mercredi 20 avril 2011

BURKINA FASO • Un printemps qui pourrait toucher Ouagadougou

(Courrier International 20/04/2011)

Mutineries à répétition, insurrection du monde estudiantin, manifestations de grande ampleur… Autant de signes qui annoncent la fin probable du régime du président burkinabé Blaise Compaoré.
Voilà deux mois que Blaise Compaoré fait face à de nombreux mouvements d’humeur, revendications sociales, politiques et surtout militaires. Depuis le 20 février 2011, date où un élève a trouvé la mort à Koudougou, à une centaine de kilomètres de la capitale, la relative quiétude sociale observée depuis plusieurs années au Burkina Faso semble sérieusement perturbée. Les agitations sociales qui ont fait six morts, ne semblent pas s’estomper. Bien au contraire, après les élèves et étudiants appuyés par les syndicats et les ONG, c’est l’armée burkinabé, celle-là même qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir, il y a vingt-quatre ans [au lendemain de l’assassinat de Thomas Sankara], qui entre dans la danse. C’est la troisième fois en moins de deux mois que les militaires se rebellent contre leur chef. Le cas le plus significatif de ce malaise, est sans doute le soulèvement des éléments de la garnison de Pô (à 143 km au sud de Ouagadougou). Pour qui connaît l’histoire de l’arrivée au pouvoir du président burkinabé, ce camp qui forme l’élite de l’armée, a servi de rampe de lancement au sommet du pouvoir au jeune capitaine qu’il était alors. La révolte de la garnison de Pô, le samedi 16 avril, après celle de la garde présidentielle et des deux grandes casernes de Ouagadougou, est symptomatique d’un sérieux malaise au sein de l’armée, véritable pilier du régime. Officiellement, ce sont des revendications d’ordre corporatiste, en l’occurrence des questions de primes qui sont mises en avant par les militaires. Ces problèmes rejoignent ceux de l’ensemble des Burkinabés qui réclament de meilleures conditions de vie. D’ailleurs, début avril, des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté à cet effet dans la capitale et dans plusieurs villes du pays contre le régime.
Les sautes d’humeur constatées aussi bien dans les casernes que dans le reste de la population, témoignent d’un véritable désir de changement. A travers des revendications sociales, les compatriotes de Blaise Compaoré lui lancent surtout un appel à passer enfin la main. Lorsque l’on jette un regard sur les cinq pays voisins du Burkina Faso que sont le Niger (de Mahamadou Issoufou), le Mali (d’Amadou Toumani Touré), le Ghana (de John Atta-Mills), le Bénin (de Yayi Boni), le Togo (de Faure Gnassingbé) et la Côte d’Ivoire (d’Alassane Ouattara), Blaise Compaoré apparaît bien comme celui qui jouit de la plus grande longévité au pouvoir. A 60 ans, il fait aussi partie des doyens des chefs d’Etat africains. Pour faire face au réveil soudain du front social, Compaoré a trois possibilités. La première, c’est bien sûr celle de l’apaisement. Le président a pris une série de mesures pour rendre plus supportable le coût de la vie. Les militaires eux ont vu leurs primes revues à la hausse. Au plan politique, le gouvernement, bouc émissaire désigné du marasme économique, est vite dissous. Une mesure qui apparaît plutôt comme un cautère sur une jambe de bois, car Compaoré connaît les réelles attentes politiques de ses compatriotes : il s’agit tout simplement de l’alternance. Nombre de ses concitoyens avaient pensé à tort que la présidentielle de novembre 2010, que venait de remporter leur président, serait la dernière qu’il briguerait. Ils ont vite déchanté, car l’homme serait bien tenté par une modification de la Constitution qui lui ouvrirait la voie à d’autres mandats, et c’est justement cette boulimie du pouvoir qui révolte les Burkinabés. La deuxième carte que pourrait abattre Blaise Compaoré est celle de la répression. Au cas où son régime serait sérieusement menacé, il pourrait être tenté d’utiliser la manière forte pour décourager toute velléité de prise du pouvoir par la rue ou par l’armée. Mais il risque de se heurter d’abord à la grande muette, qui apparemment ne lui est plus totalement dévouée.
La grogne de sa garde rapprochée est un sérieux avertissement. L’autre obstacle susceptible de refroidir l’ardeur répressive du président est la lutte des nombreuses organisations des droits de l’homme, qui peuvent saisir à tout moment les tribunaux internationaux. Le Tribunal pénal international est aujourd’hui un véritable épouvantail pour les dictateurs. Une autre décision – et peut-être la plus sage que pourrait prendre Compaoré –serait d’annoncer clairement son départ au terme de son actuel mandat. Or il vient à peine de le débuter et celui-ci ne prendra fin qu’en 2016 ! Un délai qui pourrait paraître bien trop long pour un peuple impatient d’expérimenter une autre gouvernance.

Charles d'Almeida - L'Inter
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