(Liberation 12/04/2011)
Au lendemain de l'arrestation de Laurent Gbagbo, que dit la presse étrangère? Quel jugement, en particulier, portent les éditorialistes sur l'intervention française? Extraits.
En Afrique
Irrégulièrement mis à jour ces derniers temps sur la Toile, les éditos des quotidiens ivoiriens sont encore difficiles à trouver en raison de la confusion qui règne dans le pays. Notons tout de même au passage qu'Abidjan.net, site d'info qui remonte surtout des dépêches, paraît dubitatif sur le scénario de l'arrestation au point d'en appeler aux lecteurs:
Au Burkina Faso voisin, Le Pays, quotidien proche de l'opposition, reconnaît une certaine efficacité à l'intervention française: «Certes, la France du nom de cette ancienne puissance coloniale, a toujours été traitée de tous les noms d’oiseaux pour sa politique, dit-on, du bazouka en Afrique, mais, dans le cas d’espèce, elle aura posé un acte qui, de mémoire d’homme, n’a jamais pu déclencher pareil enthousiasme endémique à travers le monde.»
Au Togo, le quotidien d'opposition Liberté rappelle que si les choses en sont arrivées là c'est d'abord parce que «l’élite africaine n’a tout simplement pas pris ses responsabilités». «Combien de chefs d’Etat ont eu le courage de dire, individuellement parlant, la vérité à Laurent Gbagbo, de l’appeler à accepter sa défaite et reconnaître la victoire d’Alassane Ouattara ? (...) Aucun ! Parce qu’on a affaire à des mal élus et des voleurs d’élections. Personne ne veut se faire hara-kiri. Tous se sont juste recroquevillés derrière les positions communes exprimées par les organisations sous-régionales ou continentale comme l’Union économique et monétaire ouest africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédeao) et l’Union africaine. Et là aussi, il a fallu que la France, les Etats-Unis d’Amérique, l’Organisation des nations unies, l’Union européenne donnent le ton et soient les premiers à condamner les manœuvres de Laurent Gbagbo avant de voir ces organisations africaines briser le silence.»
Immobilisme des organisations africaines que pointe aussi El Watan, le quotidien de référence algérien, sous le titre «la diplomatie africaine n'existe pas»: «En Côte-d’Ivoire, qui a souffert pendant quatre mois du refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir après dix ans de règne, l’UA a laissé l’initiative à l’ONU et à la France», écrit Fayçal Métaoui. «Le Soudan a été scindé en deux et l’UA n’a rien pu faire. La Somalie disparaît chaque jour de la carte géographique et l’UA n’a pas pu stopper le massacre. L’Egypte et l’Ethiopie risquent d’entrer en guerre en raison du partage des eaux du Nil bleu et l’UA reste muette. La diplomatique africaine n’existe pas. La prétendue «intelligence collective» évoquée par Mourad Medelci ne sera d’aucun secours.»
Marwane Ben Yahmed, dans Jeune Afrique, dit peu ou prou la même chose: «le "coup de main" français à Alassane Ouattara, qui s’inscrit dans le cadre de la nouvelle doctrine onusienne visant à protéger les civils par tous les moyens – dont on ne sait pas très bien où elle commence ni où elle s’arrête –, était la moins mauvaise des solutions. (...) C’est donc plutôt l’impuissance ou l’inertie de l’Union africaine, de la Cedeao et de l’ONU qui ont incité Paris à monter en première ligne, visiblement à reculons.» «Une chose est sûre: l'histoire retiendra que sans les forces internationales, sans les Français, Laurent Gbagbo n'aurait peut-être jamais été capturé. Et cette certitude fragilise d'entrée de jeu le pouvoir d'Alassane Ouattara», note aussi sur son site l'hebdo, édité en France.
Certains s'émeuvent aussi des images d'un Gbago déchu, défait, en marcel, qui ont tourné en boucle hier. Ainsi Christian Eboulé, journaliste camerounais, qui y voit une «dangereuse humiliation», dans un long édito est publié sur Slate Afrique: «Ces images ont un effet dévastateur, en particulier sur les Ivoiriens qui considèrent encore Gbagbo comme leur champion. Le camp Ouattara se serait honoré en évitant la présence des caméras et des photographes immédiatement après l’arrestation de Laurent Gbagbo, et son transfert à l’hôtel du Golf d'Abidjan. Mieux, on ne peut imaginer que la présence des médias dans la suite de l’hôtel où le couple Gbagbo a été conduit soit le fait du hasard. Si c’est le cas, c’est une intention coupable. Et si cette initiative n’était pas volontaire, alors ça en dit long sur l’impréparation voire l’incurie du camp Ouattara.»
En Europe
«Un succès pour l'armée française, un échec pour sa diplomatie», résume John Lichfield dans The Independent, quotidien britannique. «L'attribution de l'arrestation de Gbagbo est un réel enjeu, puisque ni la France ni Ouattara n'ont intérêt à ce que celle-ci soit attribuée à la France», alors que les partisans de Gbagbo vont «essayer de garder le mythe - et la guerre civile - vivants en attribuant son renversement [celui de Gbagbo] à la méchante ancienne puissance coloniale.» Et de rappeler que lors de son arrivée au pouvoir il y a quatre ans, Sarkozy avait expliqué qu'il était temps pour une approche nouvelle et assainie de la Françafrique, mais que les «événements en Côte d'Ivoire suggèrent combien il est difficile de s'affranchir des vieilles mauvaises habitudes et ambiguïtés».
En Angleterre toujours, Thalia Griffiths, dans The Guardian, s'inquiète, comme l'essentiel de ses confrères, de l'après: Gbagbo défait, «maintenant son rival Alassane Ouattara se trouve dans une des plus déplaisantes postures présidentielles de tous les temps, avec un pays politiquement et militairement détruit par la guerre civile, une économie aux abois d'investissements, et des bailleurs de fonds en attente depuis plus d'une décennie.»
Dans le Guardian également, Kim Willsher, à propos de l'intervention francaise, revient sur la confusion qui a suivi l'arrestation de Gbagbo et la version finale d'une arrestation du fait des forces pro-Ouattara. «Ce scénario, s'il se vérifie, est le meilleur que Sarkozy ait pu espérer, puisque les Français ont sauvé la journée, sans avoir été vus porter le "coup de grâce" (en français dans le texte), qui aurait pu alimenter les accusations de néo colonialisme». Manière selon lui de redorer le blason français au sortir de son apathie coupable durant la révolution tunisienne.
En Espagne, la crise ivoirienne ne semble pas passionner. Seul El Pais insiste aujourd'hui sur les «trois guerres de Sarkozy», rappelant que pour la première fois depuis très longtemps, la France est impliquée dans trois conflits militaires (Afghanistan, Libye, Côte-d'Ivoire). Il s'agit, pour le quotidien, de «redonner à la France un peu de sa gloire du passé». La politique de Nicolas Sarkozy a eu pour objectif de «transformer l'Elysée en centre du monde».
Le quotidien ABC conteste aussi la version d'une intervention française a minima : «Sans la France, il aurait été impossible que les troupes de Ouattara entrent dans le palais présidentiel. Ce sont les Français qui ont commencé l'attaque.» Bien plus qu'un simple appui aux forces pro-Outtara, donc.
Côté presse française, les éditos mettent l’accent sur les défis qui attendent Alassane Ouattara. Lire en détails ici.
Outre-atlantique enfin, citons le New York Times, qui souligne que l'urgence est à «la crise humanitaire sérieuse», de même qu'au «désarmement des milliers de jeunes militants que Gbagbo avait armé».
C.B., D.G., I.M.
Monde 12/04/2011 à 13h50 (mise à jour à 15h43)
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