(Le Figaro 17/04/2012) Ils ont pris le pouvoir pour s'opposer à l'élection du
favori de la présidentielle.
Il est des coups d'État qui ne surprennent pas.
Celui qui a conduit jeudi les militaires de Guinée-Bissau à prendre le pouvoir
est l'un d'eux. Dans cet État hautement instable, les soldats ont une fois de
plus occupé les rues presque sans recours à la force, barrant les artères de la
capitale et particulièrement celle qui mène à la maison de l'ex - premier
ministre, Carlos Gomes Junior, dit Cadogo. L'homme fort du pays, arrivé
largement en tête au premier tour de l'élection présidentielle du 18 mars, y
serait retenu prisonnier, privé de tout contact avec l'extérieur. Sa sécurité
serait menacée, selon ses proches. Ce brutal arrêt du processus électoral, puis
la suspension lundi de la Constitution et des institutions sont le fruit de
semaines de tension entre l'ancien gouvernement et l'armée.«L'inimitié
entre les officiers et Carlos Gomes était de notoriété publique. Cadogo, qui a
l'oreille des milieux d'affaires et de la communauté internationale, ne cachait
pas son intention de réformer l'armée et de lui enlever son pouvoir. S'il était
arrivé à la présidence, plus rien n'aurait pu l'arrêter. Les putschistes ont
saisi la dernière opportunité pour le faire», assure un homme d'affaires de
Bissau. La crise s'est nouée plus particulièrement autour de la présence d'un
contingent de soldats angolais à Bissau, la Missang. Les putschistes ont
d'ailleurs justifié leur acte en accusant ces troupes d'avoir signé un accord
secret avec Carlos Gomes pour assurer sa protection.
Un coup d'État
inéluctable
La Missang, forte d'environ 300 hommes, arrivés en Guinée en
octobre dernier, avait exaspéré l'état-major en apportant subrepticement, selon
ces derniers, du matériel lourd, notamment des chars et des hélicoptères. Luanda
avait fini par se trouver au cœur de tensions qui ne cessaient de monter. Pour
s'en dégager et éviter une confrontation, l'Angola avait accepté, le 12 avril,
de retirer son contingent. «L'annonce du départ a été prise comme un signe que
Carlos Gomes n'était plus en position de force», souligne Vincent Foucher,
analyste à l'institut de recherche International Crisis Group (ICG). Dès lors le
coup d'État devenait inéluctable. D'autant plus que le contexte électoral avait,
lui aussi, affaibli le favori.
À l'issue du premier tour, les cinq
perdants s'étaient coalisés pour dénoncer des fraudes et refuser la victoire
presque acquise de Cadogo, fort de 48 % des voix. Grâce à un bilan très
honorable à la direction du pays, à sa fortune et à des moyens sans commune
mesure avec ses rivaux, Gomes a écrasé la campagne. Au point que son challenger
pour le second tour, l'ex-président Kumba Yala, avait décidé de se retirer de la
course, exigeant l'organisation d'une nouvelle élection.
Lundi, Kumba
Yala s'est pourtant désolidarisé du coup d'État, avec plusieurs autres
opposants, demandant un retour à l'ordre constitutionnel. Mais, dans la foulée,
il justifiait la prise de pouvoir en rendant l'ancien gouvernement responsable
des désordres. «On ne peut pas exclure que Kumba Yala ait joué un rôle dans
cette affaire», reconnaît Vincent Foucher.
Cette position ambiguë de
Kumba Yala, par ailleurs considéré comme le leader de l'ethnie Ballante, très
présente dans l'armée, illustre bien le flou qui règne aujourd'hui à Bissau.
«Chacun cherche à se positionner sans trop se dévoiler. D'autres sont sans doute
actifs sans l'avouer», détaille un observateur. Une interrogation qui vise le
chef d'état-major, le général Antonio Indjai. L'homme, longtemps considéré comme
proche de Gomes, a officiellement été mis aux arrêts. Mais la présence de son
directeur de cabinet, le colonel Daba Na Walna, comme porte-parole du nouveau
régime pousse les observateurs à soupçonner Indjai de jouer double
jeu.
La junte tente malgré tout de faire bonne figure. Dès vendredi, les
militaires ont assuré qu'ils n'avaient pas l'intention de garder le pouvoir. Ce
week-end, ils ont annoncé la mise en place d'un conseil national de transition
(CNT) dont les membres civils devaient être désignés lundi. Il n'est pas
certain, bien au contraire, que ces gestes suffisent à amadouer la Communauté
économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao).
L'organisation
régionale, comme dans la récente crise malienne, campe sur une position très
dure, réclamant le départ pur et simple des militaires. En parallèle, le
Portugal, l'ex-puissance coloniale, dépêche deux navires de guerre sur place
pour une éventuelle opération d'évacuation de ses ressortissants. L'Angola, qui
préside la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), a aussi condamné le
coup d'État et s'est montré menaçant. Face à ces multiples pressions, la junte
ne semble pas pour l'instant faiblir. Elle a même réagi par la force, ordonnant
la fermeture des frontières et se disant prête à défendre le pays en cas
d'agression.
Par Tanguy Berthemet
Par Tanguy Berthemet Mis à jour le
17/04/2012 à 09:24
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Figaro
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