a un programme environnemental d'urgence destiné à promouvoir des activités génératrices de revenus pour les populations exposées afin qu'elles puissent s'acheter des céréales. Le dernier point porte sur la constitution d'un stock de sécurité de 150 000 tonnes de céréales. Nous mettons tout cela en œuvre en collaboration avec les agences internationales et les ONG qui ont promis de nous aider, mais l'essentiel de la charge repose sur le Niger. Nous consacrons plus de 100 milliards de francs CFA du budget à ce problème urgent.
Il n'y a pas si longtemps, le Niger niait ses problèmes alimentaires. Est-ce la fin du tabou ?
C'était absurde de nier une telle réalité. Nous avons décidé d'être transparents et de créer les conditions pour que la sécheresse ne se transforme plus en famine. Les pays du Sahel sont soumis à des variations climatiques importantes, parfois extrêmes : sécheresse, inondations... Contre cela nous allons entreprendre une véritable "révolution verte". Cette révolution, c'est les "3N" : les Nigériens Nourrissent les Nigériens. Sa mise en œuvre prévoit d'accroître les rendements agricoles en promouvant l'irrigation. Il y a un grand barrage en construction à Kandadji. Il fournira de l'énergie mais il doit aussi permettre d'aménager toutes les terres qui bordent le fleuve, soit 120 000 hectares irrigués. Il n'y a pas de fatalité à ce que la sécheresse se transforme en famine.
Propos recueillis par Christophe Châtelot
LEMONDE.FR | 14.02.12 | 16h41 • Mis à jour le 14.02.12 | 17h13
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