(Liberation 03/04/2011)
Beaucoup de questions se posent, alors que la bataille d'Abidjan se poursuit et que Laurent Gbagbo, a été montré hier à la Radio-télévision nationale (RTI) détendu, chez lui, en train de boire du thé, sans qu'on sache s'il s'agit d'images du jour ou d'archives... Le président sortant serait toujours, quatre jours après l'arrivée des forces pro-Ouattara dans Abidjan, dans sa résidence du quartier chic de Cocody.
Comment ses hommes, un dernier carré estimé à 2000 fidèles tout au plus, ont-ils fait pour reprendre samedi matin la RTI, tombée dans la nuit aux mains des forces pro-Ouattara? Samedi, des militaires loyaux à Gbagbo ont lancé à la télévision des appels à la mobilisation des unités parties en débandade, à l'arrivée des troupes des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) à Abidjan.
Ensuite, quel est exactement le rapport de force, en termes d'armement, entre les deux camps adverses? Les experts militaires des ambassades occidentales estiment que les forces spéciales du régime Gbagbo disposent de meilleurs équipements. Selon l'AFP, les forces pro-Ouattara ont reçu équipements et soutien du Burkina Faso. Il n'est pas interdit de penser que l'armée du Nigéria soutient également les FRCI.
Ouattara a-t-il donné des consignes pour éviter la mort de Laurent Gbagbo? Cela expliquerait peut-être le repli observé samedi, officiellement pour préparer un nouvel assaut et "prendre des mesures destinées à affaiblir l'adversaire".
Pourquoi l'Onuci et la force Licorne n'interviennent-elles pas pour protéger les civils, tous les civils, et pas seulement les 1400 ressortissants français, libanais et européens qui se trouvent désormais massés sur le camp militaire français de Port-Bouet, un quartier proche du port d'Abidjan? Une bribe de réponse: quatre Casques bleus ont été grièvement blessés samedi à Abidjan, où ils sont plus que jamais pris pour cible. La violence qui déferle dans la ville a conduit l'Onuci à décider samedi l'évacuation de ses personnels civils sur Bouaké.
Enfin, à quel degré Alassane Ouattara et Guillaume Soro contrôlent-ils leurs troupes, qui auraient commis un massacre à grande échelle à Duékoué, dans l'Ouest? L'Onuci a relativisé le chiffre de 800 morts dans cette ville avancé par la Comité international de la Croix rouge (CICR), et plutôt évoqué 330 morts entre lundi et mercredi. Le chiffre de 800 morts correspondrait plutôt au bilan des morts dans l'Ouest depuis le début de la crise post-électorale. Selon l'Onuci, sur les 330 morts de Duékoué, une centaine seraient le fait de miliciens pro-Gbagbo (mercenaires libériens et jeunes du coin), et les autres, 230 environ, le fait des FRCI, et notamment des chasseurs traditionnels "dozos", bardés d'amulettes et redoutés pour leurs pouvoirs surnaturels, qui se trouvent dans leurs rangs.
Alassane Ouattara, dont la légitimité sera entachée par ces exactions, a rétorqué samedi que ses forces ont tué des "miliciens, pas des civils". D'autres massacres ont été commis par son adversaire, a-t-il rappelé, et des charniers ont été découverts dans l'Ouest. Ce qui n'absout en rien les FRCI pro-Ouattara, formées d'éléments composites : ex-rebelles "nordistes" de 2002, soldats de l'armée régulière ayant fait défection, jeunes partisans entraînés ces derniers mois à Bouaké, sans oublier les fameux "dozos".
Alors que les combattants pro-Ouattara semblaient hier s'être repliés à la périphérie d'Abidjan, des combats à l'arme lourde continuaient autour d'un camp militaire dans le quartier d'Adjamé. Les pro-Gbagbo, pendant se temps, se déchaînent. Des jeunes pillent, tuent sans doute, échauffés par un discours de haine déversé depuis plusieurs mois par la RTI. Ils attendent aujourd'hui un signal de leur chef, Charles Blé Goudé, qui aurait été vu par un journaliste samedi au nord du pays vers la frontière du Mali. La RTI a annoncé que Blé Goudé donnerait "bientôt" des consignes... A son quatrième jour, la bataille d'Abidjan attend un dénouement.
•Par Sabine Cessou
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