(La dépèche diplomatique 27/02/2012)
« Au lendemain du scrutin et de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, le même soleil se lèvera, toujours brillant, toujours radieux, et un tantinet rieur des grands naïfs qui auront confondu leurs désirs et les réalités, en rêvant de catastrophes et de chaos, de révolution violente et… du fauteuil présidentiel […] Le Sénégal continuera d’avancer dans la paix, la concorde et marchera inexorablement, toujours vers plus de mieux, sous la protection de nos Saints et de nos Guides religieux dont les prières seront toujours exaucées par Allah, le Miséricordieux, le Généreux et le Tout-Puissant, le Maître de la Terre et de l’Univers ».Nous y sommes. A quelques jours du scrutin présidentiel – s’il parvient à être organisé partout sur le territoire sénégalais – le message de fin d’année prononcé par Abdoulaye Wade le samedi 31 décembre 2011, prend une tonalité particulière. Mépris pour la situation politico-sociale que connaît actuellement le Sénégal, appel à Dieu et à ses Saints. Depuis, le « pays de la Téranga » n’a cessé de s’embraser, les morts s’ajoutant aux morts (même si les manifestations de masse – plus d’un million de personnes devant le Conseil constitutionnel le jour de l’officialisation de la candidature de Wade – promises par Youssou N’Dour n’ont pas eu lieu), sans que la position du « sortant » n’ait évolué d’un pouce (« ces manifestations ne sont qu’une brise », a-t-il dit), sans que les « opposants » ne semblent plus crédibles.
Wade a parcouru le pays dans une limousine découverte, vêtu de ces grands boubous qu’il affectionne tant et qui lui vont si bien. On a appelé cela une « campagne » pour la présidentielle ! Mais Wade n’est plus Wade et le « sopi » ce n’est plus lui. La question se pose d’ailleurs de savoir où il se trouve. Sûrement pas parmi les candidats à la succession dont aucun n’a émergé en tant qu’homme d’Etat potentiel au cours de la crise pré-présidentielle. Plus que jamais l’opposition est désunie ; certains veulent le report du scrutin (jusqu’à quand ?), d’autres le retrait de Wade (à quel titre ?), tous étant persuadés, semble-t-il, que Wade candidat c’est nécessairement Wade élu.
L’Union africaine, voulant éviter d’avoir à gérer une crise « post-présidentielle » qui risque d’être passablement ingérable, a entrepris de se pencher, d’emblée, sur le dossier de la « pré-présidentielle ». Avec d’autant plus d’empressement que, de Washington à Bruxelles en passant par Paris mais aussi par la région Ouest-africaine, le forcing du « Vieux » fatigue tout le monde. Et le mot est faible. Mais le fait de transformer une « mission d’observation » - celle confiée à l’ancien président de la fédération du Nigeria, Olusegun Obasanjo - en médiation n’est pas la meilleure voie pour solutionner la crise pré-présidentielle sénégalaise. Parce que Wade n’est plus en mesure de décider de rester ou de partir. S’il est convaincu qu’il est légalement candidat à la présidentielle – ce n’est même plus de la conviction, mais un ancrage dans des certitudes – et qu’il est le mieux placé pour diriger le Sénégal, ce n’est pas lui qui tire les ficelles de cette pantomime dakaroise. Comme le disait ce matin (jeudi 23 février 2012), dans son éditorial, le quotidien privé burkinabè Le Pays : « L’image de l’intellectuel porteur de changement qu’il a donnée de sa personne en 2000, a été ternie par son incapacité à faire la distinction entre ce qu’il peut ou est en droit de faire et ce qu’il doit faire par décence politique ou morale ».
Wade est l’otage de son entourage. Ce qui ne justifie pas la situation actuelle mais pose une autre question : à qui profiterait la perpétuation d’un régime disqualifié et moribond ?
Il suffit d’écouter Souleymane Ndéné Ndiaye, Premier ministre de la République du Sénégal et directeur de campagne de Wade, dans « l’entretien » accordé récemment à France 24, pour comprendre clairement que les « élites » sénégalaises de l’entourage présidentiel nous « prennent pour des cons ». Et ce n’est pas l’expression d’une mauvaise humeur présidentielle si Jeune Afrique s’est vu refuser tout entretien avec le « Vieux » et a dû se rabattre sur… Ndiaye (voir à ce sujet l’éditorial de Marwane Ben Yahmed dans JA du 12 février 2012). C’est que Wade est dépassé par des événements dont on ne lui dit pas grand-chose, ou seulement ce qu’il veut (ou peut) entendre ; et que les marionnettistes se tiennent encore dans l’ombre.
Il y a déjà quelques mois que Wade n’est plus au top de sa forme : si le physique tient encore le coup, le mental est déconnecté des réalités et l’intellect ne fait que ressasser les vieux discours. La paix demain en Casamance, l’émergence dès le prochain mandat, la fin définitive des délestages, des projets partout dans toutes les villes régionales… 2012, c’est un remake de 2007. Qui risque fort de se traduire par le même résultat : l’élection de Wade au premier tour à la surprise générale. C’est d’ailleurs le pronostic de Ndiaye affirmé sur France 24 et dans Jeune Afrique (cf. supra - « Personne ne peut battre Wade […] Sur les quarante-cinq départements du pays, je n’en connais pas un seul où nous sommes susceptibles de perdre », entretien avec Rémi Carayol).
Qui, par ailleurs, s’est érigé en « correcteur » de la parole présidentielle qui parfois s’exprime au-delà du « politiquement correct » (quand Ndiaye dit à Carayol qu’il « ne faut pas s’attacher aux mots employés » cela signifie clairement que Wade ne sait plus ce qu’il dit*). A l’âge qui est le sien, Wade est l’instrument parfait entre les mains de « réseaux » qui n’ont pas cessé de le flatter au cours des douze années passées au pouvoir et qu’il n’a pas cessé d’entretenir tout ce temps-là. Avant même d’être président de la République, il avait déjà cette passion pour les connexions affairo-politiques ; une fois installé au Palais, il a d’autant plus développé cette passion qu’il s’est engagé dans de multiples chantiers, parfois pharaoniques, qui se sont traduits par un flot ininterrompu de financements. Lui, le politique, a vite été débordé par la pieuvre affairiste qu’il n’a cessé de nourrir. Et qui a encore de l’appétit.
Alors ce n’est quand même pas un vieillard qui va être un frein à sa croissance. Il ne s’agit pas d’excuser Wade – c’est son régime et rien que son régime qui est en cause – mais il s’agit de comprendre la « négative métamorphose » (selon les mots du quotidien burkinabè Le Pays dans son éditorial du jeudi 23 février 2012) de l’homme du « sopi ». Et de savoir à qui elle profite.
C’est le mal qui ronge l’univers politique contemporain. En Afrique comme en Asie, en Amérique, en Europe (c’est d’ailleurs en Europe que la connexion affairo-politique, autrement dit la mafia, a été institutionnalisée avec un réel brio). L’Etat et la fonction publique servent de tremplin vers le secteur privé et les relations contre nature entre le monde politique et le monde des affaires (avec, bien souvent, un passage par le monde médiatique qui ne répugne plus à se mélanger ni à l’un ni à l’autre) entraînent des dérives dont on voit partout les « dégâts collatéraux ». Face à un Etat en décomposition dont les acteurs (ceux du pouvoir comme ceux de l’opposition) ont perdu toute crédibilité, pourquoi les électeurs se mobiliseraient-ils alors qu’au quotidien leur vie devient de plus en plus difficile ? « Y’en a marre » dit la rue à Dakar. Mais ce ne peut pas être un slogan politique mobilisateur ; ce n’est que l’expression d’un découragement général. Wade ou un autre… !
Chacun sait que le « sopi » ce n’est plus lui ; mais personne ne sait qui peut, désormais, représenter le « changement ». Une seule certitude : nous assisterons ce week-end, qu’elle en soit l’issue, au crépuscule du Sénégal de Wade. Peut-être même à son agonie ?
* Cela concerne notamment le mot « brise » utilisé pour caractériser les événements de février 2012, la revendication par Wade d’être le rédacteur « tout seul » de la Constitution, son engagement à ne pas aller au-delà de deux mandats exprimé en 2000 et réitéré en 2007. Revenons aussi sur les mots d’Amadou Hampâté Bâ rappelés systématiquement par les « wadistes » pour justifier qu’il puisse briguer la présidence à 86 ans : « Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle » ; ils ne signifient pas que tous les « vieux » soient des « sages » mais qu’ils sont une mémoire – plus ou moins vive et significative d’ailleurs – que personne, jamais, n’a entrepris de sauvegarder.
Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil
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