(Le Figaro 02/04/2011)
La défaite probable de Laurent Gbagbo après quatre mois de crise post-électorale est un message pour le continent, où ont lieu cette année 18 scrutins présidentiels.
La probable défaite de Laurent Gbagbo marque-t-elle un tournant pour l'Afrique ? «C'est un enseignement fort, dit Florent Geel, responsable du bureau Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH). Le cas ivoirien est fondamental.» Selon cet expert, «la pire solution aurait été le partage du pouvoir entre les deux candidats, comme au Kenya et au Zimbabwe. Cela aurait signifié que les élections ne servent à rien en Afrique, puisque les deux adversaires principaux finiront par se répartir les postes de président et de premier ministre».
Des poids lourds africains ont pourtant longtemps penché en faveur de ce compromis. Il a fallu attendre le 10 mars pour que les présidents angolais Eduardo Dos Santos et sud-africain Jacob Zuma finissent par accepter les résultats du 28 novembre 2010 et reconnaissent Ouattara comme le vainqueur, permettant à l'Union africaine de faire de même. Un message important pour l'Afrique, où ont lieu 18 élections présidentielles en 2011. Est-ce à dire que le continent verra la fin des scrutins frauduleux ? L'optimisme doit être mesuré, dit Florent Geel : «Il y a des pays où le vote se déroulera sans observateurs, comme Djibouti, et où le modèle ivoirien ne pourra s'appliquer.» La moitié des pays d'Afrique francophone ont d'ailleurs des Constitutions permettant au président de se représenter indéfiniment, ce qui n'encourage pas à lâcher le pouvoir. Mais la victoire finale de Ouattara donne aussi des idées aux peuples. Au Burkina-Faso, le président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987 et réélu en octobre 2010 dans un scrutin contesté par l'opposition, est en but à une révolte des militaires et des étudiants.
Rivalités politiques
Ailleurs, des chefs d'État désireux de garder leur siège hésitent à modifier la Constitution. Au Congo-Brazzaville, un tel projet de modification a été récemment suspendu. En outre, le triomphe d'Alassane Ouattara n'est pas dû seulement à l'appui de l'Union africaine et de l'organisation régionale, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Le rôle de l'ONU, qui a certifié l'élection, a été primordial dans la mesure où les Nations unies ont joué ce rôle à la demande des deux candidats, même si Laurent Gbagbo a ensuite dénoncé la supposée partialité des Nations unies. Cette nouveauté inspire des opposants comme ceux de la République démocratique du Congo, qui ont demandé au président Joseph Kabila de s'engager à une certification onusienne de la présidentielle de novembre prochain. Les Congolais peuvent avoir quelque raison de compter sur les Nations unies plutôt que sur les instances africaines.
Le soutien diplomatique à Ouattara cache aussi des réalités moins reluisantes. Selon des connaisseurs africains du dossier, Ouattara a bénéficié autant d'un appui militaire discret que d'une aide diplomatique. Le Nigeria, qui prépare lui aussi une élection présidentielle, ne voulait pas jouer son rôle habituel de pilier des opérations de maintien de la paix dans la région. Il aurait préféré envoyer armes et conseillers aux forces pro-Ouattara. Ce qui expliquerait la rapidité de leur progression et leur stratégie sophistiquée d'encerclement d'Abidjan.
Par ailleurs, la lenteur de Zuma et de Dos Santos à reconnaître Ouattara recouvre des volontés hégémoniques. Si l'Angola et l'Afrique du Sud ont traîné les pieds et soutenu longtemps l'idée d'un compromis, ce n'est pas seulement pour défendre leur ami Laurent Gbagbo. C'est aussi parce que ces deux États, qui se considèrent comme des puissances continentales, voyaient d'un mauvais œil la Cedeao, plus prompte à demander le départ de Gbagbo, prendre une position de chef de file. La Cedeao ne fait pas partie de leurs sphères d'influence, et ils n'avaient pas l'intention de lui laisser jouer un rôle de premier plan.
Par Pierre Prier
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