mercredi 2 juin 2010 Alain Bischoff*
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4.- Le retournement des alliances comme solution de sortie de crise.
4.1.- La publication de ce rapport de l’ONU, qui ne faisait pourtant que confirmer trois précédents rapports restés sans effets, a été le signal d’un changement d’attitude de la « communauté internationale » à l’égard du Rwanda et le début de la remise en cause de l’aide financière internationale indispensable à son développement économique. Jamais cette aide ne manqua depuis 1996, mais les revendications toujours plus fantaisistes d’un Nkunda paranoïaque, devenu incontrôlable même par son mentor Kagamé, prolongeaient une guerre dont le sens se perdait et rendaient toute négociation impossible, menant à l’échec la mission d’Olusegun Obasanjo, émissaire de l’ONU. Il fallait que le Rwanda lâche Nkunda et comprenne qu’il devait plier aux exhortations de la « communauté internationale » dont les multinationales présentes dans la région commençaient à craindre la concurrence d’un autre acteur, la Chine, à la puissance financière inquiétante.
4.2.- Il est évident que l’autre événement qui allait conduire à une « paix forcée » au Kivu est lié à l’émergence de la Chine en RDC ; la guerre du Kivu a été relancée par Nkunda peu après les accords conclus entre la Chine et la RDC. Comment expliquer l’exigence de Nkunda que soient remis en cause les contrats chinois sinon par la crainte de voir la Chine rafler toutes les matières premières rares dont le Congo regorge. Cette crainte a valu au président Kabila les remontrances des Occidentaux et des Institutions financières (IFI) à leur dévotion, FMI en tête.
En septembre 2007, une convention RDC/Chine a prévu 6,3 milliards d’euros d’investissements (4,2 consacrés à la construction d’infrastructures et 2,1 à la relance du secteur minier). En contrepartie de ces travaux confiés à deux entreprises chinoises qui devaient contribuer à relancer l’économie congolaise ruinée par treize années de guerre et de pillage, les Chinois se sont vu promettre l’accès à 10 millions de tonnes de cuivre (l’équivalent de 6,5 millions de tonnes de cuivre raffiné), 200 000 tonnes de cobalt, 372 tonnes d’or.
Cet accord de troc moderne devait profiter tant au Congo qu’à la Chine, cependant avec un grand bémol : en effet, ces contrats induisaient que la Chine, pour une grande partie des travaux, se « paierait sur la bête », puisque ce sont les bénéfices du volet minier qui auraient financé les travaux d’infrastructure grâce à un taux de rentabilité des projets miniers fixé à 19% ( !), soumis à l’appréciation de la seule partie chinoise. En guise de garde-fou, si ce taux mirobolant ne devait pas être atteint, la Chine se gardait la possibilité de demander d’autres concessions d’exploitation.
À la veille de la crise récente du capitalisme financier – qui s’est muée depuis en crise tout court du capitalisme occidental – la hausse du cours du cuivre avait provoqué une ruée des multinationales minières occidentales vers le Katanga, gros producteur. Toutefois, la contribution de ces prédateurs au budget de l’État congolais ne dépassait guère les 6% alors que des sommes importantes, payées, étaient, elles, détournées en cours de route par différents intermédiaires. Déçue par la faible performance des entreprises occidentales, Kinshasa décida de « revisiter » l’ensemble des contrats miniers et, en même temps, se tournait vers la Chine. Evidemment, les Occidentaux (Etats-Unis, Union européenne) qui s’étaient fortement engagés pour mettre un terme à la guerre et convaincre la « communauté internationale » de soutenir financièrement le processus électoral congolais (2005/2006) ont montré ostensiblement leur désaccord. La révision des contrats miniers a donc été interprétée comme une manœuvre destinée à faire de la place aux pays émergents, nouvellement arrivés au Congo, en premier lieu la Chine.
La société américaine Freeport MacMoran qui a investi 1,2 milliard d’euros au Katanga, dans les mines de Tenke et de Fungurume, plus grande réserve de cuivre et de cobalt du monde, était particulièrement visée. C’en était trop pour les Américains qui, inquiets pour la sauvegarde de leurs intérêts, actionnèrent deux leviers : la pression sur le Rwanda et le Congo pour qu’ils trouvent un terrain d’entente afin d’aboutir à la paix au Kivu et les oukases du FMI à l’encontre de la RDC. La visite d’Hillary Clinton, en juillet 2009, en RDC, marqua le retour des États-Unis dans la sous région des Grands Lacs[xi].
4.2.1.- La RDC dans l’étau du FMI[xii]. Il est, en effet, difficile de ne pas voir le lien entre la renégociation des contrats miniers et les démêlés qui ont opposé, depuis 2008, Kinshasa et le FMI. La RDC doit plus de 7 milliards d’euros au Club de Paris (qui groupe 19 créanciers occidentaux de la RDC) dont près de 90% sont constitués d’arriérés accumulés depuis le dernier accord conclu avec le Zaïre de Mobutu, en 1989. Cette dette extérieure qui plombe le redressement de la RDC aurait dû depuis longtemps être effacée en raison de son caractère « odieux », parce que contractée par la dictature de Mobutu et que son remboursement doit être assuré par un Etat devenu une démocratie. Mais, au prétexte de la mauvaise gestion des finances publiques congolaises et des contrats chinois, le FMI a affirmé son opposition à l’effacement de la dette. Après la visite du directeur du FMI à Kinshasa, en mai 2009, la RDC a accepté de faire l’impasse sur deux des six milliards d’euros de crédits chinois qui lui avaient été promis pour financer la deuxième tranche des infrastructures et qui devaient être payés par les bénéfices des concessions minières attribuées à la Chine. Les Chinois ont reculé, la réconciliation de la RDC avec le FMI et les créanciers du Club de Paris représentant un enjeu vital pour la RDC. Le Congo n’a évidemment pas les moyens de s’opposer au diktat des IFI occidentales, d’autant qu’à la pression financière s’est ajoutée une pression politique forte.
Une femme durement touchée, inconsolable par une voisine4.2.2.- La « paix forcée » du Kivu. Le but recherché - évidemment non avoué - par la « communauté internationale », États-Unis en tête, est de reconnaître définitivement au Rwanda son rôle régional prédominant, tout en l’obligeant à la paix.
Deux initiatives internationales allaient permettre de contraindre le Rwanda et la RDC à s’entendre pour mettre un terme aux hostilités qui ensanglantent le Kivu depuis août 2008 et, en même temps, de jeter les bases du leadership rwandais sur les Grands Lacs.
La première émane d’un consultant américain, ancien de l’administration Clinton, Herman J. Cohen, en décembre 2008[xiii]. Partant du postulat que la paix au Kivu ne sera assurée durablement qu’en permettant au Rwanda d’exploiter librement les richesses du Kivu, Herman J. Cohen préconise la création d’une sorte de « marché commun », incluant l’Ouganda, le Burundi, la Tanzanie, le Kenya, en plus du Rwanda et de la RDC elle-même, qui autoriserait la libre circulation des personnes et des biens en garantissant aux entreprises rwandaises (et autres) l’accès aux ressources minières et forestières du Kivu contre le versement de droits de douane et de taxes à l’Etat congolais. Selon Herman J. Cohen, ce « marché commun » permettrait à la RDC d’utiliser les ports de l’Océan indien qui sont le débouché naturel des produits du Congo oriental plutôt que ceux de l’Océan atlantique, à plus de 1600 km de là ».
La seconde est française et officielle, rendue publique par le président français le 12 janvier 2009 et poursuit à peu de choses près les mêmes objectifs en préconisant un partage - entre le Rwanda et la RDC, de l’espace régional et des richesses du Kivu[xiv], dans le cadre d’une mystérieuse société mixte d’exploitation (devenue depuis une non moins mystérieuse « Agence régionale pour le développement et l’aménagement » ) - qui se justifierait selon N. Sarkozy, parce que « le Rwanda est un pays à la démographie dynamique et à la superficie petite » alors que « la RDC est un pays à la superficie immense » avec « une organisation étrange des richesses frontalières » (sic !).
Sans que cela n’émeuve la diplomatie française qui ne comprend toujours rien aux Grands Lacs, les Américains ont entrepris de redessiner la géographie politique de la région pour la sauvegarde de leurs intérêts et la pérennité de l’exploitation des ressources par leurs sociétés minières : ils tirent la conséquence naturelle du glissement des axes géopolitiques de l’Afrique vers l’Est et le Sud anglophones, marqué par les deux guerres du Congo et par la disparition du régime Mobutu, garant de la francophonie dans la région, au profit des Etats « miniers » (Afrique du Sud, Namibie, Angola, Zambie) et du monde culturel swahili (Rwanda, Burundi, Tanzanie, Kenya), au détriment de l’Afrique de l’ouest francophone et de l’Ouest de la RDC, lingalaphone et francophone.
Les « plans » Cohen et Sarkozy s’inscrivent aujourd’hui dans la réalité. Le Rwanda et la RDC se sont rapprochés au point de conclure un accord le 5 décembre 2008 afin de neutraliser leurs rébellions respectives, très vite mis à exécution : la RDC a autorisé les soldats rwandais (entrés le 20 janvier 2009 en RDC et qui, officiellement, ont quitté le territoire congolais fin février 2009) à traquer les FDLR, les FARDC étant incapables de le faire seules. En contrepartie, Nkunda a été arrêté par les Rwandais et assigné à résidence à Kigali le 22 janvier 2009, le CNDP se transformant en mouvement politique. Lire la suite...>>>>
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