(Le Monde 15/01/2013) Si l'annonce par le président Hollande d'un déploiement
militaire au Mali a été accueillie par un large consensus, quelques voix se sont
élevées pour dénoncer une initiative jugée "condamnable" par le président du
Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon. La question de la légalité de cette
intervention, au regard du droit français, mais aussi international, a également
été évoquée, notamment par Noël Mamère.
François Hollande
aurait-il dû consulter le Parlement avant de lancer l'opération "Serval"
?
A peine quelques heures après l'annonce du déploiement de l'armée
française au Mali, Jean-Luc Mélenchon a jugé "condamnable" le fait que la
décision ait été prise "sans en saisir préalablement ni le gouvernement ni le
Parlement". Mais, dans le droit français, rien n'oblige le président de la
République à consulter le Parlement avant de déclarer la guerre. En effet, en
France, l'article 15 de la Constitution reconnaît au président de la République
le statut de chef des armées, ce qui lui donne le pouvoir de décision en matière
militaire.
Un pouvoir simplement limité par l'article 35 de la
Constitution, qui oblige le gouvernement à informer "le Parlement de sa décision
de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours
après le début de l'intervention". Comme l'explique Béligh Nabli, directeur de
recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et
spécialiste du droit public, "l'autorisation parlementaire n'est pas nécessaire,
mais il y a des obligations qui pèsent sur le gouvernement malgré tout : le
premier ministre doit organiser un débat parlementaire ; il y a obligation
d'information".
C'est pour cette raison que le premier ministre,
Jean-Marc Ayrault, reçoit dès lundi soir à Matignon les principaux responsables
de l'Assemblée nationale et du Sénat, les socialistes Claude Bartolone et
Jean-Pierre Bel. Enfin, les ministres des affaires étrangères et de la défense,
Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, seront auditionnés mercredi par les
commissions des affaires étrangères et de la défense de
l'Assemblée.
La question d'une autorisation du Parlement pourra
éventuellement se poser en juin, car selon l'article 35 de la Constitution,
"lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le gouvernement soumet
sa prolongation à l'autorisation du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée
nationale de décider en dernier ressort". Mais il n'est même pas sûr que le
gouvernement doive se plier à cette obligation puisque, selon Béligh Nabli, il
ne s'agit pas ici à proprement parler d'une déclaration de guerre, mais d'une
"armée qui se met au service d'une opération
internationale".
L'intervention française est-elle en accord avec
la résolution 2085 de l'ONU ?
Autre problème : le respect du droit
international. Le 21 décembre, le conseil de sécurité des Nations unies a adopté
le projet de résolution porté par la France sur le Mali. Il s'agit de la
résolution 2085, qui autorise "pour une période initiale d'un an" le déploiement
d'une force africaine au Mali. "L'opération sera conduite avec des troupes
combattantes exclusivement africaines et une forte mobilisation de l'Union
européenne sur les plans financier et logistique", précisait alors le ministère
des affaires étrangères sur son site Internet. Mais depuis vendredi, il est
clair que ce sont essentiellement les troupes françaises qui se battent, venues
en renfort d'une armée malienne déjà plusieurs fois mise en déroute par les
groupes islamistes venus du nord. L'opération française au Mali sort donc du
cadre de la résolution 2085.
Pour Béligh Nabli, il s'agit-là d'un
"principe récurrent" à l'ONU, "un problème d'interprétation d'une résolution",
comme ça avait été le cas, au point de vue strictement juridique, en Libye. Pour
autant, la résolution n'est pas la seule base légale sur laquelle peut s'appuyer
le gouvernement. En effet, Paris a mis en avant l'article 51 de la charte de
l'ONU (PDF) qui mentionne "le droit de légitime défense, individuelle ou
collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une
agression armée". Le Mali a bien été agressé par les djihadistes, qui ont pris
possession de places fortes au nord du Mali, comme à Gao et Kidal, et
continuaient leur poussée vers le Sud. Mais le pays était incapable d'exercer sa
légitime défense, en raison de l'état de son armée. Il a donc fait appel à
l'armée française, qui exerce ici une "légitime défense collective", selon les
termes de Béligh Nabli.
De plus, il existe des accords de défense
bilatéraux entre la France et le Mali. Un argument qui n'a pas été mis en avant,
car il s'agit d'un produit de la "Françafrique" dont François Hollande a annoncé
vouloir se détacher. "Un argument juridiquement parfait, mais rhétoriquement
problématique", résume Béligh Nabli.
L'intervention au Mali
est-elle comparable avec celle en Libye ?
La seule similitude entre
l'intervention au Mali décidée par François Hollande et celle menée en Libye en
2011 par Nicolas Sarkozy est à trouver au niveau juridique. Comme François
Hollande, Nicolas Sarkozy s'était reposé sur une interprétation floue de la
résolution 1973. En effet, la résolution du conseil de sécurité de l'ONU
n'incluait pas les opérations visant la personne même du colonel Kadhafi. Mais
d'un point de vue politique, il ne s'agit pas du tout de la même configuration,
puisque le gouvernement français a répondu à une sollicitation du président
malien.
De plus, on peut considérer que la circulation des
djihadistes dans le nord du Mali et leur approvisionnement en armes, retirées
directement des arsenaux libyens, sont une conséquence de la chute du régime de
Mouammar Kadhafi. Et donc, pour Béligh Nabli, "il y a aussi une responsabilité
française en jeu" dans la crise au Mali.
Delphine Roucaute
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Monde
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