(Seneweb 15/07/2011)
Attendu comme un sage en raison de son âge avancé (86 ans révolus) et de l’état de grâce le plus long dont l’a gratifié le peuple sénégalais dans sa longue histoire électorale, Abdoulaye Wade a choisi de se presenter à la nation sous la double casquette de chef de l’Etat et de chef d’un clan politique, certes aux commandes, mais paradoxalement comptable d’environ 20 % à peine des intentions de vote. Il a également décidé de parrainer contre vents-et-marées la présence de son fils aux postes suprêmes de commande du pouvoir et, sans l’ombre d’un doute, à sa succession à la chefferie d’Etat.
Décidé à s’user au pouvoir jusqu’à 92 ans s’il était élu en 2012, le chef de l’Etat a décidé de faire face à un complot imaginaire de l’opposition et d’une société civile vibrante et en pleine mutation. A travers le discours d’Abdoulaye Wade et le format qu’il a choisi en s’adressant avant tout à sa base politique (soit les 298 élus locaux libéraux sortis des élections de mars 2009), c’est un discours musclé et fractioniste qui a été servi aux membres de son parti, et, par-delà, à une nation meurtrie, appauvrie par la politique économique et sociale d’un libéralisme tropicalisé vautré dans les comptes d’épicier de la gestion étatique. Le Président de la République a demandé au parti-Etat en ordre de bataille serré, de s’accrocher au gouvernail et de se préparer à engager une série de confrontations qui vont être très dures et se présenter dans un proche avenir, au moins, sous la forme d’une revanche qui permettrait à Abdoulaye Wade de jeter ne serait-ce que momentanément en prison ses adversaires les plus irréductibles en travaillant au flanc ses leaders à travers des procédures punitives multiformes.
Par ailleurs, le format choisi par M. Wade laisse penser qu’il s’entête dans l’attitude guérrière que lui connaissent les Sénégalais à travers le mot d’ordre lancé aux membres de son parti, leur intimant l’ordre d’organiser des milices partout à travers le pays.
Logiques adverses
Face à la logique de confrontation ouverte entre deux souverainetés, la souveraineté populaire, centre de gravité du pouvoir légitime conféré par le suffrage universel, et la souveraineté politique léguée le temps d’un mandat au président de la République qui incarne aussi le président du parti aux commandes, Abdoulaye Wade, s’est attaqué brutalement aux fondements de la souveraineté populaire en essayant de déstabiliser ses ennemis politiques à travers une stratégie pêle-mêle intégrant un projet brouillon de “provincialisation” agrégé à une Primature, une Vice-présidence, un Sénat, une Assemblée nationale, un Conseil économique et social et une Cour constitutionnelle dont les membres sont tous majoritairement comptables de la “générosité” politique et des prébendes du chef de l’Etat. Ce faisant, il a installé un vague-à-l’âme politique au sein de son propre clan et de ses alliés de circonstance, et cassé, pour de bon, les restes du consensus extrêmement fragile qui a été mis en place pour préserver le Sénégal d’une instabilité institutionnelle qui eu pu précipiter le Sénégal dans la guerre civile. En s’attaquant aux collectivités locales adverses en en fractionnant le pouvoir décisionnel et politique, à travers une violence policière qui s’est soldée, pour l’instant, par un mort et plusieurs dizaines de blessés, le chef de l’Etat a décidé de s’installer dans les nuages de l’illusionisme politique et d’un messianisme hors de saison au lieu de faire face à la vérité intangible de l’histoire : le peuple est le pouvoir transcendant par excellence, l’unique et seul maître de l’ordonancement du contrat social.
M. Wade n’a réussi son rite de passage dans l’ordre de ses responsabilités étatiques ni dans son pays ni à l’échelle internationale. L’opinion nationale ne se fait plus d’illusions sur les promesses interminables et les revirements spectaculaires doublés de faux scoops politiques auxquels l’a habitué le président de la République le plus partisan de leur histoire. Le jugement sans appel qui revient le plus souvent, tant de la part de ses souteneurs que de ses anciens camarades de parti, les uns jetés en prison, les autres poussés à la démission ou carrément chassés du pré-carré décisionnel, c’est le style de travail intuitif et brouillon et le caractère ombrageux d’Abdoulaye Wade face à ses prerogatives régaliennes ou même administratives. Il traîne, par ailleurs, le complexe du diplômé qu’il n’a pas hésité à exhiber devant un parterre amusé de chefs d’Etat du G8 à travers l’étalage de formules prétendument “mathématiques”. Son goût prononcé de l’argent facile l’a irrémédiablement conduit à être accusé de confondre ses biens personnels avec les fonds politico-diplomatiques et peut-être ceux de plusieurs dizaines d’agences soustraites du processus normal de gestion étatique budgétaire.
Autant dire, qu’avant son discours, Wade a planté les prémisces de la discorde nationale qui pourraient éventuellement déboucher sur une guerre civile de type ivoirien, togolais ou sierra-leonais voire libérien. Ces inquiétudes ont déjà été relayées par les chancelleries étrangères les plus en vue au Sénégal, notamment, celles de l’Union Européenne, de la France, puissance dominante, des Etats-Unis et des partenaires internationaux les plus en vue du Sénégal, à l’exception notable de la Chine qui poursuit un agenda de “non ingérence” instruit surtout par ses intérêts géostratégiques et économiques.
A l’echelle continentale, le President de la République a indisposé beaucoup de ses pairs tant parmi ses voisins immédiats qu’au sein d’une Union Africaine médusée par le voyage à Bengazi d’Abdoulaye Wade, voyage mis en scène par Nicolas Sarkozi et une Françafrique dont la perte d’influence en Afrique est devenue manifeste en raison du sursaut de conscience historique qui traverse toute l’Afrique face à ses enjeux de survie immédiate.
Un “messie” isolé
C’est donc un “messie” isolé et ouvertement désavoué jusque dans les rangs de son propre parti qui s’est adressé à ses obligés qui n’avaient guère montré d’enthousisasme jusque là à s’offrir en bouclier protecteur, et, par ricochet, aux opérateurs politico-financiers qui entretiennent sa clientèle électorale en voie de recomposition avancée tant est profonde la crise economique, sociale et politique qui traverse le Sénégal depuis l’accession de M. Wade à la magistrature suprême.
Sur les grandes questions qui préoccupent la nation sénégalaise, Abdoulaye Wade, comme à son habitude, est tombé dans le piège de l’auto-glorification et du populisme qui ne font plus recette devant des populations extrêmement appauvries à hauteur de 60 % de la population totale selon certaines sources. Ces multitudes délaissées ont perdu confiance dans les capacités intrinsèques des gouvernements successifs de M. Wade à gérer dans la transparence les innondations péri-urbaines, à infléchir les tendances inflationnistes de l’économie, à maitriser la croissance annuelle qui lorsque rapportée à la production véritablement nationale peinerait à atteindre la barre de 2 %. La chéreté des denrées de première nécéssité et des intrants de production, la mediocrité de la fourniture éléctrique et ses effets dévastateurs sur les petites industries, la chéreté des loyers et la lourdeur des taxes multiformes largement gaspillées dans des dépenses improductives sinon dans des logiques prébendières militent toutes en faveur de la montée en flèche de l’opposition.
La question transcendante du processus politique et du respect de la charte constitutionnelle a été tournée en dérision. Abdoulaye Wade s’est enfermé dans une logique de confrontation : à 86 ans passes, il a décidé de se présenter aux élections présidentielles contre l’avis de la grande majorité des constitutionalistes nationaux qui ont participé ou non à l’élaboration de la loi fondamentale. L’interprétation unilatérale dans laquelle Wade s’est enfermé n’est pas plus crédible aux yeux de la population qui a tenu à le manifester à travers les soulèvements des 23 et 27 juin passes en faisant émerger un niveau de citoyenneté rarement égalé dans les évènements politiques qui ont jalonné l’histoire du pays.
En rejetant de façon aussi inattendue que musclée la tentative ouverte de dévolution monarchqiue du pouvoir au profit de son fils Karim Wade qui porte, par la faute de son père, l’étiquette haissable d’homme politique le plus honni de l’histoire du Sénégal.
Sur la gestion du processus électoral et la garantie d’un scrutin transparent des élections à venir, le Président en titre a fait l’impasse et a fait monter la tension politique d’un cran en ignorant l’exigence populaire sur ces deux questions transcendantes. Il n’a pas non plus cru devoir tirer les conséquences des échauffourées des 23 et 27 Juin, en se séparant de son gouvernement, et éventuellement, en s’acheminant vers des élections couplées anticipées. Car, il est évident que la profondeur et l’intensité du mouvement de protestation du 23 juin aurait pu autoriser ses principaux animateurs à installer le pays dans une ambiance insurectionnelle éventuellement désastreuse, et, sans doute, s’avérer le point de départ d’une confrontation civile majeure. N’eût été la maturité des manifestants et plus particulièrement d’une jeunesse prédominante, le destin du Sénégal aurait pu basculer ce jour-là dans un abîme insondable.
Le Président de la République comme ses adversaries font désormais face à leur destin. Ni les relais religieux et confrériques habituels ni les effets enivrants et folkloriques de clientèles politiques livrées à une extase de circonstance ne sauraient les délivrer du besoin irrepressible de mieux-être, de liberté et de dignité aui habite profontément le Sénégal et une jeunesse majoritaire qui ne sùen laissera plus compter si facilement.
Par Jacques Habib Sy
Contributions
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