(L'Express 01/09/2011)
De nombreuses entreprises sont dans les starting-blocks pour profiter des gisements pétroliers en Libye. Les anciennes terres de Khadafi sont en train de se transformer en champ de bataille économique. Etat des forces en présence.
C'est une autre guerre qui se joue actuellement en Libye. Une guerre plus discrète, mais tout aussi stratégique. Selon des informations de Libération, la France aurait dès juillet dernier conclu un accord avec le Conseil national de transition (CNT) dans l'objectif de récupérer 35% du pétrole libyen en échange du soutien total et permanent du gouvernement français. Une information fermement démentie côté français, par Alain Juppé, le ministre des affaires étrangères, mais aussi côté libyen, par le CNT lui-même. Chez Total, on affirme carrément ne jamais avoir entendu parler de cette affaire.
En coulisses néanmoins, les entreprises ne le cachent pas, elles sont dans les starting-blocks pour préparer l'après Khadafi, et leurs futurs contrats. Depuis le mois de juin par exemple Total a envoyé à deux reprises des représentants à Benghazi, le fief de la rébellion, afin d'établir des contacts avec le CNT. Dans ses pas, d'autres entreprises françaises devraient entamer leur pèlerinage sur les anciennes terres du dictateur libyen. Le mois prochain, une mission de sociétés françaises est organisée en Libye. Des représentants d'Alstom, d'EADS, de Thales ou encore d'Alcatel Lucent devraient faire partie du voyage, ainsi que des représentants de sociétés plus petites du secteur hospitalier ou pétrolier.
L'enjeu est de taille. Pour l'heure la machine pétrolière libyenne est quasiment l'arrêt, et la situation ne devrait pas revenir à la normale avant plusieurs mois. Mais le pays est le 17è producteur mondial de pétrole, et concentre les plus grosses réserves en Afrique, loin devant le Nigeria. Chaque jour, avant la rébellion, il produisait 1,8 million de barils, soit 2% de la production mondiale. Ceci est assez faible, mais à terme, les experts estiment que la Libye a les moyens de doubler sa production à 4 millions de barils par jour. Par ailleurs, l'or noir libyen présente un sérieux avantage. Il est léger et pauvre en souffre, ce qui le rend moins cher à raffiner.
Forte concurrence italienne
Mais les géants français ne sont pas les seuls à convoiter les richesses du pays. Or, le gouvernement de transition rebelle l'a annoncé dès la semaine dernière : les pays qui ont aidé les rebelles à renverser Mouammar Kadhafi seront ceux qui auront le plus d'opportunités dans l'industrie pétrolière libyenne d'après-guerre.
Pour l'heure, la France semble plutôt bien positionnée, première nation à avoir plaidé en faveur d'une intervention militaire et reconnu le CNT. Mais l'Italie fait figure de concurrent sérieux. Le pays est historiquement présent en Libye, avec 182 entreprises sur place. La compagnie Eni, principal producteur étranger de pétrole en Libye (280.000 barils par jour avant l'insurrection) oeuvre dans le pays depuis 1959. Par ailleurs, le gouvernement italien, dans un premier temps hésitant à soutenir la rébellion, a très vite rattrapé son retard. Devançant les autres pays européen, Sylvio Berlusconi a notamment été le premier à répondre aux demandes d'aides financières de Mahmoud Jibril, le numéro deux du CNT, en débloquant le 25 août une tranche d'aide de 350 millions d'euros. Depuis une semaine, la compagnie pétrolière ENI a vu son cours bondir de 6,25%. Quant à celui de Total (55.000 barils avant l'insurrection), il a progressé de 4,78% sur cette période.
Le Brésil, la Russie et la Chine à la traîne
Pour d'autres pays au contraire, comme le Brésil, l'Allemagne ou la Russie, qui ont voté contre les mesures frappant le régime de Kadhafi, la situation est beaucoup plus compliquée. Dès mars dernier, la Russie, qui est présente sur le marché libyen de l'armement, du rail ou encore des hydrocarbures, a commencé à chiffrer ses pertes. Rosoboronexport, l'entreprise publique d'armements, évaluait par exemple à quatre milliards de dollars le manque à gagner entraîné par l'embargo décrété fin février par l'Onu sur la vente d'armes à la Libye. Aujourd'hui les entreprises russes sont conscientes qu'il faudra du temps pour normaliser leurs relations commerciales avec la rébellion, mais elles espèrent que l'amélioration de la situation rimera avec la reprise des contrats.
La situation est également délicate pour la Chine, dont 3% du pétrole est fourni par la Libye. Au début du conflit, le pays s'est abstenu de voter la résolution de l'ONU pour protéger les rebelles. Fin juin, néanmoins, Pékin a fini par reconnaitre le CNT "comme interlocuteur important". Depuis, elle multiplie les signaux et les appels à la stabilisation pour éviter que les 18,8 milliards de dollars qu'elle a investis dans le pays ne partent en fumée...
Des espoirs déçus?
Attention toutefois à ne pas redistribuer trop rapidement les cartes. Les pays qui ont soutenu la rébellion pourraient voir leurs espoirs déçus. Selon les observateurs notamment "le nouveau pouvoir libyen n'a aucune raison de brader son pétrole à ses amis entre guillemets, sachant que demain ils auront plein d'amis à travers le monde", estime par exemple Francis Perrin, expert de la Libye au Centre Arabe d'Etudes pétrolières. Même le CNT ne semble plus si sûr de pouvoir répondre à ses promesses. Il n'y aura "pas de favoritisme politique" et le nouveau régime procédera de façon "transparente", a notamment annoncé ce jeudi un porte-parole du CNT, Guma al-Gamaty, quelques heures avant le début à Paris d'un sommet consacré à la reconstruction du pays...
Par Julie de la Brosse - publié le 01/09/2011 à 18:05
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