(Le Pays 23/02/2012)
La publication du rapport de la CNDH (Commission nationale des droits de l’homme) togolaise sur les allégations de tortures dans les locaux de la tristement célèbre Agence nationale des renseignements (ANR) vient compliquer la crise de confiance entre le pouvoir et l’opposition ainsi que les partenaires sociaux.
Ce rapport qui était très attendu, a été finalement publié le 17 février par le gouvernement, non sans l’avoir vidé de sa substantifique moelle : la confirmation des allégations de tortures portées par des personnes arrêtées lors du procès du putsch manqué, attribué au demi-frère du président togolais Kpatcha. En moins de 24 heures, le rapport transmis a été publié. Un record s’il en est, record également dans le bidouillage du rapport. Seulement, les autorités ne s’attendaient pas à une telle réaction de la part du président de la CNDH, organisme partenaire mais non moins indépendant, qui a publié à son tour la version dite « authentique ».
L’homme s’est depuis lors exilé en France, de peur de représailles contre sa personne et sa famille. Le malaise est donc grand à Lomé. L’on se trouve ainsi face à deux rapports qui disent exactement le contraire l’un de l’autre. Une confusion digne de républiques bananières. Une chose est certaine, quelqu’un est de mauvaise foi dans cette affaire : le gouvernement, qui jure que c’est le rapport reçu de la CNDH qui a été publié, ou le président de la CNDH qui affirme le contraire ?
La CNDH ne peut se permettre de remettre un document officiel au gouvernement portant sa propre signature et, par la suite, mettre en doute son authenticité. Sa crédibilité en prendrait un sérieux coup. Car si tel est vraiment le cas, c’est la mort programmée de cette institution. Il est possible aussi que la CNDH, sous la menace, comme le susurre déjà la rumeur, ait été contrainte d’édulcorer le rapport des accusations de tortures.
Cela expliquerait le retard mis pour déposer le rapport et le geste du président de la CNDH. Qui avait donc intérêt à voir publié un rapport qui disculpe l’ANR des accusations de tortures ? L’ANR, faut-il le rappeler, était une des vedettes du procès du putsch manqué de 2009. Des accusés dans cette affaire avaient soutenu, devant le tribunal, avoir subi des traitements dégradants et inhumains. Aujourd’hui encore, le Sergent Bababouwè Bawouna, de la Garde présidentielle, actuellement radié des Forces armées togolaises (FAT) suite à sa condamnation dans l’affaire de coup d’Etat, maintient publiquement ses accusations contre ses tortionnaires. L’ANR ressemble à s’y méprendre à une sorte de police politique, stigmate du régime du défunt président Eyadéma dont le fils a tout intérêt à se débarrasser ou, du moins, à en restructurer profondément certains volets.
En attendant de tirer l’affaire de ces deux rapports contradictoires au clair, l’opposition parlementaire, emmenée par le CAR (Comité d’action pour le renouveau) et l’Alliance nationale pour le changement (ANC), a suspendu sa participation aux discussions politiques en cours avec le parti au pouvoir, sur les réformes en vue des prochaines élections. L’opposition pense que le pouvoir veut protéger certains tortionnaires.
Cette affaire vient en rajouter à la certitude que le régime entretient l’impunité ambiante et qu’il est incapable de jouer la transparence jusqu’au bout. Encore de l’eau au moulin de ses détracteurs. A lui de prouver le contraire. Malheureusement, pour aboutir à la vérité, l’on risque fort d’avoir recours à un troisième rapport sur les conditions de publication de ces deux premiers rapports, pour départager le pouvoir et la CNDH.
Abdoulaye TAO
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