(Le Parisien 14/02/2012)
L’ancienne direction d’Areva a-t-elle «caviardé» les informations transmises à l’Etat, en mai 2007, afin de pousser au rachat de la société UraMin, indispensable aux yeux des dirigeants de l’époque, pour sécuriser l’approvisionnement du groupe en uranium? A la veille de la remise du rapport de son comité spécial sur «les conditions d’acquisition et d’exploitation» de cette société minière canadienne, la question taraude les dirigeants actuels d’Areva.
Deux documents, remis il y a quinze jours au comité spécial d’Areva et que le Parisien a pu consulter, sèment le trouble. Tous deux synthétisent des études techniques, réalisées en mai 2007 par des ingénieurs d’Areva, sur les trois sites d’UraMin : Trekkopje (Namibie), Bakouma (Centrafrique) et Ryst Kuil (Afrique du Sud). Dans une première version, des réserves sont émises sur la valeur et les conditions d’exploitations des gisements. Une deuxième version, expurgée d’un certain nombre de commentaires négatifs, est beaucoup plus engageante dans la perspective d’une acquisition.
C’est cette version, «présentée par Anne Lauvergeon en conseil de surveillance le 16 mai 2007 et en comité stratégique le 22 mai 2007», affirme t-on chez Areva, qui a été transmise à l’Agence des participations de l’Etat (APE). En juin 2007, cette dernière donnait son feu vert à l’acquisition des trois sites, pour un montant d’1,8 milliard d’euros.
DES COMMENTAIRES NEGATIFS SUPPRIMES
A propos du management d’UraMin. La version 1 relève un «manque d’expérience dans le domaine de l’uranium» et une «planification des projets [qui] paraît optimiste notamment sur Bakouma et dans une moindre mesure sur Ryst Kuil ». Autant d’éléments qui ne figurent pas dans la version 2.
A propos du gisement de Bakouma. La version 1 insiste : «On est au début de l’étude de faisabilité ; seule une étude conceptuelle sur la méthode minière est disponible, il y a donc peu de données fiables». La version 2 est beaucoup moins précise : «On est au début de la nouvelle étude de faisabilité». De même, les réserves de la version 1 à propos de l’«absence d’infrastructures et du contexte politique du pays» ne figurent plus dans la version 2.
A propos du gisement de Ryst Kuil. La version 1 évoque un «calendrier du projet [qui] reste flou». Une mise en garde qui ne figure plus dans la version 2.
LE SENS D’UNE PHRASE MODIFIE
A propos du site de Trekkopje, la version 1 évoque une «incertitude sur le taux de récupération par la méthode lixiviation en tas alcaline (NDLR : un procédé de collecte de l’uranium) non encore testée en production industrielle». La version 2 dit l’inverse : «Les tests ont permis de conforter la méthode de récupération par lixiviation en tas alcaline».
«L’Etat actionnaire a été floué», déplore une source proche d’Areva. Une version fermement contestée par l’ex-présidente du géant nucléaire. «Ces deux documents ne sont que les présentations résumées de travaux, analyses et documents de haute technicité. Or toute la vraie documentation technique brute a été fournie à l’APE qui a pu s’en faire expliquer les contenus par les ingénieurs d’Areva», minimise Me Versini-Campinchi, l’avocat d’Anne Lauvergeon.
Matthieu Pelloli et Elisabeth Fleury
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