mardi 24 avril 2012

Au Mali, «il est encore difficile de dire qui contrôle quoi»

(Liberation 23/04/2012)

Interview Dans le nord du pays, passé aux mains des rebelles, la confusion rend très difficile l'acheminement de l'aide humanitaire, témoigne un responsable du CICR pour la région.
Manque d’eau, de nourriture, de médicaments, de carburant... La situation humanitaire est très critique au nord Mali, isolé depuis le coup d’Etat du 21 mars suivi de l’offensive des rebelles touaregs et des groupes islamistes. Une délégation de la Croix-Rouge malienne a pu acheminer ce samedi cinq tonnes de vivres et des médicaments à Tombouctou. Mais l’accès à l’aide reste difficile et ponctuel, rapporte Jürg Eglin, chef de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour le Mali et le Niger. Il est basé à Niamey, la capitale nigérienne.
Le CICR a-t-il accès aux villes du nord passées sous contrôle rebelle ?
Nous étions présents à Gao, principalement, avec des sous-structures à Kidal et Tombouctou. Il y a eu beaucoup de pillages, surtout à Gao, si bien que très vite nos équipes n’ont plus eu les moyens d’agir. Les personnels non-nationaux ont été évacués. Mais nous n’avons jamais complètement quitté les lieux, il reste une petite équipe d’une demi-douzaine de personnes à Gao. Nous sommes aussi en train de nous installer à Mopti (ville charnière entre le nord et le sud). Et une équipe de santé avec un chirurgien nigérien est en route aujourd’hui même pour Tombouctou. Les pillages ont visé les lieux publics, tout ce qui n’est pas propriété privée : institutions, mais aussi hôpitaux. Il y a eu beaucoup de dégâts. L’accès au soin est donc devenu extrêmement limité pour les malades, les femmes enceintes, les urgences...
Circuler est-il dangereux pour les humanitaires ?
La Croix-Rouge malienne et le CICR ne sont pas directement visés en tant que tels. Il n’y a a pas de rejet, nous sommes au contraire plutôt les bienvenus. Et la circulation reprend peu à peu. Cela dit, nous essayons pour le moment de rester discrets, en avançant par petites étapes, dans des voitures banalisées... Le rapport de force reste confus, il est encore difficile de dire qui contrôle quoi, la région reste très volatile. Dans ces conditions, il est difficile pour nous de développer une action d’ampleur.
Pour le moment, nous avons surtout pu faire acheminer du carburant à la centrale électrique de Gao et des médicaments à l’hôpital, qui avait été complètement pillé.
Quels sont les principaux besoins ?
Dans le contexte urbain, l’urgence première est l’eau. Du fait du manque de carburant et d'électricité, les stations d'épuration et les différents forages qui permettent la production d’eau potable ne peuvent plus fonctionner correctement.
Ensuite, il y a des besoins en médicaments et matériel médical. Sur le plan alimentaire, l’interruption des flux commerciaux naturels entre le nord et le sud du pays (céréales, bétail...) devient très préoccupant, d’autant que la région était déjà fragilisée par la crise alimentaire qui touche le Sahel.
Enfin, nous sommes très inquiets du sort des dizaines de milliers de déplacés à l'intérieur du pays depuis le début des troubles, et qui n’ont plus d’assistance. On ne sait pas trop où ils sont. Ils sont difficilement accessibles et en sont réduits à la débrouille.
Peut-on évaluer le bilan humain ?
Il y a eu quelques morts et quelques blessés dans des confrontations directes, mais c'est finalement relativement peu (même si c’est déjà trop) au regard de l’ampleur du bouleversement que connaît la région.
On parle d’un certain nombre de viols ?
Il y a sans aucun doute eu des abus, mais il est impossible aujourd’hui de confirmer des viols à grande échelle.
Appelez-vous à l’instauration de couloirs humanitaires ?
Des couloirs humanitaires impliquent une logique de force. C’est pourquoi nous préférons parler d'«espace humanitaire». Nous avons discuté de cela avec les différentes parties, et les échanges sont plutôt positifs. Mais pour le moment les garanties de sécurité ne sont pas réunies.

recueilli par
Par CORDÉLIA BONAL
© Copyright Liberation

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