mardi 12 avril 2011

Côte d'Ivoire - Abidjan au premier jour de l'après-Gbagbo

(L'Express 12/04/2011)

Après la folle journée de lundi qui vit la chute de Gbagbo, la mégalopole ivoirienne s'est réveillée entre soulagement et inquiétude.
Ainsi, ils ont dormi à quelques mètres l'un de l'autre, dans cet Hôtel du Golf d'Abidjan qui fut, quatre mois durant, le refuge de l'un et la cible des sarcasmes de l'autre. Mais le vainqueur et le vaincu ont-ils vraiment trouvé le sommeil? Il y avait pour chacun d'eux matière à insomnie.
Dans sa suite, Alassane Dramane Ouattara, alias ADO, a sans doute songé à l'immensité du chantier qui l'attend. Tandis que chambre 468, Laurent Gbagbo, le sortant que l'on eut tant de mal à sortir, ressassait son amertume, entre dépit et incrédulité; à moins que l'immense lassitude qui, peu après sa capture, se lisait sur son visage, eût tout balayé. Non, il n'achèvera pas son parcours ici-bas en icône et martyr de la lutte contre l'hydre néocolonialiste. Non, il ne rejoindra pas le Congolais Patrice Lumumba, jeune Premier ministre assassiné en janvier 1961 par des soudards katangais avec l'aval du futur maréchal Mobutu et de ses parrains occidentaux, au panthéon des héros de l'Afrique insoumise et souveraine.
Mais le squatteur de Cocody aura, comme Lumumba, connu l'humiliation. "Laurent ne sortira pas vivant de son bunker", avait prédit son ami socialiste Guy Labertit. Illusion lyrique. Si l'on en croit le récit du commandant "Vetcho", l'un des chefs de guerre des Forces républicaines de Ouattara, ses premiers mots lors de l'irruption du commando d'assaillants furent ceux-ci: "Ne me tuez pas!"
Des images déjà entrées dans l'histoire
Ensuite, vinrent ces images dont on sait déjà qu'elles trouveront leur place dans les archives du despotisme en déroute, entre l'arrestation des époux Ceausescu et "l'exhumation" de l'Irakien Saddam Hussein. Le gilet pare-balles qu'on lui fait enfiler, et qu'un combattant ouattariste brandira plus tard tel un trophée, le casque qu'il faut coiffer. Le fils Michel, métis né de l'union avec sa première épouse française, échappant de peu au lynchage. Le "Première Dame" Simone, virago messianique rudoyée, injuriée, puis hirsute, hagarde, prostrée en prière sur un canapé rouge au faux cuir craquelé. Après la mêlée du Golf, on verra même l'un de ses persécuteurs mettre à l'encan une mèche de cheveux arrachés. Laurent de nouveau, assis sur le lit de la 468, s'épongeant le front et les aisselles, avant de passer une chemise verte propre et de "poser" au côté de ses geôliers.
Laurent et Simone Gbagbo, à l'Hôtel du Golf, ce lundi 11 avril.
REUTERS/Stringer
Loin de ces scènes cruelles et dérisoires, ADO, costume noir de bonne coupe et rosette à la boutonnière, recevra en fin d'après-midi un quarteron de généraux pas encore en retraite mais impatients de faire allégeance. Avant d'apparaître sur les écrans de la RTCI, "sa" télévision, le temps d'une brève allocution. Oui à la justice - "une procédure judiciaire sera engagée contre les Gbagbo et leurs collaborateurs" -, non à la vengeance, création sous peu d'une Commission vérité et réconciliation, histoire de faire la lumière sur "tous les massacres". Indispensable, quoi qu'il en coûte à l'élu du 28 novembre dernier et aux siens. "Nous voici, conclut Ouattara, à l'aube d'une nouvelle ère d'espérance. Dieu bénisse la Côte d'Ivoire." Soit. Encore faudra-t-il que le Très-Haut donne le meilleur de lui-même.
Ce mardi matin, à 5H00 locales, soit 7H00 à Paris, on entendait de la terrasse du Golf l'appel à la prière du muezzin d'une mosquée voisine. Mais pas le moindre coup de feu. La première nuit de l'après-Gbagbo aurait-elle été calme? Non, bien sûr. Elle fut aussi rythmée par les appels angoissés d'un ami abidjanais du quartier de Cocody, secteur d'Attoban. Une bande de soudards en treillis avait investi sa ruelle, frappant à chaque porte, exigeant les clés de voitures. Un voisin sera même embarqué, avant que son logis soit pillé de fond en comble. L'un des agresseurs portait au poignet une montre à l'effigie de Laurent Gbagbo. Il reste donc, de toute urgence, à mettre partout les pendules à l'heure.

Par notre envoyé spécial Vincent Hugeux, publié le 12/04/2011 à 11:02
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