mercredi 20 avril 2011

Au Burkina Faso, "un soulèvement populaire est peu probable"

(Le Monde 20/04/2011)

Depuis trois semaines, le Burkina Faso est ébranlé par des mouvements de colère, impulsés notamment par l'armée. Pour Damien Glez, directeur de l'hebdomadaire satirique burkinabé Le Journal du jeudi, la contestation ne menace pas le président Blaise Compaoré, à la tête du pays depuis vingt-quatre ans.
Quelle est la situation au Burkina Faso ?
Damien Glez : Vu de l'extérieur, on a l'impression qu'il y a une contagion [des troubles]. Mais la situation s'est calmée à Ouagadougou, et il y a simplement des répliques dans les provinces. Sur le modèle d'un ricochet, l'épicentre s'est calmé, et seules les vaguelettes subsistent à présent. Ça annonce a priori le calme.
Quelles sont les revendications de ces mouvements de colère ?
Ce qui est complexe, c'est que ces mobilisations portent des revendications très différentes. La garde présidentielle s'est par exemple soulevée pour une histoire d'indemnité logement. Mais il y aussi des étudiants qui manifestent contre les violences policières après la mort de l'un d'entre eux. Les syndicats sont sur le pied de guerre concernant la vie chère. Et plus généralement, il y a une lassitude d'une partie de la population qui en a assez de voir le président toujours tourné vers les enjeux internationaux, et très peu intéressé par les problèmes nationaux. Au Burkina, beaucoup voient Blaise Compaoré davantage comme un "super ministre des affaires étrangères" que comme un président.
Quelle est justement la stratégie de Blaise Compaoré pour gérer la crise ?
Compaoré est quelqu'un de très muet, en général. Jouer les "endormis" lui a souvent réussi. En treize ans, il n'est intervenu sous forme d'allocution que deux fois. Sa stratégie, c'est seulement d'avoir décapité toutes les autorités : il a suspendu tous les chefs d'état-major et dissous le gouvernement. Ensuite, il fait du saupoudrage, grâce à des mesures ciblées vers des groupes en colère. Mais c'est une réaction à très court terme, rien n'est fait pour régler les problèmes de fond, notamment dans l'armée.
Mardi, le président a nommé un nouveau premier ministre, Luc-Adolphe Tiao, pour freiner la contestation. Est-ce un bon choix ?
C'est un choix assez surprenant, car Compaoré a choisi de ne pas nommer quelqu'un issu du milieu militaire. Tiao est un communicant : il a été président de l'équivalent du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) au Burkina, et était ces dernières années ambassadeur en France, donc il a aussi un côté diplomate. Dans l'ensemble, il a une image politique assez neutre. Il n'a jamais participé à une campagne, n'a pas été élu. Stratégiquement c'est un bon choix, parce que la mutinerie s'en est prise aux symboles du pouvoir central. Reste donc à savoir comment il va être accueilli par les militaires.
Peut-il y avoir une révolution au Burkina Faso sur le même modèle que les révolutions du monde arabe ?
Un soulèvement populaire est peu probable. Les revendications sont tellement diverses qu'elles ne peuvent pas s'agglomérer pour faire une révolution. Il y a beaucoup de colère contre Blaise Compaoré ; un cap a été franchi en passant du mutisme à la mutinerie. Aujourd'hui, les gens n'ont plus peur de Blaise Compaoré. Mais l'armée a attaqué les civils, a pillé les magasins, les soldats n'ont fait aucun geste pour rassembler un front uni et cohérent contre le pouvoir en place. D'autant plus que le mouvement reste très intellectuel et urbain. La masse électorale qui a permis à Compaoré d'obtenir 80 % des votes à la dernière élection, souvent analphabète et manipulée par les cadeaux en tout genre, n'est pas prête à basculer dans la contestation. Demain, s'il y avait une élection, il y aurait de grandes chances que Compaoré soit réélu.

Charlotte Chabas
LEMONDE.FR
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