(L'Express 11/02/2012)
L'élection présidentielle aura-t-elle lieu ? A moins de trois mois du scrutin du 29 avril, le "problème du Nord" laisse entrevoir une fracture ethnique au Mali. Et un risque de crise politique.
Ce sont des femmes en colère qui manifestaient le 1er février dernier dans Bamako. "Epouses, mères ou soeurs de militaires tués lors des affrontements d'Aguelhok, qui opposaient l'armée malienne aux rebelles Touaregs du Mouvement National de Libération de l'Azawad (MNLA), elles accusent le gouvernement d'avoir envoyé leurs hommes à l'abattoir sans préparation ni matériel adéquat" explique Anne Doquet, chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS). Depuis les années 1960, le Nord du Mali est le théatre d'affrontements récurrents entre Touaregs sécessionistes et forces maliennes.
Agressions racistes
Population du Mali: 14,159,904 millions d'habitants
Pourcentage de Touaregs : moins de 10% de la population Une fois encore, le gouvernement est directement mis en cause. Excédées par une énième vague de violence, les populations lui reprochent sa mauvaise gestion du dossier. Ils lui font notamment grief de dissimuler ses difficultés face aux insurgés. "Ces derniers jours, poursuit Anne Doquet, les émeutiers l'accusaient d'exagérer le nombre de victimes coté rebelles et de minimiser les pertes au sein de l'armée malienne. La découverte des dépouilles de 40 soldats dans une fosse commune alors que le gouvernement n'avait annonçé que deux morts a rendu les manifestants fous furieux."
Les émeutes tournent au règlement de compte xénophobe: attaques de boutiques tenues par des Touaregs, incendies, pillages... Les "hommes bleus" doivent fuir. Le "ras le bol" général a ouvert la voix aux dérives racistes et beaucoup font désormais l'amalgame entre rebelles et "peuples au teint clair". "Les Touaregs et les Arabes sont de plus en plus victimes d'agressions, s'offusque Ramata Koulibali, présidente de la Fédération des femmes maliennes de France. "Ils patissent directement des exactions des rebelles car ils ont la peau claire et les gens les associent au MNLA. Or ce n'est pas parce qu'ils sont Touaregs qu'ils sont forcément sécessionistes !"
Sentiment d'exclusion
Pour Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des Mondes africains (CEMAF), "c'est la première fois que les Touaregs associent le mot indépendance à leurs revendications. Jusqu'à présent, ils réclamaient simplement une autonomie interne et la démilitarisation du Nord. Cela traduit leur amertume concernant ce qu'ils considèrent la marginalisation de leur région et l'échec des politiques d'intégration mises en oeuvre à leur profit depuis les années 1990."
Un sentiment d'exclusion à double sens: "Les Touaregs ont toujours été privilégiés, favorisés", soupire Traoré Bakary, chercheur à Paris II. Le Nord bénéficie de plus grands investissements, alors que nous avons le sentiment que le gouvernement nous a abandonné."
Aux yeux de Pierre Boilley, ces contradictions reflètent les stéréotypes en vigueur chez les "sudistes" envers les Touaregs. "Le retard de développement très important entre le nord et le sud a en effet justifié le soutien du gouvernement et des ONGs au Nord Mali. Mais dans les faits, cela n'a pas suffit à combler l'écart entre les deux régions."
Reste que le comportement d'une poignée de Touaregs au sein de hautes instances de l'Etat n'a pas nécessairement désamorçé les préjugés. "Tel fut notamment le cas quand certains officiers touaregs de l'armée malienne ont déserté avec armes et bagages pour constituer leurs propres mouvements de guérilla", continue Pierre Boilley.
Echec des politiques d'intégration
Pourquoi les efforts d'intégration, notamment au sein de l'administration et des forces armées maliennes semblent ils voués à l'échec ?" Le non respect des Accords d'Alger (2006), -qui prévoyaient entre autres, la démilitarisation de la zone Nord-, qu'atteste la construction de nouvelles bases militaires a mis le feu aux poudres," répond Antonin Tisseron, chercheur associé à l'Institut Thomas More. "Le retour des combattants touaregs partis combattre avec Kadhafi leur a aussi donné les moyens d'intensifier leur rebellion grace aux armes et munitions acquises," conclut-il. D'autres facteurs opèrent; notamment la volonté de certains insurgés de garder la mainmise sur une zone de transit du trafic de drogue provenant d'Amérique du Sud et destinée à l'Europe. Il serait donc réducteur de considérer les revendications du mouvement rebelle comme homogènes, mues par une commune ambition. Anne Doquet insiste quant à elle sur le fait que même si le MNLA est très majoritairement Touareg, "rien ne dit que des Maures ou Arabes ne participent pas au combat." L'unité ethnique de la rebellion et sa capacité de rassemblement des populations sont donc elles aussi, incertaines.
D'autres observateurs se montrent plus sévères: "Ces gens ne seront jamais satisfaits, s'emporte Alassane Touré, président de l'association Al Barka Gao en France. Chaque fois qu'on leur accorde quelque chose, ils exigent davantage. Tout ce qu'ils veulent, c'est diviser le pays, et ils n'arrêteront pas tant qu'ils n'obtiendront pas leur indépendance."
"On ne voit pas pourquoi ils obtiendraient un Etat de l'Azawad indépendant", renchérit Ramata Koulibali. "Il y a plus de 10 ethnies dans le nord, alors pourquoi cette zone devrait elle revenir à celle là plus qu'à une autre ? Nous avons toujours vécu ensemble, nos parents et grands-parents se sont battus pour l'indépendance du Mali, il n'y a rien à diviser. Pour moi, c'est une minorité armée composée de quelques milliers d'hommes, qui défend ses intérets et qui ne représente pas l'ensemble de la population touareg."
Soupçons de manoeuvres politiques et risque de guerre civile
Des propos qui trahissent un malaise au sein de la population malienne. Pour Gaharo Doucouré, président du Conseil des Maliens de France, "le laxisme du gouvernement constitue une aubaine pour la rebellion." Il crie au loup en accusant les rebelles de connivence avec Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) pour attirer l'attention de la communauté internationale, mais lui-même ne fait pas grand chose et bénéficie d'une certaine façon de la situation."Les adversaires du président Amadou Toumani Touré suggèrent qu'ATT et son entourage pourraient chercher à tirer parti de la situation via un report de l'élection du 29 avril: "L'article 30 de la Constitution stipule qu'un président ne peut effectuer que deux mandats, souligne Anne Doquet. "Mais l'article 50 confère au chef de l'Etat des pouvoirs exceptionnels, donc la possibilité de rester aux commandes si l'intégrité territoriale du Mali est menacée."
Rumeurs formellement démenties par la présidence, ou ATT a martelé à plusieurs reprises son désir de s'effacer à la date prévue. Les représentants des quatre principales associations maliennes en France l'affirment à l'unisson: "Au Mali, et même en France, au sein de notre communauté, les élections monopolisent le débat et tout le monde agit comme si elles allaient avoir lieu. Mais on ne peut s'empêcher de se poser des questions car l'insécurité est dramatique et les candidats ne peuvent pas se rendre dans le Nord pour faire campagne ! Comme il est fort probable que la plupart des habitants de ces zones n'oseront pas sortir pour aller voter, c'est toute une partie du territoire qui ne se prête pas à la tenue du scrutin."
Très impliquées dans l'aide au développement et les partenariats entre la France et le Mali, ces associations jouent un rôle significatif dans l'organisation des opérations de vote depuis l'Hexagone. "Nous travaillons comme au sein d'une circonscription. La voix des Maliens de France compte beaucoup", explique Gaharo Doucouré.
A la gronde des populations et à l'incertitude politique s'ajoute la dimension humanitaire. "Près de 20 000 personnes ont fui le Mali ces dernières semaines et nous avons dû suspendre nos activités sanitaires et alimentaires, confie Pierre Verbeeren, directeur général de Médecins du Monde-Belgique. La situation sécuritaire est critique car la sécheresse et l'épuisement des stocks de nourriture requièrent une aide d'urgence. "Au point que les Touaregs fuient par milliers. "Il y a un risque de guerre civile" constate, inquiet, Pierre Boilley.
Par Marie de Douhet,
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