mercredi 20 avril 2011

Libye, Mali - Le Mali et l’argent du "Guide" Kadhafi

(La Libre 20/04/2011)

Reportage Au Mali. Côte-d’Ivoire et maintenant Burkina Faso : les crises se multiplient aux portes du Mali, pays sahélien réputé pour sa relative stabilité. Pourtant, à Bamako, tous les yeux sont tournés vers une autre contrée, plus au nord et non limitrophe, la Libye. "Kadhafi n’est pas n’importe qui sur le continent africain [ ] En s’attaquant [à lui], la France a déclaré la guerre au Mali, elle humilie l’Afrique", explique un journaliste malien dans un éditorial peu tendre envers le gouvernement français.
Et c’est un fait : les investissements de celui que d’aucuns surnomment ici le "Guide" sont omniprésents au Mali. Dans la bouillonnante capitale, Bamako, il suffit de lever les yeux pour s’en rendre compte : trois des principaux hôtels de la capitale sont aux mains de la Laico (Lybian African Investment Company), tandis que le centre administratif - un bijou flambant neuf de 120 millions de dollars investis personnellement par le leader libyen et qui attend toujours son premier occupant - porte ostensiblement le nom de Mouammar Kadhafi. Des bâtiments haut de gamme qui frappent l’imagination dans une ville aux allures d’immense village, où la présence d’immeubles reste embryonnaire.
En dehors de Bamako, les investissements libyens se sont concentrés dans la riziculture (180 millions de dollars), dans le désensablement du canal de Tombouctou ou encore dans la construction de la grande mosquée de Ségou, par exemple. D’après la revue "Jeune Afrique", "la force de frappe financière" de Tripoli sur le continent africain est de 8 milliards de dollars, essentiellement dans les secteurs des banques, de l’hôtellerie et de la téléphonie.
Un investissement qui représente toutefois un second choix pour Kadhafi, selon plusieurs spécialistes, qui expliquent que le leader libyen a tourné ses pétrodollars vers l’Afrique subsaharienne à la suite d’une série d’échecs auprès des pays arabes. La manne reste providentielle pour le Mali - pays toujours bloqué dans le top 5 des contrées les plus pauvres au monde - qui craint que la chute de Kadhafi annonce aussi la fin de ces investissements. La France est particulièrement pointée du doigt. Car si les liens économiques, sociaux ou culturels entre le Mali et son ancien colonisateur restent très étroits, beaucoup parlent de "trahison" du gouvernement Sarkozy.
Dans les dédales bruyants et poussiéreux du grand marché de Bamako, ce sentiment d’"amour-haine" est perceptible partout. Entre maillots de l’équipe de France de football et portraits à la gloire de Kadhafi, les commerçants affichent leurs opinions. Quelques "A bas les Français" résonnent discrètement, tandis que plusieurs vendeurs promettent, avec un grand sourire aux lèvres, "d’assassiner" ou "d’empoisonner" Sarkozy s’il met un pied au Mali. "Le président français est un ennemi de l’Afrique. Kadhafi, lui, a investi de l’argent ici, il a créé des emplois. Pour nous, c’est un frère. Il est malien", prétend l’un d’eux, tresses rastas au vent.
Parfois les manifestations sont plus virulentes, comme ce fut le cas à la fin du mois de mars, un vendredi après la prière (la population malienne est musulmane à plus de 90 %), devant les ambassades française et américaine. Les deux bâtiments sont dorénavant barricadés; le centre culturel français est, quant à lui, déserté. Depuis l’intervention en Libye, "les intérêts français au Mali sont exposés à un risque patent", explique le consul français.
Pourtant Air France, qui avait annulé ses vols directs vers Bamako, vient de les rétablir. Mais, selon la presse malienne, l’équipage évite désormais de loger dans l’hôtel "libyen" l’"Amitié Laico". "Nous ne communiquons jamais ce genre d’information pour raison évidente de sécurité", explique la compagnie française. Côté belge, le consulat honoraire tient toujours ses bureaux dans ce fameux hôtel. Mais les consignes sont presque aussi strictes pour les ressortissants de notre pays. "On nous a demandé d’éviter de sortir en ville le vendredi après la prière", explique un jeune Belge installé à Bamako depuis trois mois. La CTB (Coopération technique belge) déconseille, elle, à ses employés de fréquenter les lieux publics à l’étiquette occidentale "trop marquée" de la capitale.
Car une autre menace, dernière pièce du puzzle libyo-malien, plane sur le pays. Elle se précise dans le nord du pays où Aqmi (al Qaeda au Maghreb islamique) a trouvé refuge dans les immenses zones désertiques du Niger, d’Algérie, de Mauritanie, du Tchad, du Mali et de Libye. Une région peu contrôlée par les Etats, où les enlèvements d’Occidentaux se sont succédé ces dernières années. Selon plusieurs observateurs, les terroristes d’Aqmi auraient profité du conflit libyen pour se procurer des armes, dont des missiles sol-air, et les acheminer clandestinement vers leur bastion du Mali. Beaucoup craignent qu’Aqmi devienne rapidement "l’armée la mieux équipée de la région".
Depuis samedi dernier, le consul français parle d’ailleurs d’une "menace élevée d’enlèvement" de ressortissants français dans la région de Mopti (est du pays). La CTB limite elle-même au maximum ses déplacements, désormais sous escorte, en dehors de Bamako.
Face à ces restrictions, le secteur touristique malien est désemparé. "Le Mali est un pays sûr", prône, quasiment dans le désert, Namonon Sanogo, qui possède plusieurs établissements dans le pays. L’entrepreneur est venu, en compagnie d’autres acteurs du secteur, plaider sa cause le mois passé en France et dénoncer ce qu’il considère comme un "boycott" du Mali par les pays occidentaux. Il est vrai qu’à Djenné (pourtant inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco) ou au pays Dogon, les touristes se comptent sur les doigts d’une main depuis que les "charters" ne relient plus directement l’Europe aux villes de Mopti et Gao. "L’ambiance est particulière, explique cette Française qui possède un lodge luxueux dans les alentours de Bamako. On ne sait vraiment pas à quoi s’en tenir."

Raphaël Meulders
Mis en ligne le 20/04/2011
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