vendredi 1 avril 2011

Pour un nouveau temps de la démocratie en Afrique

TRIBUNE - Alors que le rapport de forces est en passe de s'inverser en Côte d'Ivoire, l'ancien premier ministre Dominique de Villepin lance des idées pour une paix durable dans la région.

La Côte d'Ivoire est à un tournant. Les événements se sont accélérés après quatre mois de crise politique ouverte. Le spectre d'une guerre civile longue semble devoir céder la place à une transition rapide. Nous pouvons nous en réjouir. Mais une question doit se poser à nous : si Laurent Gbagbo est chassé du pouvoir par Alassane Ouattara, cela suffira-t-il à ramener en Côte d'Ivoire la paix et la démocratie ? Ce ne peut être qu'un point de départ.
Car c'est bien cela l'enjeu, l'ouverture d'un nouveau temps de la démocratie, en Côte d'Ivoire et en Afrique, en s'appuyant sur toutes les leçons des guerres civiles, des alternances manquées et des crises de succession des dernières décennies - au Soudan, en République démocratique du Congo, en Sierra Leone, au Rwanda. Partout et toujours les mêmes dangers : la dictature, la partition du pays, un État failli. La démocratie n'est jamais au bout du canon. Car la légitimité conquise par les armes ternit toujours la légitimité acquise par les urnes.
Le principe de la légitimité démocratique doit l'emporter. L'objectif est clair. Alassane Ouattara est le président élu ; Laurent Gbagbo doit quitter le pouvoir. Mais ne soyons pas pour autant aveugles aux divisions profondes de la société ivoirienne, ne soyons pas amnésiques sur seize ans d'une crise de succession, dans un État fragilisé par la crise économique et la disparition de la génération de l'indépendance. Depuis, pas une élection n'a permis une transition pacifique. Des oppositions géographiques, économiques, culturelles ont creusé des tranchées irrémédiables dans le territoire ivoirien.
Ce dont la Côte d'Ivoire a besoin, c'est de paix, de réconciliation et de stabilité. Et nous avons à cet égard, en vertu de notre amitié, un devoir d'initiative.
Le premier objectif doit être pour les États africains, avec l'appui de la communauté internationale, de rester vigilants sur la protection des populations civiles. D'autres scénarios de violences diffuses et d'escalades restent à craindre. Le Conseil de sécurité a pris ses responsabilités en exhortant au départ sans violences de Laurent Gbagbo et en donnant aux neuf mille hommes de l'Onuci tous les moyens pour remplir cette mission. Il ne doit pas s'en détourner au prétexte qu'Alassane Ouattara aurait les apparences du pouvoir sur l'essentiel du pays.
Le deuxième objectif doit être la relance d'un processus de réconciliation nationale, à travers la reprise d'une médiation de l'Union africaine et de la Cedeao sous l'égide de l'ONU. Ce sera la lourde tâche du nouveau pouvoir légitime. Beaucoup de temps a déjà été perdu. En 2003, la France a pris l'initiative avec les accords de Marcoussis, grâce à l'action de Jacques Chirac que j'ai eu l'honneur d'accompagner dans cette tâche. Un médiateur spécial de l'Union européenne, en contact avec les Nations unies, doit être mandaté, en appui des efforts africains. Car au-delà des enjeux politiques, toutes les aspirations doivent être écoutées, tous les acteurs pris en compte, comme dans le cas libyen.
Troisième objectif, recherchons la stabilisation des démocraties africaines, en anticipant les alternances futures. La démocratie, ce n'est pas seulement des procédures. C'est la capacité d'une majorité à céder à une nouvelle majorité sans crainte pour son existence. Or l'alternance est devenue en Afrique un jeu de tout ou rien. Songeons aux difficultés récentes du Kenya ou du Gabon. Songeons qu'il a fallu à la France trois Républiques sinon plus pour réussir une seule véritable alternance.
Il y a des mécanismes à inventer pour ne plus jouer l'avenir à la roulette russe : un statut pour les anciens chefs d'État qui ne les mettrait pas d'emblée à l'écart de la vie nationale mais leur permettrait de jouer un rôle de sage ; un statut de l'opposition lui conférant des droits et des garanties dans la vie publique, notamment au Parlement ou dans l'accès aux médias ; une autonomie accrue des pouvoirs locaux qui sont souvent l'assise des majorités qui se font et se défont à l'échelle du pays ; des remèdes pour la réinsertion des anciens combattants et des populations déplacées.

lefigaro.fr

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