vendredi 15 avril 2011

Nigeria -L'économie du Nigeria minée par de nombreux maux

(Le Monde 15/04/2011)

Le Nigeria, l'un des géants d'Afrique, ne manque pas d'atouts économiques : deuxième économie du continent derrière l'Afrique du Sud, il possède d'importantes ressources naturelles, au premier rang desquelles le pétrole, qui représente 40 % du PIB. Le pays est certaines années le 5e producteur de l'OPEP, avec 2,2 à 2,4 millions de barils de brut extraits chaque jour. C'est un pétrole de haute qualité – le sweet crude – très recherché pour la production de carburant.
Le Nigeria possède aussi de nombreuses ressources naturelles sous-exploitées comme le gaz, le charbon, l'or ou encore la bauxite, dont on extrait l'aluminium. Son secteur agricole, qui emploie encore environ 60 % de la population active, a un gros potentiel, les terres agricoles étant sous-utilisées. L'industrie, notamment manufacturière, produit cuirs et textiles, l'automobile est présente, mais aussi l'agroalimentaire. Son secteur des télécommunications a l'une des progressions les plus rapides au monde, avec de gros opérateurs locaux comme MTN, Etisalat ou encore Globacom. Enfin, le secteur financier est très développé, même s'il a subi le contrecoup de la crise financière mondiale.
Cependant, comme pour la composante religieuse et ethnique, en matière économique la distinction entre le Nord et le Sud est importante. Comme le souligne le centre de recherches Council on Foreign Relations, "les importantes réserves de pétrole sont situées dans le delta du Niger, et le Sud abrite Lagos, la capitale commerciale du pays, ainsi qu'une des plus grandes métropoles du monde". L'économie est aussi frappée par un ensemble de maux, y compris la violence et la rébellion, que certains experts et historiens considèrent comme le produit d'une économie de rente trop dépendante de ses richesses minières.
DÉPENDANCE AU PÉTROLE
Découvert au Nigeria en 1956 et pour la première fois exporté en 1958, le pétrole n'a pris une dimension stratégique décisive dans le paysage économique et politique que dans les années 1960, quand il est devenu la principale source de revenus de l'Etat. Et selon la CIA, "les anciens dirigeants militaires ont échoué à diversifier l'économie de sa dépendance excessive vis-à-vis du secteur pétrolier intensif en capital, qui fournit 95 % des recettes de changes extérieures et environ 80 % des recettes budgétaires."
Mais, malgré la richesse pétrolière, le pays est pauvre. L'International Crisis Group (ICG), un cercle de réflexion réputé, explique que "malgré une croissance économique rapide et un développement visible dans certains Etats du pays (…) et des recettes pétrolières considérables – presque 74 milliards de dollars en 2008 – 92 % des Nigérians vivent avec moins de 2 dollars par jour et 70 % avec moins d'un dollar. (...) Dans certaines régions, l'Etat n'offre ni eau, ni électricité, ni éducation. Le chômage, surtout parmi les jeunes, est répandu [19,7 % en octobre 2010, selon le ministre des finances nigérian]."
Selon une étude de l'Institut français des relations internationales (IFRI), "de considérables sommes d'argent issues du pétrole entrent dans les coffres de l'Etat pour en sortir rapidement, sans améliorer le niveau de vie de la population. Les économistes Sala-i-Martin et Subramain (2003) ont fourni des chiffres frappant sur cette situation. Au Nigeria, le PIB par habitant en 2000 était à peu près le même qu'en 1970. Mais la proportion de la population vivant avec moins d'un dollar par jour est passée de 36 à 70 %. Or, entre 1965 et 2000, le revenu du pétrole par habitant est passé de 33 à 325 dollars. Dans le même temps, les inégalités de revenus ont explosé. En 1970, les 2 % les plus riches gagnaient autant que les 17 % les plus pauvres ; en 2000, ces 2 % gagnaient l'équivalent des 55 % les plus pauvres."
La pauvreté frappe notamment la région du Delta. "La toile de fond du Delta est un désastre économique et écologique. Près de la moitié des 28 millions d'habitants du Delta vivent avec moins de 1 dollar par jour, alors que chaque année la région produit l'équivalent des besoins énergétiques des Etats-Unis. L'espérance de vie parmi la population est inférieure à 45 ans ; un enfant sur dix meurt avant sa cinquième année (PNUD 2006)..."
UNE ÉCONOMIE DE RENTE
Autre problème de taille, selon l'International Crisis Group, "le comportement de 'recherche de rente' [par les responsables du pays] qui favorise la corruption, pénalisant les exportations non-pétrolières et entraînant une distorsion de l'allocation de ressources, et qui réduit à la fois l'efficience économique et l'équité sociale".
En 2004, les architectes de la très estimée National Economic Empowerment and Development Strategy ont reconnu que le pétrole avait transformé l'institution du gouvernement en un "instrument pour l'acquisition immédiate de richesse et par conséquent a réduit l'incitation à travailler et à créer de la richesse dans le secteur privé. Avec le gouvernement comme principale source de patronage et de recherche de rente, la lutte pour les emplois publics est devenue une question de vie et de mort. La prévalence de paiements en argent liquide par les compagnies pétrolières et le gouvernement a aggravé les problèmes."
Le pétrole est également détourné à grande échelle : selon l'International Crisis Group, "les experts de l'industrie ont estimé que les pertes dues à l'extraction sauvage de pétrole (le "bunkering") allaient de 70 000 à 300 000 barils par jour, l'équivalent d'un petit pays producteur de pétrole". Estimation proche pour l'IFRI, pour qui "entre 100 000 et 500 000 barils supplémentaires de pétrole par jour, selon la période, pourraient être produits si le pays était sûr".
L'International Crisis Group estimait en 2009 que "le pays a perdu 23,7 milliards de dollars à cause du vol de pétrole, du sabotage et de la fermeture de sites de production au cours des neuf premiers mois de 2008.
Un autre problème est qu'une grande partie des revenus du pétrole n'est pas allouée aux régions dont ils proviennent. Les habitants du Delta soulignent que quand le Nigeria a gagné son indépendance, 50 % des revenus du pétrole et de minéraux étaient officiellement attribués à des zones dont ces ressources provenaient. En 1982, sous l'administration civile du président Shehu Shagari, encore considérée comme la plus corrompue au Nigeria, seulement 1,5 % a été alloué directement aux Etats producteurs de pétrole. Depuis, cette proportion a augmenté pour atteindre seulement 13 %.
CORRUPTION ÉLEVÉE ET FUITES DES CAPITAUX
Il est estimé que de 1970 à 2009, les fuites de capitaux du Nigeria se sont élevées à 89,5 milliards de dollars, à un taux moyen de 10 milliards par an, selon l'ONG Global Financial Integrity. Ceci est un des effets de la corruption. Le Nigeria est classé à la 130e place mondiale sur 180 pays dans le classement de Transparency International.
Les efforts anti-corruption ont échoué à améliorer la vie du Nigérian moyen. Les pots-de-vin sont nécessaires pour obtenir un document de fonctionnaire ou pour passer des barrages policiers ou militaires – normalement autour de 15 cents pour les conducteurs de voitures et 35 à 75 cents pour les camions ou les taxis, une somme écrasante pour la population.
QUELLES PERSPECTIVES ?
Le cessez-le-feu et l'amnistie dans le delta du Niger ont, depuis juillet 2009, calmé la violence mais n'ont pas répondu aux causes de celle-ci, ni n'ont conduit à une vaste démobilisation des rebelles.
Des observateurs relèvent le risque d'un regain des violences pendant et après l'élection présidentielle du 16 avril. "Il y a aura des poches de violences", juge Victor Ndukauba, d'Afrinwest advisers. "Cependant nous ne pensons pas que ce sera très grave", ajoute l'analyste. D'autres estiment que l'accalmie ne durera pas, les racines de la contestation – le chômage et la pauvreté – menaçant de nourrir la violence.
L'apaisement du climat dans le delta du Niger pourrait néanmoins permettre de relancer la production et compenser sur le marché les conséquences de la crise libyenne. Le Nigeria a vu sa production remonter à 2,4 millions de barils par jour après l'amnistie. Mais les grandes compagnies pétrolière présentes au Nigeria – dont Shell, ExxonMobil, Chevron et Total – veulent plus de visibilité et de transparence sur les conditions financières qui leur seront faites dans la nouvelle législation promise depuis un an par le président Goodluck Jonathan, candidat à sa propre succession. Ce dernier a promis d'accélérer l'adoption d'une nouvelle législation pétrolière, dans l'espoir que les majors du secteur investissent dans de nouveaux projets. La restructuration vise à augmenter les revenus du gouvernement tirés des projets offshore, très rentables, et de réformer la compagnie nationale, réputée pour être gangrenée par la corruption.
Le gouvernement est aussi préoccupé par le manque à gagner à un moment où le cours de l'or noir atteint de nouveaux sommets en raison d'un climat géopolitique incertain et des craintes d'une chute de la production liée aux événements de Libye. Si le Nigeria n'a pas reçu de l'OPEP le feu vert pour accroître sa production, les analystes pensent que le pays pourrait la relever de 300 000 à 400 000 barils par jour à court terme, grâce à des prospections dans des champs inutilisés.
D'autres priorités doivent cependant être traitées pour doper l'économie. "Sur les quinze dernières années, le Nigeria a fait des progrès significatifs dans certains secteurs économiques, notamment la banque, les télécommunications et l'industrie aérienne", souligne un expert de la Brookings. Cependant, les deux secteurs pour lesquels il y a une énorme perspective, et qui peuvent fournir le niveau de la croissance de l'emploi nécessaire, à savoir l'agriculture et l'industrie, "sont affaiblis par les déficiences des infrastructures, surtout l'énergie et les transports".
Un constat que partage la CIA : "Le PIB a progressé fortement en 2007-2010 à cause des prix élevés du pétrole en 2010. Le président Jonathan a promis de continuer les réformes économiques de son prédécesseur en mettant l'accent sur les infrastructures. Les infrastructures sont le principal obstacle à la croissance", estime l'agence de renseignements américaine. En août 2010, M. Jonathan a dévoilé un plan sur l'énergie qui inclut des privatisations des installations énergétiques détenues par l'Etat. Le gouvernement travaille aussi à développer des partenariats public-privé plus forts pour la construction de routes.
Energie et infrastructures routières sont un problème déjà ancien. Selon l'expert de la Brookings, "le président Umaru Yar'Adua, en 2007, avait annoncé son intention de 'déclarer l'urgence' concernant ce que les Nigérians appellent une fourniture d'énergie 'épileptique'. Il a promis d'accroître la production de 6 000 mégawatts d'ici à la fin 2009… Malgré le fait que le gouvernement ait mis 10 milliards de dollars tirés de ses réserves de changes pour financer des améliorations dans l'infrastructure énergétique, la production disponible se limite autour de 3 000 mégawatts." Par ailleurs, "les projets de transport, comme celui longtemps promis de l'autoroute Est-Ouest entre Port-Harcourt et Lagos et l'amélioration du chemin de fer reliant les deux grands sites industriels dans le Nord et le Sud, Kano et Lagos, ont échoué à sortir de la planche à dessins.
Beaucoup reste donc à faire en matière économique pour que la manne pétrolière profite à tous les Nigérians.

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