(Le Monde 14/04/2011)
Le président déchu sorti de son bunker, que va-t-il advenir maintenant de Laurent Gbagbo ? Transféré dans le nord du pays sous la protection de l’ONU, il serait, aux dires de son successeur Alassane Ouattara, “bien sécurisé”. Tandis que circulent sur Internet les images de son arrestation, la question du sort judiciaire de l’ancien chef de l’Etat reste en suspens. Une tâche délicate dont va devoir s’acquitter le nouveau président, déjà confronté aux défis de reprendre les rênes d’un pays à la dérive, avec la mission immense de réconcilier une nation divisée et de rétablir la paix et la sécurité.
Appelant ses compatriotes à s’abstenir de toute mesure de représailles et d’actes de violence, Alassane Ouattara a multiplié ces derniers jours les déclarations d’apaisement, prônant la réconciliation et affichant une apparente volonté de mettre en œuvre des mécanismes de “responsabilisation” pour les crimes commis en Côte d’Ivoire ces derniers mois.
Il a ainsi annoncé avoir demandé au garde des Sceaux l’ouverture d’une procédure judiciaire contre Laurent Gbagbo et son entourage, la mise sur pied d’une Commission Vérité et Réconciliation qui fasse “la lumière sur tous les massacres, crimes et autres violations des droits de l’Homme”, et prévu de solliciter l’intervention de la Cour pénale internationale (CPI) pour les massacres perpétrés dans l’ouest du pays. De fait, et comme le rappelle Philippe Bernard, “l’interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du conflit […] le retour à la paix dépendra aussi de la capacité du nouveau président à enclencher un processus de justice visant les auteurs de violence, y compris dans son propre camp”.
Dans ce contexte, quel peut être l’avenir réservé à son ancien adversaire, qu’il a promis de “traiter avec tous les égards dus à son statut d’ancien chef d’Etat” ? Un temps évoqué, l’exil de Gbagbo est devenu “difficilement envisageable”, une “éventualité qui va à l’encontre de l’action militaire menée par les forces républicaines, soutenues par l’ONUCI et la force Licorne, qui l’ont capturé et gardé en vie dans l’objectif de le faire comparaître dans le box des accusés”. “Laurent Gbagbo sera présenté devant la justice pour les crimes qu’il a commis”, a déclaré l’ambassadeur ivoirien à l’ONU quelques heures après l’arrestation de celui-ci à Abidjan. Certes, mais qui le jugera ?
“La Côte d’Ivoire est un Etat souverain, écrit l’avocat Gilles Devers sur son blog. Elle a tout pour juger les crimes commis sur son sol. Il faut donc que les enquêtes soient ouvertes, que des juges soient désignés, que des avocats défendent les droits des personnes mises en cause et que la presse suive tout cela. Si le processus coince, il sera bien temps pour les Ivoiriens d’en analyser les causes et de mesurer quelle forme de coopération peut être trouvée avec la Cour Pénale Internationale, pour finalement peut-être renoncer à la solution nationale et transférer l’affaire à la Cour […] Ce serait un immense recul de l’Etat ivoirien que de se montrer incapable de gérer la fonction judiciaire”.
L’option d’un procès national n’est pourtant pas sans risque pour la stabilité du pays. La principale crainte est qu’il ne constitue un nouveau facteur de division et ravive les tensions en servant de prétexte à une recrudescence de la violence. “Il y a un vrai risque de règlement de comptes”, estime Philippe Perdrix, rédacteur en chef adjoint à Jeune Afrique, interrogé par France 24. Dans un pays qui reste encore divisé, les partisans de Gbagbo ne manqueraient pas de voir dans cet acharnement judiciaire le “coup de grâce” infligé par Ouattara à son ancien rival politique.
“C’est un risque à prendre, estime pourtant Gauthier Rybinski, spécialiste politique de France 24. La Côte d’Ivoire doit se purger de ses crimes avant de se reconstruire. Risquer de tout refouler serait encore plus dur pour le pays. Ce procès doit symboliser la première pierre à poser pour élever un État de droit, il doit être un pas vers la réconciliation prônée par Ouattara”.
La carte de la justice internationale pourrait-elle représenter une meilleure option ? Si l’actuel Procureur de la Cour, Luis Moreno-Ocampo, n’a entamé aucune poursuite judiciaire contre le président sortant, il a cependant annoncé, le 6 avril dernier, vouloir ouvrir une enquête sur les “massacres commis de façon systématique ou généralisée” en Côte d’Ivoire, sur la base de cette fameuse reconnaissance de compétence transmise en 2003 par le gouvernement de Gbagbo lui-même. Il avait également déjà averti l’ancien président et ses partisans que les crimes perpétrés contre la population civile et les attaques menées contre les Casques bleus de l’ONUCI ne resteraient pas impunis.
Certes, la CPI n’entrerait en scène qu’en application du principe de complémentarité inscrit dans son traité fondateur, le Statut de Rome, c’est-à-dire au cas où les autorités judiciaires ivoiriennes seraient dans l’incapacité de juger Laurent Gbagbo et ses proches, ou à la demande de celles-ci. Mais d’une part, l’intervention de la Cour pourrait renforcer “les thèses du camp Gbagbo qui estime que la capture de son leader est ‘un complot international’ et une ingérence des grandes puissances, en particulier de la France”.
Et surtout, si on met en avant sa neutralité et son impartialité du fait de son éloignement, un procès devant la CPI reste une “option périlleuse” pour le nouveau pouvoir en place. En effet, si Gbagbo pourrait avoir à répondre de crimes contre l’humanité devant la juridiction de La Haye, le clan Ouattara, également accusé de s’être livré à de nombreuses exactions lors de l’offensive vers le sud du pays entamée le 28 mars dernier - notamment à Duekoué -, ne serait pas à l’abri du danger. Une investigation internationale reviendrait ainsi “à ouvrir la boîte de Pandore”, analyse Philippe Perdrix. Un choix risqué pour Ouattara le “réconciliateur”, une entreprise aléatoire pour la justice elle-même dont le rôle dans la pacification du pays est encore bien incertain.
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