(Le Nouvel Observateur 05/04/2011)
Alassane Ouattara n'est pas que le très occidentalisé président ivoirien reconnu par la communauté internationale. Le politologue Michel Galy revient sur le versant plus "sombre" de celui qui est à la tête d'une armée de "chefs de guerre sanglants". Par Céline Lussato.
Qui est Alassane Ouattara ?
- Alassane Ouattara a deux versants et il m'arrive pour illustrer cela de parler de Docteur Ouattara et Mister Alassane. L'un est très occidentalisé, formé aux Etats-Unis. Il a été directeur Afrique du FMI, est anglophone, toutes choses qui plaisent aux USA d'autant qu'il est néo-libéral d'idéologie économique. Ceci dit, le système politique ivoirien n'a pas cela comme référence. Personne ne vote pour lui parce qu'il est néo-libéral de même que très peu votent pour Laurent Gabgbo parce qu'il est social-démocrate.
L'autre versant, plus sombre, est mis en exergue par ceux qui disent que la Côte d'Ivoire est à feu et à sang depuis qu'Alassane Ouattara est arrivé par la grâce de Félix Houphouët-Boigny. A la mort de ce dernier c'est d'ailleurs Alassane Ouattara qui gouvernait et qui réprima des manifestations de façon très violente. Il mit notamment à cette époque-là Laurent Gbagbo, son épouse Simone et son fils Michel en prison à la maison d'arrêt d'Abidjan durant six mois. Et ce sont des choses qui ne s'oublient pas.
Ensuite, tout va, même si on n'a pas de preuve, dans une responsabilité politique d'Alassane Ouattara dans le coup d'Etat de 2002. Une tentative de coup d'Etat qui a essaimé dans tout le pays, mais qui échoua à Abidjan. Deux tiers du pays étaient alors tenus par la rébellion rebaptisée par la suite Forces Nouvelles et qui sont aujourd'hui l'essentiel des forces militaires pro-Ouattara.
Cette dualité dont vous parlez est-elle visible encore aujourd'hui?
- Actuellement cette dualité persiste. D'un côté Alassane Ouattara est cet homme à la stature revendiquée d'homme d'Etat adoubé par la communauté internationale, avec une répartition des rôles avec Guillaume Soro à qui est donné le commandement militaire. Et de l'autre, dans le côté obscur, et que souvent l'Occident ne voit pas, il y a les forces qui portent Alassane Ouattara et la dérive ethnico-régionale qui s'y cache. Car dans ses forces on trouve les dioula, c'est-à-dire les Nordistes et ceux qui viennent du Mali, du Burkina, du Niger, et d'ailleurs peut-être qu'il y a des conseillers de ces pays qui l'ont amené à mettre en place cette guerre éclaire qu'il vient de mener ces derniers jours. Et si on prend en compte la vision autochtone, les Sudistes se sentent le dos à la mer devant cette vague dioula qui dure depuis une centaine d'années.
Les dioulas ont tendance à dire "le pays est à nous" et les sudistes disent "on n'a plus rien à perdre" et risquent de résister très longuement à l'offensive de Ouattara.
Dans cette bataille, si vous confirmez que Guillaume Soro a la charge militaire, c'est bien Alassane Ouattara qui est à la tête des opérations?
- C'est une répartition des rôles politique et médiatique. Mais ils sont en accord. Alassane Ouattara est responsable de ce qui se passe. Et là, en ce moment, ce sont des chefs de guerre sanglants comme Wattaoo, qui dirigeait la garde de Ouattara à l'hôtel du Golf et a été déplacé dans l'Ouest il y a quelques temps, qui arrivent sur Abidjan avec des militaires de base dépenaillés, sans salaire, qui ont l'intention de se payer sur la conquête d'Abidjan. Ces derniers pratiquent une guerre traditionnelle où les pires massacres sont admis et c'est ce qu'on a vu à Duékoué au lendemain de l'offensive des pro-Ouattara où entre 800 et 1.000 civils selon Caritas et d'autres ONG ont été tués.
Donc on est inquiet pour Abidjan. On ne peut pas parler de génocide car il y a 50% de la population qui soutient Gbagbo et 50% Ouattara. Mais on peut craindre ce que Jacques Sémelin appelle des "massacres de masse" entre les deux camps. On redoute que, bientôt, on s'en prenne aux civils, voir que les civils s'affrontent directement comme à Brazzaville en 1991.
Interview de Michel Galy, politologue, chercheur au "Centre sur les conflits" à Paris et animateur de la revue Culture et Conflits par Céline Lussato - Nouvelobs.com
(mardi 5 avril 2011)
Par Céline Lussato.
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