(Le Monde 04/04/2012)
Le capitaine Amadou Sanogo est le chef du Conseil national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat (CNRDRE), représentant la junte militaire qui a renversé le président malien, Amadou Toumani Touré, dans la nuit du 21 au 22 mars, à Bamako. Le chef mutin s'exprime à l'envoyé spécial du Monde depuis le camp militaire de Kati, près de la capitale malienne.Les rebelles avancent à grande vitesse. Est-ce l'heure d'une opération militaire, d'une contre-offensive de l'armée dans le Nord ?
La situation est critique, mais pas générée par le CNRDRE. C'est une des raisons pour lesquelles on a décidé de mettre fin à un régime [celui du président Amadou Toumani Touré]. La situation était déjà pourrie, depuis une dizaine d'années, par des personnes qui avaient trahi ce pays. Nous mettons tout à la disposition des forces armées qui doivent préserver l'intégrité du territoire. La situation n'est pas seulement critique pour le Mali. Ce n'est plus une rébellion simple. On a un groupe islamique qui s'installe, avec tout un réseau. Si la situation se durcit, et l'Afrique et le monde entier en seront victimes un jour.
Que faut-il faire à ce stade ?
Essayons d'oublier le Comité [le CNRDRE], oublions les rouages de la Constitution : on doit faire face à un problème. Chaque heure compte.
Quelle est la solution ? Vous appelez à une aide militaire internationale contre les rebelles ?
Si les grandes puissances ont été en mesure de traverser les océans pour aller lutter contre... [un ennemi comparable], qu'est-ce qui les empêche de venir ici ? Le danger, ce n'est pas seulement pour le Mali. Qu'on oublie un peu le Comité. Parlement, Constitution, ça peut attendre. Le dossier grave, c'est au Nord, c'est le plus important.
Une force internationale au Mali serait souhaitable, selon vous ?
Le Comité va toujours dans le sens de ce qui est bien pour ce pays. L'intervention d'une force, d'accord, mais bien canalisée, conformément à nos principes. L'ennemi est connu, ce n'est pas Bamako. Si une force devait intervenir, elle sait où. C'est là-haut [au Nord].
Des éléments africains ou occidentaux pourraient prendre part à cette force ?
J'ouvre la porte à toutes les possibilités. Mais, encore une fois, dans le souci d'aller en guerre contre ce système [les rebelles], pas à Bamako.
Vous appelez la classe politique et les organisations à tenir, jeudi 5 mars, une convention nationale pour décider du futur du pays ? Quand pensez-vous que des conclusions peuvent être attendues ?
Nous sommes venus [au pouvoir] pas pour nous [y] éterniser, je le dis et le maintiens. Nous sommes des militaires. Notre mission principale, c'est de sécuriser le territoire, d'assurer la sécurité des personnes et des biens. Si vous voyez qu'on est là aujourd'hui, c'est par la force des choses. On compte tenir la promesse qu'on ne sera pas là pour longtemps. Concernant la convention, puisque on l'a fait pour le bonheur du peuple, c'est que quelque chose ne marchait pas. Dans la convention, demain, les participants parviendront à dégager les grandes lignes d'une feuille de route. Pour le petit temps qu'on aura fait ici, et projeter ce qui se passera plus tard.
Y a-t-il a des négociations avec Ansar Dine ou le Mouvement national de libération de l'Azawad -MNLA- [les deux groupes rebelles qui ont pris le nord du Mali] ? Faut-il discuter avec ces deux groupes séparément ?
Tant qu'un individu est en armes, avec l'objectif de semer la terreur ou tuer, pour moi ces groupes n'ont pas de différence. Quant aux négociations, les portes sont ouvertes, mais une chose est sûre : l'intégrité du territoire reste mon mot d'ordre. C'est l'une des plus graves crises dans le nord du Mali. Ce qui est certain, c'est que le groupe islamiste est en train de s'installer, et ça n'interpelle pas seulement le Mali. Cela interpelle tout le monde.
Vous avez peur que le MNLA décrète une forme d'autonomie, ou de sécession, dans le Nord du pays ?
D'abord, en tant que soldat, je n'ai jamais peur. Mais j'ai quelques inquiétudes quand même. Pour l'instant, je préfère ne pas me prononcer.
Hier, vous annonciez des poursuites contre "ATT" [le président Amadou Toumani Touré, toujours caché]. Que vont devenir les ministres arrêtés [comme Boubeye Maiga, ministre des affaires étrangères] ?
Je n'ai pas de ministre arrêté. Pour le moment, je les détiens pour protéger leur intégrité physique, car je connais bien mon pays. En les laissant en ville, ils peuvent courir un risque. Si on devait faire des exactions, on l'aurait déjà fait, mais vous conviendrez avec moi que depuis qu'on est là, on est à l'écoute du peuple, on fait ça pour le peuple, donc on n'est pas dans une chasse aux sorcières. Ces gens, en les laissant en ville, courent un danger. Voilà pourquoi je les garde, mais ils ne sont pas détenus.
Et "ATT" ?
Si je le trouve, c'est aux services spécialisés de le décider. Il y a encore un service judiciaire qui fonctionne, c'est à eux de déterminer.
Où sont les militaires qui ont fui ?
Mes soldats n'ont pas fui, ils se sont repliés. Une grande partie est restée à Sévaré [base militaire près de Mopti].
Etes-vous en contact avec les pays qui sont utilisés par la rébellion comme bases arrières, l'Algérie et la Mauritanie ?
Je n'en veux à personne. D'ailleurs, si nos propres responsables ont permis l'accueil de groupes armés... Tout un groupe [de rebelles] a quitté la Libye et a été accueilli en héros ici, avec les honneurs, et c'est ce même groupe qui en train de tuer les Maliens aujourd'hui... Je n'en veux à personne. Au contraire, je les invite à une collaboration pour éradiquer le mal commun.
Avez-vous peur de voir la classe politique qui était aux affaires revenir au pouvoir ?
C'est ma plus grande préoccupation. Il y a ceux qui ont fait dix ou quinze ans au pouvoir. De député on devient ministre sans rien rapporter au pays. Vous croyez que les mêmes têtes vont rester ? Nous, on veut un changement, pas un changement pour changer, pour les valeurs. "Tu as dirigé le Mali pendant trente ans, et tu t'accroches encore ? Laisse les autres s'exprimer !" C'est tout ce que je demande à la classe politique.
Si la convention nationale décide que votre départ est souhaitable, que ferez-vous ?
Laissons la convention décider de cela, mais laissez-moi vous dire quelque chose : à l'heure où nous sommes, on a déjà évité un chaos. J'espère bien que la convention ne souhaitera pas voir ce Comité disparaître, parce que ça va être le chaos le lendemain.
L'application des sanctions est-elle une grande surprise ?
La Cédéao [Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest], c'est l'organisation à laquelle nous appartenons, je respecte leur décision, mais je les appelle au dialogue. Il est temps qu'on aille vers une Cédéao des peuples et non des Etats, des peuples d'Afrique. Je n'ai rien contre les circuits institutionnels, mais j'ai peut-être quelque chose contre les hommes. Si dans vingt à quarante jours, il n'y a pas d'élection, il y aura un vide. Ce vide, qui va le combler ? Au lieu de perdre deux mois et de repartir sur quelque chose d'incertain, puisque il y a déjà des acquis, pourquoi ne pas faire un démarrage imminent ? On gagne en temps, on gagne en structure, on gagne en confiance. Et surtout le CNRDRE est le comité du peuple, vous l'avez remarqué, faites des sondages. On a posé un acte qui a plu au peuple.
Des propositions pour la Cédéao ?
Je suis obligé de garder une position. Ce n'est pas de la bravade, c'est pour l'intérêt du peuple malien. L'heure n'est pas au Comité, ou au jeu politique, ça peut attendre dix ans. C'est un pays de la Cédéao qui est en train de mourir chaque jour, c'est ça la priorité. L'administration à Bamako fonctionne, les gens vaquent à leurs affaires, le Comité est là, bien respecté, donc il n'y pas d'urgence ici. L'urgence, c'est le Nord.
Les pays qui conseillent à leurs ressortissants de quitter le pays ?
Ils ont leurs raisons. Vous êtes là, à Bamako, on vous a menacé ?
Certains journalistes l'ont été, oui...
Certains journalistes ? Ceux qui les ont agressé ont leurs raisons. Mais moi, ma mission est d'assurer la sécurité des personnes et des biens sur le territoire malien, que vous soyez malien ou étranger. Et si je suis incapable de le faire, ce n'est pas délibéré.
Y a-t-il déjà un effet des sanctions qui perturbent le secteur bancaire ?
Pour le moment, le Mali marche bien. Pour les structures bancaires, je ne suis pas informé, mais ça marche. Je peux vous assurer qu'on n'arrivera pas à ce point.
Jean-Philippe Rémy (Bamako, envoyé spécial)
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