(Le Pays 11/01/2013) Dans une dizaine de jours, l’Afrique du Sud va encore
confirmer, aux yeux du monde, son titre de nouvelle vitrine sportive du
continent. Mais il se trouve que les footballeurs africains arriveront dans un
pays qui s’illustre aussi par un autre titre : le pays champion de remous
sociaux récurrents et qui se soldent toujours par des pertes en vie humaine.
Souvenons-nous qu’en 2012, l’Afrique du Sud tout entière était révoltée
et indignée par le massacre de 34 mineurs grévistes. Une fois de plus, la police
dite post-apartheid a montré son vrai visage, à savoir une police strictement
répressive. Au cours de cette semaine, une manifestation d’ouvriers agricoles
vient, de nouveau, d’être durement réprimée, et l’on compte un nombre élevé de
blessés. En vérité, on assiste à une véritable criminalisation des mouvements
sociaux au pays de Mandela. Que réclamaient et que réclament ces pauvres mineurs
et ouvriers agricoles ? De la justice sociale et de la dignité. Mais ce qui
reste étrange, et qui peut prêter à sourire, c’est que pour justifier son
incapacité à lutter contre les organisations criminelles qui font la loi dans ce
pays, la police ne cesse d’invoquer les salaires de misère qu’elle touche.
Pourquoi se révèle-t-elle alors si féroce et cruelle avec les
manifestants, loin d’être des « terroristes » ? Comme elle, les mineurs et les
ouvriers agricoles vivent dans des conditions de vie scandaleuses avec des
salaires de misère. Et c’est là qu’on se rend tristement compte qu’en son temps,
les tenants de l’apartheid avaient réussi à tout inventer dans ce pays, sauf une
tradition et une culture de dialogue social. Sinon, comment comprendre que la
moindre grève, pourtant reconnue constitutionnellement, soit sauvagement
réprimée par la police ?
On a ce douloureux sentiment de revivre les
sombres heures de l’apartheid. Il faut réinventer, en Afrique du Sud, une
authentique tradition de dialogue social entre le pouvoir, les milieux
d’affaires et les syndicats. Cela dit, la récurrence et la répression des
mouvements sociaux dans ce pays montrent que, malheureusement, la vivante et
originale démocratie sud-africaine n’arrive pas à transcender une certaine
tradition, une certaine culture de la violence, liées au passé de ce peuple. On
ne le dira jamais assez, l’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus violents
et les plus inégalitaires au monde. De surcroît, un pays qui reste encore
imprégné de racisme. La violence reste un élément structurant de la psyché
collective de ce pays, menacé par des risques de désintégration sociale. Une
minorité de Blancs continue de contrôler tous les secteurs stratégiques de
l’économie sud-africaine (mines, banques, industries, médias, commerce). Et le
caractère insupportable de la misère de la majorité noire ne semble pas du tout
les troubler.
Pour cette minorité, négocier avec les syndicats est une
pure perte de temps. Et qu’importe si une telle stratégie doit se solder par de
nombreuses pertes en vie humaine. Mais ce qui paraît encore plus choquant, c’est
l’insolente fortune amassée par certaines élites noires, jadis figures de proue
de la lutte anti-apartheid. D’ailleurs, on se souvient encore que parmi ces
élites noires, certains avaient justifié la répression des mineurs grévistes
noirs, mineurs qui avaient été le fer de lance de la lutte anti-apartheid. Les
héritiers et successeurs politiques de Mandela, dont Mbeki et Zuma, n’ont pas su
faire de l’amélioration des conditions de vie du peuple sud-africain, l’axe
prioritaire de leurs mandats.
Or, comme le mettait en garde leur
illustre prédécesseur, « un gouvernement se fait avant tout apprécier par les
services qu’il rend à la population ». Le chantier de Mandela, c’était la
réconciliation et l’instauration de la démocratie. Celui de ses héritiers reste
la justice sociale et le progrès économique. Les milieux d’affaires, noirs et
blancs, doivent sérieusement prendre conscience des besoins sociaux vitaux du
peuple sud-africain. Sinon, les remous sociaux continueront avec force et
vigueur, et ce qu’il faut craindre, c’est la tentation nihiliste.
Comme
elle ne modifie pas concrètement leur vie, les Sud-africains finiront par se
dire que la démocratie ne sert à rien, et un vote ne se mange pas. Et, mal
gérées, les questions sociales peuvent entraîner une aggravation des tensions
raciales. Personne ne le souhaite. Ce pays doit avancer, sans renier son passé,
son histoire. Non, la démocratie n’est pas un marché de
dupes.
Abdoulaye BARRO© Copyright Le Pays
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