(Le Pays 26/04/2012) C’est l’un des défis majeurs du président sénégalais
fraîchement élu, Macky Sall : la lutte contre l’impunité. Il en avait fait la
promesse lors de sa campagne électorale. Et tout porte à croire qu’il est décidé
à tenir cette promesse. L’un des faits qui corroborent cette thèse est sa
décision de laisser la justice faire son travail suite à l’arrestation du Cheikh
Béthio Thioune, accusé d’avoir orchestré des violences dans lesquelles deux
talibés ont trouvé la mort. Nul n’ignore qu’au Sénégal, les chefs
religieux sont puissants, voire très puissants. Sous la présidence de Abdoulaye
Wade notamment, la collision entre l’exécutif et ces guides spirituels avait
atteint des degrés inquiétants. L’ex-président leur avait donné de facto, une
place centrale dans la République. Béthio Thioune, lui, avait des liens assez
étroits avec l’ancien président. On se souvient du reste qu’il avait appelé à
voter Gorgui au moment où les autres dignitaires religieux, certainement
conscients de la gravité de l’enjeu pour leur pays, se refusaient à donner des
consignes de vote à leurs partisans.
Justement, ses partisans et les
caciques de l’ancien régime ne se feront pas prier pour crier à la chasse aux
sorcières du nouveau pouvoir en place à Dakar. Ils vont probablement arguer que
le guide spirituel paie, dans cette affaire, son soutien affiché à
l’ex-président, Abdoulaye Wade. Dans la jungle politico-religieuse, on ne
saurait éviter ce genre de supputations. C’est de bonne guerre, est-on tenté de
dire. Pourvu seulement que ce ne soit pas le cas et que l’affaire soit instruite
dans les règles de l’art avec toute la neutralité requise des magistrats qui y
sont commis.
Comme on le sait, la justice, dans un Etat de droit comme
le Sénégal, qui se respecte, ne doit pas se faire à la tête du client. Avant
d’être un guide religieux, Cheikh Béthio est d’abord et avant tout, un
Sénégalais soumis aux mêmes lois et règlements que les autres citoyens du pays.
De surcroît, le Sénégal est un Etat laïc et la toute- puissance des chefs
religieux n’est d’ailleurs pas compatible avec les valeurs républicaines. C’est
dire que le statut de Béthio ne l’exonère pas de son éventuelle responsabilité
pénale. Force doit rester à la loi. Pourvu donc que l’accusé ait les moyens de
présenter sa défense comme il se doit et que les autorités judiciaires en charge
du dossier disent le droit et rien que le droit.
Cela aussi est capital
et il y va même de la crédibilité de la justice sénégalaise, mais aussi des
nouvelles autorités politiques du pays. En attendant la suite de l’affaire, on
peut dire d’ores et déjà que c’est un signal fort que Macky Sall donne à la
société sénégalaise. Il n’est pas certain que sous Wade, au regard des
accointances de l’ancien président avec les guides religieux et notamment
Béthio, cette affaire aurait connu le même traitement. Ces victimes présumées
seraient, peut-être, d’une manière ou d’une autre, passées par pertes et
profits. Il est nécessaire que le Sénégal se donne les moyens de contenir ces
guides religieux dans leur rôle spirituel. Certes, il est illusoire de vouloir
éviter dans un Etat, que des chefs religieux aient une quelconque influence sur
la société et sa politique.
Mais, la pratique qui consiste à ce qu’un
chef religieux se croit investi du pouvoir de régenter selon ses humeurs et ses
calculs, souvent égoïstes, les votes de ses sujets ou de ses disciples dans un
Etat de droit, pose énormément problème. De toute façon, on sait l’effet qu’ont
eu les consignes de vote de Cheikh Béthio dans la dernière présidentielle
sénégalaise.
C’est peut-être une autre manière, pour les Sénégalais de
marquer leur indépendance avec leurs guides spirituels, surtout ce Cheikh qui se
serait illustré en naviguant à contre-courant de la volonté de changement de la
majorité des Sénégalais. Cette indépendance de vote, ce choix de l’électeur en
connaissance de cause et en toute conscience, il faut s’en convaincre, toute
République digne de ce nom, en a besoin.
Les populations sénégalaises,
tout en votant majoritairement contre Wade et ses chantiers à finir, ont aussi
voté celui qui, à leurs yeux, incarnait le plus leurs projets, leurs rêves.
C’est donc une lapalissade de dire qu’elles attendent des actions et des
résultats. Le nouveau pouvoir est ainsi attendu sur des sujets brûlants comme la
réduction du train de vie de l’Etat, la lutte contre la vie chère, la
corruption, mais aussi l’impunité sous toutes ses formes. Et comme on a coutume
de le dire, « le bon maçon se voit au pied du mur ». A Macky Sall et son équipe
de prouver leur détermination à relever ces défis en conférant, au quotidien, un
visage à leurs promesses de campagne. En tout état de cause, en annonçant
qu’elles n’interféreront pas dans le travail de la justice dans cette affaire
Béthio, les nouvelles autorités sénégalaises sont sur la bonne voie de la lutte
contre l’impunité et pour l’égalité de tous les citoyens devant la
loi.
« Le Pays »
© Copyright Le Pays
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire