dimanche 13 janvier 2013

Afrique paradoxale et France trouble


Hollande et Yayi Boni


Accord à Libreville, assaut à Konna. Ainsi pourrait-on résumer l’évolution, la semaine dernière, des principaux conflits armés en Afrique noire francophone. Si l’histoire des interventions françaises sur le continent noir s’écrit généralement en lettres de feu, l’implication d’Etats africains dans les guerres chez leurs voisins promet souvent autre chose que le sang.
Vendredi 11 janvier 2013 au Gabon, le gouvernement centrafricain et les rebelles de la coalition Séléka se sont mis d’accord sur une possibilité de normalisation de la vie sociopolitique de la République centrafricaine. Conduite par le président congolais, Denis Sassou Nguesso, cet épisode marque une trêve de l’offensive menée depuis plusieurs semaines à partir du nord-est du pays. Celle-ci s’annonçait en effet très meurtrière à l’occasion de la bataille de Bangui qui se situait désormais à moins de 100 km des positions rebelles.
Le même jour au Mali, la France a « soutenu » l’armée malienne dans les affrontements l’opposant aux djihadistes qui occupent la partie septentrionale du pays depuis de nombreux mois. Au cours de la semaine écoulée, ces derniers ont poursuivi leur offensive dans le centre du pays ; ils ont pris Konna et visaient désormais Mopti et, pourquoi pas, Bamako la capitale. L’armée française a ainsi combattu aux côtés de l’armée malienne pour repousser les rebelles et prendre le contrôle de Konna.
Ces deux situations qui se sont produites le même jour est un démenti à l’idée que les Africains sont incapables de faire la paix entre eux. Elles constituent surtout un argument contre ceux qui pensent encore que seule la France est apte à faire la paix entre des belligérants dans son « pré carré ». Le pays du général De Gaulle, au contraire, s’est beaucoup plus illustré dans la guerre en Afrique noire francophone que dans le maintien de la paix. Georges Kozolias, politologue, affirmait notamment sur France 24 en avril 2011 pendant la crise postélectorale ivoirienne, que la France est intervenue militairement plus de quarante fois en Afrique depuis 1960.
De nombreux Africains récusent le rôle de la France dans la provocation des guerres, l’alimentation des conflits ou la résolution des problèmes sur le continent noir. L’actualité montre cependant que ce sont les Africains eux-mêmes qui invitent la « mère patrie » à la moindre étincelle. Quand en début 2012 les islamistes menacent au nord du Mali, Dioncounda Traoré et Amadou Sanogo appellent la France. Lorsqu’au milieu de la même année les Laurent Gbagborebelles du « M 23 » lancent leur offensive en République démocratique du Congo, Joseph Kabila sollicite entre autres, la France. Dès les premières attaques de la Séléka au dernier trimestre 2012, François Bozizé invite la même France. L’on a vu la même chose au Tchad avec Idriss Déby en février 2008 et, avant, en Côte d’Ivoire en 2002 lorsque Laurent Gbagbo a sollicité en premier lieu la France qu’elle n’aimait pas particulièrement pour l’aider à repousser la rébellion.
La France n’intervient plus comme dans les années 1960 ou 1970 pour enlever tel ou placer tel autre au pouvoir. Elle n’est pour autant pas partie comme le laissait penser en 2005 Jean-Paul Ngoupandé dans son ouvrage L’Afrique sans la France (Albin Michel). Elle manœuvre au profit de la rébellion ou du pouvoir en place et, officiellement, elle attend désormais d’être appelée par des Africains. Surtout, elle souhaite agir dans le cadre d’une intervention concertée avec d’autres puissances et en présence de « forces » africaines.
L’on est toutefois marqué par ses tergiversations. En Côte d’Ivoire, elle avait d’abord refusé de s’impliquer et a accepté par la suite. Elle s’est comportée pareillement au sujet du Tchad et du Mali. Peut-être qu’elle pourra faire machine arrière en Rca pour mettre le feu aux poudres si l’accord de Libreville ne marche pas, comme elle l’avait fait en Côte d’Ivoire lorsqu’il était devenu impossible de préserver la paix à travers les Accords de Ouagadougou, le verdict de la présidentielle d’octobre-novembre 2010 ayant été contesté.
Cette tergiversation française, qui fait qu’elle recule d’un pas et avance de deux, est a priori imputable au discours de politique internationale de ses dirigeants. Un discours qui exprime peut-être une disposition mentale au changement vite rattrapée par les exigences de la realpolitik. En 2006, lors de sa visite d’Etat au Bénin le 19 mai, Nicolas Sarkozy, alors ministre d’Etat en charge de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, affirmait qu’il faut «définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés» dans les relations Afrique-France. Le 26 juillet 2007 à Dakar, alors qu’il était déjà président de la République, il laissait poindre à peu près la même idée. Les faits semblent toutefois contredire le discours.
Les Africains sont ainsi à la fois contre la France et pour elle. Contre elle, ils l’accusent d’ingérence dans leurs affaires intérieures. Pour elle, ils la félicitent pour la lutte contre le terrorisme et la promotion de la démocratie. C’est ce sentiment qui se dégage dans le sud du Mali si l’on s’en tient aux reportages sur Rfi du 12 janvier 2013. La France, quant à elle, a un comportement trouble : elle fait semblant de ne plus s’ingérer alors même qu’elle fait mal sur les théâtres d’opérations. Au-delà de cette double ambivalence, l’on constate que la France officielle n’est pas une faiseuse de paix. En revanche, des Africains peuvent s’essayer dans la négociation avec quelques succès relatifs./

Alexandre T. DJIMELI
Journaliste en retrait, Editorialiste invité
cameroonvoice.com

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