lundi 18 avril 2011

Sénégal - Abdoulaye Wade, le Grand Théâtre et la folie des grandeurs

(Afrik.com 18/04/2011)

Abdoulaye Wade a célébré vendredi la coopération du Sénégal avec la Chine à l’occasion de l’inauguration du Grand Théâtre National, première des « sept merveilles de Dakar » à sortir de terre.
Après l’imposant monument de la Renaissance africaine, inauguré il y a un an et construit par des Nord-Coréens, Abdoulaye Wade recevait officiellement hier les clés de son Grand théâtre national des mains de la vice-présidente de l’Assemblée populaire de Chine. Fruit de la coopération sino-sénégalaise, l’édifice a coûté environ 16 milliards de francs CFA (environ 24 millions d’euros), dont 14 financés par l’Empire du milieu. À cause des lenteurs des travaux imputées à l’Etat du Sénégal, le bâtiment n’a pu être livré avant l’organisation du Festival mondial des arts nègres comme initialement prévu.
Le président sénégalais, dont la politique du chéquier n’est plus un secret pour personne, a tenu à magnifier les relations qu’entretient son pays avec la Chine, « le début d’une nouvelle aventure exaltante et passionnante avec la désormais deuxième puissance économique mondiale », mais surtout « une odyssée extraordinaire et une aventure humaine ». « Je veux remercier le président de la République populaire de Chine, son gouvernement et le peuple chinois qui nous offre ce joyau majestueux avec une générosité incommensurable », note Abdoulaye Wade. Pour rappel, le Sénégal a repris ses relations diplomatiques avec la Chine en 2005 après avoir tourné le dos d’une manière fort peu diplomatique à Taiwan. Citant le général De Gaulle, le Sénégalais avait alors écrit dans une lettre adressée à son homologue taiwanais que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Le Sénégal ambitionne depuis de « devenir la porte d’entrée de la Chine en Afrique ».
Bâti sur une superficie d’environ trois hectares et érigé sur six étages, le Grand Théâtre peut accueillir jusqu’à 1800 spectateurs. Le chef de l’Etat souhaite en faire « un espace d’excellence sans être abusivement élitiste, mais aussi un espace ouvert aux jeunes, aux élèves, aux étudiants qui, en dehors de la légitime fierté de compter dans notre pays un théâtre parmi les plus prestigieux au monde, pourront faire l’apprentissage de ce qui se fait de mieux en matière de création théâtrale et de création tout court ». « Je voudrais que le Grand Théâtre accueille les plus grandes pièces du répertoire sénégalais, africain et mondial, poursuit Abdoulaye Wade, qu’il permette l’éclosion de tous les talents, des plus grands dramaturges aux plus grands acteurs, qu’il soit le lieu de présentation des grandes pièces du répertoire présent et futur, chaque fois qu’ils nous seront accessibles. »
« Les sept merveilles de Dakar »
Premier édifice du Parc culturel rêvé par Abdoulaye Wade, et dont la maquette a été présentée au début du mois en Conseil des ministres, le Grand Théâtre n’est qu’une des « sept merveilles de Dakar », surnom donné par le président aux différents bâtiments qui composeront ce Parc culturel. Situé dans le centre-ville de la capitale, entre l’ancienne gare, le carrefour Cyrnos, le Boulevard de l’Arsenal et l’Avenue Lamine Guèye, le parc culturel comprendra outre le Grand Théâtre, le Musée des Civilisations noires, l’Ecole des Arts, l’Ecole d’Architecture, les Archives nationales, la Maison de la Musique et la Bibliothèque nationale. D’ores et déjà, Abdoulaye Wade a dédié son projet « à la jeunesse du Sénégal, de l’Afrique, de la Diaspora et à tous les hommes et femmes attachés à la promotion de la Culture ». Il a également annoncé que les travaux du Musée des Civilisations noires devraient débuter « avant la fin de l’année ».
Comme d’habitude au Sénégal, l’inspiration viendrait directement de l’esprit fécond d’Abdoulaye Wade et l’ouvrage a été confié à l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, proche conseiller du Président de la République, « artiste officiel du roi soleil » selon ses détracteurs. Les deux hommes sont déjà à l’origine de la Porte du Troisième millénaire et de la Place du Souvenir, sur la corniche face à l’Océan, et du controversé Monument de la Renaissance africaine.
La folie des grandeurs ?
À Dakar, le nouveau projet architectural d’Abdoulaye Wade et de Pierre Goudiaby Atepa fait grincer des dents et, pour certains, symbolise la folie des grandeurs du pouvoir. « Pourquoi en ce moment de ténèbres et de vie chère nous doter de sept merveilles architecturales ?, s’interroge l’éditorialiste Cébé sur le site Rewmi.com. Ces deux-là vivent-ils vraiment dans ce pays qui vient de fêter sa 51e année de l’indépendance anniversaire et qui voit jusqu’à des rappeurs monter au front pour réclamer une vie décente pour les Sénégalais après tant d’années d’errements et de je m’en foutisme ? »
Plutôt que d’évoquer les « sept merveilles », Abdoulaye Wilane, porte-parole du Parti socialiste estime pour sa part que le président aurait mieux fait de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche ». L’opposant explique que « l’idée de donner au Sénégal et à Dakar une vocation de destination culturelle privilégiée n’est pas mauvaise ». Cependant, il se dit gêné par « la forte propension que Wade a à tout ramener à sa personne » et estime qu’il « cherche à réaliser ses rêves d’enfance, ses lubies pour ne pas dire sa folie des grandeurs ».
Jamais à court d’idées, Abdoulaye Wade, qui se targue d’être le président le plus diplômé du Cap au Caire, a depuis son arrivée au pouvoir en 2000 lancé de très nombreux projets dont beaucoup n’ont jamais abouti faute de financement ou de volonté politique, parfois les deux, à l’image de la grande muraille verte, censée lutter de Dakar à Djibouti contre la désertification. Dernières annonces en date, après le séisme au Japon, il a indiqué qu’il renonçait à la construction d’une centrale atomique flottante « déjà commandée à la Russie ». Par contre, et ce malgré le fait que l’Etat est incapable de payer ses fournisseurs en fioul et de faire tourner ces centrales pour couvrir les besoins en électricité des populations, il entend créer une agence spatiale au Sénégal.

De notre correspondantlundi 18 avril 2011 / par Simon Maro
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