(Le Figaro 26/04/2012)
L'ex-président du Liberia, condamné jeudi pour ses crimes
commis en Sierra Leone, a eu recours à la pire terreur pour s'enrichir et se
hisser au pouvoir.Paradoxalement, Charles Taylor n'a pas été jugé pour
ses crimes dans son propre pays, le Liberia. C'est pourtant là que ce chef de
guerre prédateur a inauguré sa méthode très personnelle pour gagner une guerre
civile de huit ans, de 1989 à 1997: recrutement d'enfants soldats et mise en
scène d'une terreur macabre et baroque. On vit des combattants de 10 ans drogués
et vêtus de robes de mariée abattre leur famille sur ordre. On vit des barrages
routiers sortis d'un film d'horreur, décorés d'intestins humains et de têtes
fichées sur des piques.
Même en prison, celui qui avait réussi à se faire
élire en 1997 faisait toujours peur au Liberia. Craignant la colère de ses
partisans, ses successeurs n'ont pas souhaité porter plainte après sa chute en
2003, date à laquelle il a été chassé par une nouvelle rébellion militaire.
C'est donc pour son implication dans le conflit sierra-léonais que
Charles Taylor a été jugé et condamné. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone
(TSSL), situé à Leidschendam, dans la banlieue de La Haye, a pu établir que
Taylor avait utilisé son siège de président libérien pour aider la guérilla
sierra-léonaise du Revolutionary United Front (RUF) et son leader, Foday Sankoh,
un ancien sergent de l'armée coloniale britannique. Sankoh n'a pas réussi à
prendre le pouvoir et a fini par être, lui auss,i inculpé par le TSSL, mais il
est mort avant la fin de son procès.
Massacres pour des
diamants
L'alliance Taylor-Sankoh n'avait qu'un but: piller les diamants
de la Sierra Leone. Selon l'accusation, Charles Taylor a reçu personnellement
environ 5 000 pierres de différentes tailles.
Les combattants du RUF
aimaient plaisanter. Ils proposaient à leurs prisonniers les «manches courtes» -
le bras coupé au niveau du coude - ou les «manches longues» - le poignet
tranché. Tout cela pour soumettre la population par la terreur et l'obliger à
travailler dans les mines de diamant au profit des chefs rebelles et de Taylor
lui-même.
Ce personnage de tyran africain n'est pas sorti d'un film
hollywoodien, mais de la bourgeoisie libérienne. Son père appartenait à cette
caste particulière d'Afro-Américains, descendants d'esclaves «rapatriés» des
États-Unis pour fonder le Liberia dans le golfe de Guinée. Les nouveaux
arrivants se sont empressés de dominer les ethnies locales, une faute originelle
à la source des rébellions futures.
Comme bien des enfants de cette
classe dominante, le jeune Taylor a été envoyé suivre des études aux États-Unis,
avant de retourner au pays, où il devint fonctionnaire, chargé des achats
extérieurs. Il utilisa ce poste pour détourner un million de dollars, fut
renvoyé et s'enfuit en 1983 aux États-Unis. Il y fut embastillé dans une prison
de haute sécurité en attendant son extradition pour le Liberia. Mais il s'en
évada facilement en septembre 1985, et clama pendant son procès que sa fuite
avait été organisée par la CIA.
Protégé de Kadhafi
Cet épisode
ressemble à un roman d'espionnage, mais en janvier 2012 la Defence Intelligence
Agency (DIA), le service de renseignement militaire américain, a reconnu que
Taylor avait travaillé pour elle, confirmant les révélations du quotidien The
Boston Globe.
La prochaine destination de Taylor pouvait intéresser la
DIA: le prisonnier s'enfuit en Libye, où le colonel Kadhafi lui fournit un
entraînement à la guérilla, comme aux «révolutionnaires» de tout poil qui
affluaient à Tripoli. De là date un long soutien du Guide de la révolution
libyenne, qui fournit Taylor en armes et en argent. Tout comme Foday Sankoh, le
leader sierra-léonais, lui aussi protégé de Kadhafi. C'est en Libye que Taylor
et Sankoh ont conclu leur pacte machiavélique.
Taylor s'installe ensuite
en Côte d'Ivoire, où il fonde son mouvement, le National Patriotic Front of
Liberia (NPFL). En 1989, il envahit le Liberia et déclenche la guerre civile. Au
bout de 120.000 morts, il se fait élire en 1997 par une population terrorisée.
Le slogan crié dans les rues par ses jeunes partisans résume sa campagne:
«Taylor a tué mon père, il a tué ma mère, mais je vote pour lui.»
Son
règne ne durera que trois ans. Chassé par une rébellion venue du Nord et
soutenue par les États-Unis, déçus depuis longtemps, il quitte le pays et se
réfugie au Nigeria. Qui finit par le livrer en 2006, sous la pression
internationale. C'est la fin d'un dictateur narcissique et avide de publicité,
qui téléphonait régulièrement à la BBC. Il avait entre autres déclaré sur les
ondes britanniques que «Jésus-Christ, lui aussi, avait été accusé d'avoir tué
beaucoup de gens».
Par Pierre Prier
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Figaro
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