(Le Figaro 04/04/2011)
REPORTAGE - De rares pick-up lourdement armés patrouillent sur des avenues presque désertes. La situation humanitaire inquiète: les vivres deviennent rares et l'eau est coupée depuis dimanche.
Le centre d'Abidjan est enveloppé dans un silence épais et pesant. La capitale économique de la Côte d'Ivoire est en guerre, enserrée entre les combattants du président autoproclamé, Laurent Gbagbo, et ceux de son rival élu, Alassane Ouattara. Il s'agit sans nul doute de l'ultime épisode, après quatre mois de crise politique et neuf années de division, mais le dénouement tarde encore à venir. Figée dans cette curieuse attente, le cœur de la ville retient son souffle et tend l'oreille.
Sur le Plateau, le centre des affaires de la ville, des coups de feu claquent de temps à autre. Quelques tirs de kalachnikov ou de mitrailleuses ravivent les tensions et font fuir les oiseaux. En début de soirée, de fortes détonations ont retenti au nord du quartier. De rares pick-up lourdement armés et chargés d'hommes passaient lentement, patrouillant sur des avenues presque désertes.
Couvre-feu prorogé
Depuis vendredi soir, après quatre jours d'un raid éclair qui les a rendus maîtresses du pays, les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), l'armée d'Alassane Ouattara, ont suspendu leur offensive. Le coup de main lancé jeudi sur les sites stratégiques de la ville s'est heurté à une résistance acharnée des derniers fidèles de Laurent Gbagbo. Ni la caserne d'Agban, la plus grande de Côte d'Ivoire, ni la résidence présidentielle ou le palais n'ont pu être pris. Selon plusieurs sources, les FRCI s'étaient dimanche après-midi totalement retirées du centre d'Abidjan. Les soldats seraient concentrés au nord de la ville, attendant de nouveaux ordres. «Nous allons agir prochainement pour abattre les restes du régime», promettait dimanche un officier des FRCI. L'entourage d'Alassane Ouattara se montre tout aussi discret. Dimanche, son premier ministre, Guillaume Soro, expliquait: «Nous avons mis 48 heures à atteindre les portes d'Abidjan. Nous prendrons la ville. Nous demandons aux populations de nous faire confiance.»
Personne, en effet, ne s'attend à ce que les combats s'arrêtent. Enferré dans une lutte désespérée, Laurent Gbagbo ne semble pas vouloir renoncer. «Les FRCI tentent probablement de mettre au point une stratégie plus efficace. Elles doivent se battre en ville, sur un terrain qu'elles ne connaissent pas et qui demande une approche particulière. Elles font face à des adversaires déterminés, bien retranchés, qui n'ignorent rien du terrain. La mise en place d'un plan peut donc prendre un peu de temps», affirme un expert militaire. Les partisans de l'ancien président profitaient dimanche de ce répit inattendu pour galvaniser les leurs à l'aide d'une arme de poids: la Radio-télévision ivoirienne (RTI). La chaîne nationale, dont les locaux furent jeudi la cible d'intenses affrontements, est parvenue vendredi soir à rétablir ses émissions. Dans un mélange curieux de mysticisme et de rhétorique antifrançaise, la RTI s'attache désormais à entretenir l'illusion d'une possible victoire de Laurent Gbagbo, et de son invincibilité. Le président sortant, toujours invisible, est ainsi apparu samedi sur un document non daté, souriant et serein, entouré de ses proches. En contrepoint, l'ancienne puissance coloniale, cible favorite du régime de Laurent Gbagbo, est accusée des pires crimes. Des bandeaux défilant affirment que «le génocide rwandais se prépare en Côte d'Ivoire par les hommes de Sarkozy». D'autres affirment que Paris est à l'origine d'un coup d'État ou que la France arme et soutient les partisans d'Alassane Ouattara. «Ces discours visent à raviver la querelle de 2004, à faire de cette guerre ivoiro-ivoirienne une lutte coloniale pour gagner des cœurs et des soutiens en Afrique. Mais cela a peu de chance de fonctionner», analyse un observateur.
Les proches de Laurent Gbagbo eux-mêmes ne semblent pas vraiment y croire, préférant multiplier les prières au «Seigneur tout Puissant» et les appels aux Patriotes. Non sans succès. Fer de lance de l'insurrection antifrançaise de 2004, ces militants ont retrouvé le chemin de la rue. Dimanche, quelques centaines d'entre eux campaient sur les ponts d'Abidjan et devant la résidence de Laurent Gbagbo. Si leur présence n'est pas à même de changer l'issue d'une bataille, ces civils sans armes forment un bouclier humain autour de Laurent Gbagbo qui est de nature à compliquer grandement un assaut des FRCI. «S'ils restent sur le champ d'opérations, les Patriotes seront considérés comme des combattants et traités comme tels», assurait dimanche un officier FRCI, visiblement agacé.
Le temps presse
Car les proches d'Alassane Ouattara n'ignorent pas que le temps presse. Dans Abidjan, la situation humanitaire commence à inquiéter. Pour les habitants cachés depuis trois jours, les vivres sont devenus rares. Dimanche, la coupure de l'eau courante dans toute la ville a rendu les choses plus difficiles encore. Dans les rues du Plateau, des femmes et des jeunes hommes marchaient, un jerrican ou des bouteilles sous le bras, à la recherche d'un point d'eau. Au moindre bruit, tous s'arrêtaient, les mains en l'air, avant de reprendre leur route à petits pas inquiets. Les plus chanceux ont pu dégoter une citerne. Les autres devaient puiser dans la lagune, saumâtre et polluée, de quoi boire. «On ne va pas pouvoir tenir très longtemps comme cela. On ne peut pas sortir et, de toute façon, comme tout a été pillé, il n'y a presque rien à acheter», se plaint Henri, enfermé chez lui à Treichville. À Adjamé, Jules se montrait tout aussi déboussolé. «Personne ne pense à nous. On va finir par manquer de tout. Pourquoi les soldats français de Licorne et ceux de l'ONU ne nous aident-ils pas?»
Par Tanguy Berthemet
De notre envoyé spécial à Abidjan. Par Tanguy Berthemet
04/04/2011
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