(IPS 04/06/2010)
L’aflatoxine, une substance cancérigène contenue dans l’arachide, ne dissuade ni les producteurs ni les consommateurs de cette importante culture à la fois vivrière et commerciale au Sénégal.
"Nous avons souvent entendu parler cette substance. Mais, nous pensons qu’il s’agit d’une propagande parce que nous consommons le mafé, un plat de riz à la sauce d’arachide, trois fois par semaine et sans que rien ne nous arrive", a déclaré à IPS, Papa Banda Dièye, chef de l’Union régionale des coopératives agricoles de la région de Tambacounda, dans l’est du Sénégal.
"L’aflatoxine est toxique pour le foie, c’est un promoteur de cancer. Elle est co-cancérigène, autrement dit, à elle seule, elle ne donne pas directement le cancer. Il faut qu’il y ait un autre facteur comme le virus de l’hépatite B ou C, ou l’alcool", a expliqué Dr Mamadou Diop de l’Institut du cancer de l’hôpital public Aristide Le Dantec, à Dakar.
"La consommation excessive de l’arachide non stérilisée ou non pasteurisée peut provoquer une intoxication à l’aflatoxine", précise Diop. Ce cancérologue suggère de donner aux producteurs sénégalais les moyens de stériliser l’huile d’arachide pour qu’elle ne contienne pas d’aflatoxine.
L’Institut de technologie alimentaire (ITA) a réussi à éliminer l’aflatoxine de l’huile brute d’arachide, selon un procédé artisanal basé sur l’usage de l’attapulgite, une argile que l’on trouve au Sénégal, a indiqué à IPS, Dr Amadou Kane, chercheur dans cet établissement public sénégalais.
"Ces résultats en laboratoire ont été concrétisés par la conception d’un dispositif composé d’un mélangeur, d’un décanteur et d’un système de filtration servant à éliminer l’aflatoxine, après son contact avec l’attapulgite", a expliqué Kane.
Le producteur Dièye affirme à IPS : "Nous attendons ce programme les bras ouverts, pour pouvoir transformer nos arachides en toute sécurité". A Kaolack, dans le centre du Sénégal, les producteurs d’arachide disent qu’ils sont en mesure d’éliminer l’aflatoxine, sans recourir à l’ITA.
"Nous avons nos propres méthodes d’élimination de l’aflatoxine, et nous savons identifier les graines qui contiennent des substances cancérigènes. Ce sont souvent les graines affectées par les bruches (insectes) ou les moisissures, que nous éliminons d’office pour ne pas les manger", a dit Sidy Bâ, porte-parole du Cadre de concertation des producteurs d’arachide de la région de Kaolack. ‘’Nous n’avons pas de problème avec l’aflatoxine. Nous transformons en savon les graines affectées par les bruches ou d’autres insectes".
L’ITA a expérimenté sa technique dans quatre régions du pays - Kaolack, Fatick, Tambacounda et Kolda -, à l’aide d’un programme financé par l’Union européenne.
L’ITA a installé une unité de transformation de l’arachide dans la communauté rurale de Taiba Niassène, dans la région de Kaolack, et a expliqué la technique par laquelle elle élimine l’aflatoxine, "en présence de plusieurs transformateurs de graines d’arachides en huile. Ce qui leur a permis d’avoir l’information", a indiqué Kane.
Selon Kane, le centre de technologie est à la recherche d’un financement pour vulgariser la technique d’élimination de la substance cancérigène chez les producteurs utilisant des méthodes artisanales de transformation.
"L’Etat a entrepris la vulgarisation de la méthode mise au point par l’ITA. Mais, le risque zéro ne peut pas exister, à mon avis, dans la transformation de l’arachide en huile. Il faudrait que les ONG, les producteurs et la société civile s’impliquent dans la vulgarisation de la technologie" disponible, a souligné à IPS, Dr Macoumba Diouf, conseiller technique du ministre de l’Agriculture.
Selon Diouf, l’Etat sénégalais doit prendre des mesures pour réduire les risques de contamination à l’aflatoxine, d’autant plus que les récoltes d’arachide ont atteint un record pour la campagne agricole 2009-2010 : 1,175 million tonnes.
"A l’ITA, nous sommes à la disposition de toutes les organisations de producteurs ayant la capacité financière d’acheter le dispositif chez l’équipementier avec qui le matériel a été conçu, pour les former à l’utilisation du procédé", a expliqué Kane.
Aucune étude n’est encore publiée au Sénégal, pour situer le niveau des risques et les conséquences sanitaires liées à l’aflatoxine.
"Pour réaliser une étude du niveau de contamination par l’aflatoxine, il faut un financement. En effet, il faudra analyser un nombre important d’échantillons pour avoir des résultats représentatifs du niveau de contamination", a souligné Kane.
Pour sa part, le producteur Bâ minimise les dangers de l’aflatoxine, estimant que des rumeurs sont colportées pour "mettre en danger la culture de l’arachide", notamment dans les régions de Louga (nord du pays), Fatick, Kaolack et Diourbel, dans le centre.
"Ici, les rumeurs faisant état de contamination à l’aflatoxine ont circulé. Mais, cela n’a eu aucune conséquence sur la vente de l’huile d’arachide qui est très largement vendue et consommée", a témoigné Lamine Faye, un négociant de produits alimentaires basé à Fatick.
"C’est une mauvaise communication qui est faite sur l’aflatoxine, qui n’est pas un produit que contient la graine d’arachide. Elle est produite par un champignon qui affecte les céréales mal conservées", explique Diop, le cancérologue.
Mais jusqu’à présent, malgré sa percée technologique, l’ITA n’a pas encore reçu de l’Etat l’autorisation d’encadrer la production artisanale d’huile d’arachide, même s’il continue de donner des conseils et les moyens à mettre en œuvre pour prévenir la contamination ou pour éliminer l’aflatoxine de l’huile artisanale, indique Kane.
"Je ne pense pas qu'à cause de ce qui est dit de l'aflatoxine les paysans en arrivent à abandonner l'arachide, d'autant plus qu'ils ne sont pas très exigeants sur les normes de transformation...", a affirmé à IPS, Abdoulaye Barry, journaliste spécialisé en agriculture.
Souleymane Faye
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