(Le Figaro 25/02/2012)
Seul face à une opposition divisée, Wade s'est octroyé le droit à un troisième mandat.
Le bruit sec d'une détonation de grenade lacrymogène suivi d'un brouhaha lointain. «Ça commence», grogne Amadou, un petit vendeur ambulant. Devant la place de l'Indépendance, au centre de Dakar, une poignée de manifestants affrontent la police. La scène se renouvelle chaque soir depuis une grosse semaine. A la nuit tombante, des jeunes masqués de foulards arrivent et exigent l'accès à la place au cri de «Wade dégage». Les forces de l'ordre refusent, tolèrent quelques provocations avant de disperser la petite foule. À quelques rues de là, la rixe quotidienne ne semble plus effrayer personne.
Derrière ce faux flegme pourtant, le Sénégal, habitué à un calme rare en Afrique, s'inquiète des affrontements. Les six morts que déplore le pays depuis le début des contestations ont choqué. Au cœur de la colère, la décision du président sortant Abdoulaye Wade de se présenter pour un troisième mandat. Une décision anticonstitutionnelle, selon l'opposition. Depuis lors, le pays s'enfonce dans la crise exacerbée par l'emphase dont font preuve les ténors politiques.
Une certaine incurie du pouvoir
Ce débat a fini par occulter tous les autres, y compris celui autour du bilan plus que contrasté du chef de l'État. Les douze années de pouvoir ont abîmé l'ancien opposant chantre d'une République idéale. Les scandales et les rumeurs de corruption se sont accumulés. Le plus célèbre reste l'affaire Segura, du nom de l'ancien représentant du FMI à Dakar. Lors de son départ, l'entourage de Wade a «offert» à ce haut fonctionnaire une valise avec 100.000 euros et 50.000 dollars. «Cette histoire a été mal perçue par les Occidentaux et les intellectuels. Mais le peuple est plus choqué par les grosses voitures ou les problèmes d'électricité», assure le chercheur Gilles Yabi.
Les incessantes coupures de courant, les fameux «délestages», ont, des années durant, tellement pourri la vie des Sénégalais qu'elles étaient devenues le symbole d'une certaine incurie du pouvoir. Le gouvernement a fini par réagir. En septembre, de gros générateurs ont été loués. «Ce n'est que du provisoire. Dès les élections passées, les délestages reviendront», affirme Bakary Sambe, un proche du candidat Idrissa Seck. En attendant, la fée électrique a un peu calmé les foules. Car plus que tout, ce sont les coupures qui avaient poussé les Sénégalais à se mobiliser contre le président et ses folkloriques réformes constitutionnelles.
Vieilles rivalités,
Le pays en a connu près de 17 depuis 2001, dont la plus étrange envisagée aura été l'élection d'un président et d'un vice-président sur un ticket qui n'aurait eu besoin que de 25% pour l'emporter. L'idée fut finalement retirée. «C'est sans doute ce jeu avec les institutions, qui ont fini par être dévalorisées, qui fut le plus grand tort de Wade. C'est dommage car il a malgré tout un vrai bilan», note le politologue Babacar Gueye. Il cite la construction de routes, la transformation de Dakar et une certaine libéralisation pour les entreprises privées.
Malgré tout, le principal atout de «Gorgui», le «Vieux» comme les Sénégalais surnomment Wade, reste la division des opposants. Officiellement unis dans le M23, les 13 candidats se sont montrés incapables de s'allier ou même de définir une ligne commune. «C'est vrai qu'il y a des problèmes», reconnaît Alioune Tine, le porte-parole du M23. La faute à des stratégies trop personnelles, et à de vieilles rivalités.
Face à cet équipage un rien hétéroclite, Wade se dit certain d'une victoire dès le premier tour. Refusant de spéculer sur les scores, l'opposition affirme, pour une fois en bloc, que toute réélection immédiate de Wade est impossible. «C'est sans doute le plus gros souci. Même si Wade devait gagner légalement au premier tour, ses adversaires crieraient à la fraude, ce qui placerait le Sénégal dans une situation dangereuse», remarque un analyste occidental.
Méfiance internationale
Consciente des risques, la communauté internationale a décidé de peser pour calmer les esprits et les velléités d'un pouvoir dont elle se méfie désormais. «S'il y a une fraude nous la verrons», prévient Thijs Berman, le chef de la mission d'observation de l'Union européenne. À Paris, Alain Juppé a appelé au «changement de génération». Washington s'est montré encore plus direct en «regrettant» la candidature du président. Pour augmenter un peu plus la pression, Johnnie Carson, sous-secrétaire d'État chargé des Affaires africaines, s'est invité vendredi à Dakar.
Face à ce front, le vieux président ne pourra sans doute pas compter sur ses frères africains. À commencer par l'ex-président Nigérian Olusegun Obasanjo, aujourd'hui chargé de surveiller le vote pour l'Union africaine. «En 2006, Wade m'avait conseillé de ne pas briguer un troisième mandat. Je ne l'ai pas fait. Il doit savoir aujourd'hui ce qu'il a à faire», a-t-il expliqué, dans un demi-sourire, à peine arrivé à Dakar. À deux jours du scrutin, Abdoulaye Wade apparaît plus que jamais seul contre tous.
Par Tanguy Berthemet
© Copyright Le Figaro
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire