(Les Afriques 27/02/2012)
«…Le temps est venu, pour le Togo, de saisir cette opportunité», dit Cina Lawson, ministre des Postes et Télécommunications. Après sa Zone franche d’exportation, le Togo ose rêver devenir le paystechnopôle de la sousrégion avec des entreprises à la pointe de la technologie pour des services divers, en exploitant au mieux sa position stratégique et les potentialités inouïes en Afrique de l’ouest. Elle lève un coin de voile sur cet ambitieux projet au journal Les Afriques. Entretien.Les Afriques :Madame le ministre, pourquoi faire du Togo le pays technopôle de l’Afrique de l’Ouest ?
Cina Lawson : La situation géographique très stratégique de notre pays dans une sous-région en pleine évolution et où apparaissent des pays pétroliers fonde l’orientation à ériger le Togo en pays technopôle de l’Afrique de l’Ouest. Par technopôle, nous entendons une zone hautement aménagée pour la technologie de pointe de sorte à attirer des entreprises innovantes dans le domaine des TIC. Il s’agira d’un lieu extrêmement câblé, connecté à Internet et doté des infrastructures TIC les plus avancées avec la proximité d’une main-d’oeuvre d’excellente qualité et qui sera régi par une régulation offrant des facilités inégalées.
Nous avons toutes les potentialités pour créer, au Togo, une zone où il y aura une main-d’oeuvre de qualité avec les meilleures conditions possibles pour des entreprises de services. Notre projet cible notamment les entreprises de gestion des data center- centres de donnéesdes entreprises de hosted services - services hébergés - ou de managed services - services managés - et aussi des sociétés qui développent des applications et des logiciels adaptés au contexte africain. Notre vision est de faire du Togo, le pays de référence pour ces services.
LA : Qu’est ce qui a véritablement motivé cette initiative ?
C.L : Le déclic de développement qui intervient en Afrique de l’Ouest, prise globalement, n’est pas accompagné par certaines formes d’entreprises pour rendre holistique cette dynamique. Des pays se développent sans que n’émerge, au sein même de cette sous-région, la dynamique d’une grande entreprise qui gère et offre des services informatiques avancés aux autres entreprises. Un pays voisin anglophone a un projet de technopôle, un autre francophone en a envie mais aucun de ces deux pays n’a la vision de le centrer autour du traitement de données.
Que ce soit au Togo ou dans les autres pays, les banques, les grandes entreprises, les nombreuses petites ou moyennes entreprises ont fort besoin que leurs données soient stockées et gérées quelque part. Aujourd’hui, n’ayant pas d’offres de choix en matière d’hébergement des données, certaines de ces institutions ou entreprises transfèrent leurs données dans des pays lointains pour qu’elles y soient stockées ou gérées, ou bien font elles-mêmes ce métier qui leur revient cher et n’est pas leur coeur de métier. Nous estimons que le temps est venu, pour le Togo, de saisir cette opportunité- là.
LA : L’ambition n’est–elle pas exagérée, en ces temps-ci, pour votre pays ?
C.L : Je pense que la mise est parfaite. Aujourd’hui, le Togo a repris sa place dans le concert des nations. Le pays a enregistré des avancées à plusieurs niveaux grâce à des réformes diverses très osées. De grands chantiers sont achevés et d’autres sont en cours afin d’offrir un cadre idéal pour les investissements et faire du Togo une nouvelle destination pour les investissements étrangers. Aujourd’hui, les conditions sont quasiment réunies en matière des TIC pour relever le défi du technopôle de notre ambition. Fondamentalement, le message adressé au reste du monde, du point de vue économique et dans le domaine des TIC, est que Togo is open for business et que le moment est venu de commencer à faire de nouveaux projets. Nous avons gagné en visibilité et en visibilité positive. Les vingt dernières années, le Togo n’a pas eu une presse positive. A présent, il y a une amorce qu’il faut absolument accompagner et sur laquelle nous devons capitaliser. Nous ne devons pas rater notre moment qui est aujourd’hui et maintenant.
LA : Sur quels pays le Togo prend t-il l’exemple de son technopôle ?
C.L : Il y a de petits pays et de petites régions qui se sont développés par cette stratégie en capitalisant leur position géographique ou leur désavantage en ressource naturelle. Nous voulons prendre exemple sur Singapour, Dubaï et aussi sur la Silicon Valley en mettant en place une politique de proximité géographique entre les centres d’éducation et les entreprises.
LA : A quel niveau êtes-vous avec ce projet ?
C.L : Nous sommes en cours d’identification d’un chef de projet qui a l’expérience pour mener à bien ce type de projet. Beaucoup de contacts ont été pris et, à cette étape, le recrutement n’étant pas encore conclu, nous ne pouvons révéler son identité. Le terrain qui abritera le projet est déjà localisé et nous travaillons avec minutie sur la régulation adéquate. Très prochainement, nous irons à la rencontre des partenaires financiers, les banques et autres entreprises qui seraient intéressées. Le projet sera réalisé dans un schéma de partenariat public-privé et comprendra deux ou trois centres technopôles à travers le pays, mais nous allons commencer par la Région Maritime, dans le sud du pays, avec un centre aux alentours de Lomé. L’Etat s’occupera de la régulation, de l’offre du terrain et facilitera la mise en place de partenariats entre les entreprises du technopôle et les instituts d’éducation supérieurs et techniques.
LA : Quels atouts le Togo présente t-il pour réaliser ce technopôle et quels avantages en tirera t-il ?
C.L : Il faut savoir deux choses. La première, c’est que nous avons des voisins qui sont des pays pétroliers. Avec le pétrole, un nombre de grandes entreprises, qu’elles soient spécialisées dans le pétrole ou le gaz, iront s’installer dans ces pays et auront besoin de faire gérer leurs données. Le Togo n’est pas encore producteur de pétrole mais compte se positionner comme un pays de services à la fois pour les pays de la sous-région mais aussi pour son marché intérieur qui compte un nombre de plus en plus important d’entreprises et de banques d’envergure. Cette vision n’est pas aberrante car elle vise à utiliser notre place géographique pour devenir un pays de services de pointe.
L’autre pertinence se rapporte aux télécoms. Nous avons la chance d’être un pays de petite superficie dont les opérateurs de télécoms ont presque entièrement câblé les principales artères. Il y a déjà des backbones - des réseaux de fibres- de Lomé jusqu’au Burkina Faso, ainsi que du Bénin au Ghana. A cela s’ajoute, le câble sous-marin WACS (West Africa Cable System) qui va atterrir près de Lomé en Mai 2012. Pourquoi ne pas capitaliser cette proximité et cette bonne infrastructure pour qu’un certain nombre de données convergent dans le pays et qu’on les traite ici ? Nous comptons tourner le pays vers le futur et donner des débouchés d’avenir aux nombreux jeunes qui, aujourd’hui, ont des diplômes recherchés mais n’arrivent pas à trouver de l’emploi. Certains s’expatrient et brillent ailleurs. Nous ne voyons pas de raison qu’ils brillent à l’extérieur de leur pays et pas dans leur pays.
Le gouvernement souhaite qu’ils rentrent dans cette dynamique de créativité et d’innovation. Nous voulons que l’innovation technologique soit le poumon d’une certaine avancée nationale qu’elle soit économique ou sociale.
LA : Les impôts sur les sociétés actuellement en cours au Togo sont dits un peu élevés donc moins attractifs. N’est-ce pas un facteur limitant de l’environnement des affaires qui ne se prête pas alors à ce projet ?
C.L : Je ne veux pas céder au «Togo pessimisme ». Le niveau d’imposition est un point important mais ne représente qu’un aspect de la question. Nous y travaillons très sérieusement. En matière d’environnement des affaires, par exemple, le Chef de l’Etat a mis en place une commission de réflexion et un certain nombre de réformes se sont opérées et s’opèrent encore au niveau macroéconomique. Au niveau des télécommunications, un texte qui permettra de profondes réformes est en ce moment en examen à l’Assemblée Nationale. Cette dernière, par ailleurs vient d’adopter un nouveau code des investissements assez libéral qui apporte une vision novatrice du Togo. Le Gouvernement travaille enfin à un renouvellement de l’image du Togo.
LA : Comment seront donc les conditions de ce technopôle pour les entreprises ?
C.L : Nous voulons que le technopôle soit le coeur de l’innovation technologique au Togo. Les entreprises qui seront intéressées par le technopôle, de façon générale, auront des avantages non seulement en matière de fiscalité mais aussi d’accès aux infrastructures avancées des télécoms notamment les bandes passantes et les câbles sous-marin, à des prix qui seront inférieurs aux prix hors zone de technopole.
Elles pourront bénéficier d’infrastructures de TIC à des prix largement inférieurs à ceux pratiqués dans la sous-région. Notre vision est de faire en sorte qu’il y ait des externalités positives économique, sociale et d’innovation intellectuelle.
L’idée n’est pas d’avoir seulement des entreprises qui marchent bien et qui sont profitables du point de vue financier, mais qu’il y ait en plus un mouvement d’innovation intellectuelle.
Propos recueillis par Olivier TOVOR, Lomé
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